Les Européens préfèrent la terre battue et l'herbe. Le "dur" c'est pour les Américains. La preuve en chiffres. Pourtant, le "quick" est de plus en plus adopté par les clubs et municipalités en France car plus facile d'entretien.
Dans le silence, soudain, un ramasseur termine sa course, bras dans le dos. En fond de court, le joueur au service frappe ses chaussures avec sa raquette, essuie un peu de terre sur la ligne. De la paume à l’ocre, il fait rebondir la petite balle jaune nonchalamment.
Sur les courts de Roland Garros, depuis le début de la deuxième semaine, on ne voit plus jouer que des spécialistes de la terre battue. Et qui dit spécialiste, dit Européen : Espagnols, Suisses, Serbes, Français… Sur les 32 joueurs des tableaux masculin et féminin engagés en huitième de finale, quatre seulement n’étaient pas Européens.
L'Europe en haut du classement
Les joueurs du Vieux Continent dominent le classement mondial depuis le début du siècle. Mais le règne des Européens à Roland Garros est beaucoup plus ancien. Ainsi que le montrent les calculs de MyEurop, parmi les tournois du grand chelem, les rendez-vous les plus prestigieux de la saison, ce sont les internationaux de France de Paris qui leur sourient le plus souvent (60 % chez les hommes, 50 % chez les femmes).
Pourquoi les Européens gagnent-ils ? C’est une question de culture. Les joueurs du continent ont privilégié la terre battue inventée en France en 1880. Seuls les Anglais ont un faible pour le gazon depuis qu'ils ont inventé le tennis. Quant aux Américains, ils sont accros au "dur" depuis les années 70.
Rien d’étonnant, dès lors, que les pays qui comptent le plus grand nombre de victoires à Roland Garros et les meilleurs joueurs sur terre soient aussi ceux qui forment le plus leur joueurs à la surface ocre.
Bruno Renoult, ancien joueur professionnel français et président de l’association pour le développement de la terre battue (ADTB), a compilé des données au niveau international pour comparer les pays qui jouent le plus sur terre battue.
Dans le haut du tableau, on retrouve les Européens. Dans le bas du tableau, les Etats-Unis, la Grande-Bretagne et l’Australie. Pour les Etats-Unis, même le géant Pete Sampras n’est jamais parvenu à s’imposer à Paris…
Parmi les nations de terre battue, il faut compter aussi avec les Argentins et les Brésiliens, mais ceux-ci sont bien moins nombreux sur les courts de la Porte d’Auteuil.
La France n’est plus une terre battue
La France, quant à elle, se trouve parmi les nations qui jouent le moins sur terre… "Dans les années 1960, la France comptait plus de 80 % de terrains en terre battue", regrette Bruno Renoult. "Mais à partir de 1975, on a voulu développer le tennis en France, et pour cela, on a malheureusement construit des terrains en dur [50 % des terrains an 2011]".
Pourquoi ? "La raison est essentiellement politique : ce sont les villes qui gèrent les clubs en France, et chacun veut avoir son court. Construire un court en terre battue impose des frais d’entretien. Construire un terrain en dur donne l’illusion qu’il n’y a que des frais d’investissement. Même s’il faudra changer le terrain entièrement au bout de 20 ans".
La crise de la culture de la terre battue en France ? "Roland Garros est une belle vitrine, mais la France n’est plus un pays de terre battue. Aujourd’hui, qu’on soit sportif de haut niveau ou joueur loisir, on joue sur du béton. On est le seul pays au monde à faire ça !", s’exclame Bruno Renoult.
Côté court, on est tenté de dresser un lien avec les résultats des Français. Dernière victoire française à Roland Garros : Yannick Noah, 1983. Il est bien loin le temps des Mousquetaires. Les Borotra, Brugnon, Cochet, Lacoste des années 1920-1930.
Combat de terrien
Car la terre est exigeante (voir la série d’articles de Frederic Rouiller sur son blog). Savoir glisser au moment de la frappe, maîtriser le lift et le rebond plus lent, être capable de jouer des matches de trois ou quatre heures. Tout cela s’apprend dès le plus jeune âge.
(La terre) est la surface sur laquelle vous pouvez utiliser le mieux vos armes que ce soit la technique ou le mental. La technique parce qu’il vous faut un jeu complet. Si vous avez des lacunes, l’adversaire s’y engouffre tout de suite. Le mental, car ce sont des matches très durs qui peuvent basculer sur un point. Quand vous sortez du court, vous êtes sale, vous êtes couvert de rouge comme si vous aviez combattu réellement dans la terre",
Disait Gustavo Kuerten, spécialiste de la terre battue — voire amoureux. Trois fois vainqueur (1997, 2000 et 2001), le Brésilien donnait en effet cette impression de livrer un combat. Comme lors de la finale de 2001, où il s’allonge, épuisé, au milieu d’un cœur dessiné à la raquette.
Retour à la terre
La Fédération française de tennis a pris conscience du problème. Aujourd’hui, elle aide les ligues de tennis françaises à développer la terre battue. Chaque année, la FFT subventionne la rénovation d’une cinquantaine de terrains en terre battue, à hauteur de 5 000 euros chacun (un court coûte entre 20 000 et 40 000 euros). "Mais nous restons tributaire de la bonne volonté des clubs, concède Jean-Charles Larrieu, ingénieur au service de l’équipement de la fédération. Ce sont pour la plupart des petites structures : elles ne possèdent que trois ou quatre courts, et privilégient les terrains en durs pour pouvoir jouer toute l’année."
L’an dernier, la Française Marion Bartoli, au soir de sa défaite face à Shahar Peer au troisième tour, regrettait de n'avoir pu pratiquer cette surface que très tard dans les centres de formation. Cette année, la joueuse corse porte tout de même les espoirs de victoire tricolore en demi-finale.