Les dirigeants européens paient le prix des plans de rigueur et multiplient les revers électoraux. Mais les victoires de leurs adversaires sont en trompe-l'oeil : les électeurs désertent les urnes, comme hier au Portugal. Certains cèdent aux sirènes populistes, d'autres sont vraiment indignés et veulent une démocratie plus réelle.
Il ne fait pas bon être au pouvoir en ces temps de crise économique. La déroute dimanche du Parti socialiste portugais est brutale, mais sans surprise. La sanction électorale est toujours la même en Europe ces derniers mois pour les partis au pouvoir.
Les électeurs rendent inexorablement la monnaie de la pièce aux élus qui leur font payer au prix fort une crise dont ils ne s'estiment en rien responsables: en France aux cantonales, en Allemagne lors des élections dans plusieurs Länder cet hiver et au printemps, en Irlande aux législatives de mars, en Italie aux municipales de la semaine dernière, en Espagne une semaine plus tôt et maintenant au Portugal.
Le Premier ministre portugais sortant, José Socrates, en était à son troisième plan d'austérité budgétaire et sociale et avait demandé en vain un blanc seing pour en mettre un œuvre un quatrième. Les députés lui ayant refusé, il a remis en jeu son mandat. Attitude électoralement suicidaire alors qu'il avait amputé à la hache le pouvoir d'achat de bon nombre des ses électeurs, notamment les fonctionnaires.
Légitimité fragile
Où sont passé les électeurs qui ont fait défaut aux socialistes portugais? Ils ont, pour une bonne part, gonflé les rangs des 41% d'abstentionnistes. Un record depuis la fin de la dictature salazariste. Car, à y regarder de près, la "victoire" du parti de centre-droit, le PSD, n'en est pas vraiment une. Avec 40% des suffrages exprimés, un électeur seulement sur quatre a voté pour cette formation qui se propose d'imposer une rigueur encore plus drastique que celle du gouvernement sortant.
Légitimement fragile, le nouveau gouvernement va se retrouver rapidement dans la situation du précédent: condamné à une impopularité grandissante au fil des mesures prises pour renflouer les caisses de l'Etat et pour payer la dette et ses intérêts disproportionnés.
Crise de confiance
Rien de plus normal que ces alternances politiques à répétition, dira-t-on. Certes, mais, aujourd'hui, au Portugal comme en Grèce, en Espagne et ailleurs, ce n'est plus seulement l'économie qui est en crise, mais la démocratie représentative. Nombre d'Européens affirment leur citoyenneté autrement.
Face à l'absence de véritable alternative entre gauche et droite institutionnelles qui appliquent, peu ou prou, les mêmes recettes imposées par leurs créanciers pour réduire l'endettement de leur pays, ils ne veulent plus se contenter de déposer un bulletin dans une urne. Plus question de donner tout pouvoir à des élus qui, hier comme demain, vont, ils en sont convaincus d'avance, les trahir.
Cette perte de confiance dans la démocratie représentative peu engendrer le pire comme le meilleur. Dans certains pays, comme en France, en Autriche, aux Pays-Bas et en Finlande l'extrême-droite surfe sur un populisme dénonciateur pour se présenter comme la seul vraie force d'alternance face à la "connivence" des partis institutionnels. Elle récupère ainsi facilement une partie du vote protestataire et, paradoxalement, réintègre dans le système parlementaire – dés lors qu'elle a députés élus – des déçus de la démocratie représentative.
Démocratie renouvelée
Mais à l'autre extrême de l'échiquier politique, les partis de rupture restent relativement marginaux. Au Portugal ce dimanche, la gauche antilibérale a plafonné à moins de 8% et l'extrême-gauche a atteint péniblement 5%.
Paradoxe? Pas vraiment. Les vrais déçus de la démocratie "classique" frappés de plein fouet par la crise économique, sont cohérents: il n'est plus question de donner un mandat à un tiers pour les représenter, de lui déléguer un pouvoir. Pour eux, la démocratie doit être "directe". Les "indignados" de Madrid, comme ceux d'Athènes et d'ailleurs sont à ce point obsédés par leur refus d'être récupérés par les politiques de tous bords, qu'ils refusent même la délégation de pouvoir au sein de leur mouvement.
Par son idéalisation de la spontanéité, par son choix de privilégier le débat permanent, la voix choisie est dès lors étroite. Le "Mouvement du 15 Mai" et ses déclinaisons dans d'autres pays est fragile, mais porteur d'un espoir profond dans une démocratie renouvelée.
Avec néanmoins une contradiction politique majeure. Les Indignés prennent le risque de jeter le bébé avec l'eau du bain démocratique: en refusant de faire des choix politiques, ils risquent une abstention qui laisse la place libre aux groupes politiques les plus hostiles à leur mouvement.