Fort de son bilan économique, le Premier ministre Erdogan a, sans surprise, remporté dimanche les élections légismative. Avec près de 50% des suffrages, il ne disposera cependant pas, comme il l'espérait, des deux tiers des sièges à l'Assemblée nationale nécessaires pour modifier par referendum la Constitution.
Le visage confiant de Recep Tayyip Erdogan est partout. Dans les journaux, sur les innombrables panneaux publicitaires, sur les milliers de camionnettes électorales qui sillonnent le pays, l’image du premier ministre turc et ses slogans ambitieux inondent le pays à cinq jours des élections législatives du 12 juin. “Notre nation avait des rêves, ils se sont réalisés” lance-t-il régulièrement pour résumer son action notamment économique depuis plus de huit ans.
"Miracle économique"
En novembre 2002, lors de son arrivée au pouvoir, le chef du parti AKP (Parti de la justice et du développement) avait, en effet, trouvé un pays mis à genou par la grave crise financière de 2001. Aujourd’hui, la Turquie est la 16ème économie du monde Elle a vu son PIB par habitant tripler passant de 3 500 dollars en 2002 à 10 079 dollars en 2010. Même réussite pour l’inflation passée en dessous de la barre des 10% et du déficit budgétaire proche des 3%.
Quant à la crise économique qui a frappé le monde en 2008 et 2009, la Turquie a su s’en remettre avec une rapidité surprenante, passant en 2009 d’une croissance négatif (-4,8%)à une croissance record en 2010 (8,9%). Et pour 2011, le gouvernement a déja annoncé qu’il surpasserait ses propres prévisions de 4,5%.
Top ten des économies mondiales
Ambitieux et conquérant donc, Recep tayyip Erdogan voit loin. Son objectif est de faire de son pays la 10ème économie du monde d’ici 2023, date du centenaire de la République. "Vous voyez, nous pensons à 2023 alors que des pays tels que les Etats-Unis ne savent pas ce qu’ils feront l’an prochain”, ironise le ministre de l’économie Ali Babacan. Et d'ajouter, plus sérieux mais pas moins fier:
“Nous avons réalisé les réformes structurelles que des pays tels que les Etats-Unis et l’Union européenne entreprennent maintenant. C’est pour cela que nous n’avons pas été touchés par la crise globale”.
Pour Can Buharali du centre de recherche Edam basé à Istanbul, la politique économique du gouvernement turc est effectivement un “succès”.
L’AKP a su poursuivre et ajuster les mesures prises en 2001 par le ministre de l’économie Kemal Dervis. Cela a fourni une certaine stabilité à l’économie turque et donné une confiance aux investisseurs turcs et étrangers".
Une armée de fans
Au sein de la population, ces progrès trouvent généralement un échos favorable. “Je ne vote pas pour ce parti mais je constate que le pays a beaucoup changé” admet Mustafa, un fonctionnaire stambouliote. “Le système de santé notamment a énormément évolué. Désormais nous avons des soins gratuits”.
Betül Onat, une étudiante de 19 ans, ne tarit pas d’éloge sur Recep Tayyip Erdogan.
Je l’adore. Il est le meilleur premier ministre de toute l’histoire de la Turquie. Ses actes parlent pour lui”.
Sous le charme, cette jeune femme ne se lasse pas de lister les avancées qu’a connues son pays depuis huit ans.
Aujourd’hui la Turquie est un pays qui compte au niveau international et que tout le monde écoute. De plus, Recep tayyip Erdogan a beaucoup amélioré le système social, les livres scolaires sont gratuits dans les écoles et dans les lycées.”
Pour Vahap Coskun du centre d’analyse Disa basé à Diyarbakir dans l’Est du pays, l’ensemble de ces mesures auront un impact à long terme sur la population.
Même si tout le monde ne voit pas ses revenus augmenter, l’amélioration des infrastructures de base telles que les routes, l’accès facilité à la propriété et aux transports aériens ont accru la confiance en soi des habitants de ce pays. L’AKP a su tisser un lien entre lui et la population".
Inégalités persistantes
Pourtant, les défis restent nombreux dans ce pays de 72 millions d’habitants parmi les plus inégalitaires au monde. Si depuis 2006 la Turquie ne compte plus de ménage gagnant moins d’un dollar par jour et par personne, elle compte encore 18% de pauvres et un taux de chômage qui ne baisse pas malgré la forte croissance économique.
Quant aux écarts régionaux, ils restent très importants. Les régions du Sud-Est à majorité kurde pointant bonnes dernières en terme de revenus, d’accès aux soins et à l’éducation.
Les analystes tirent, par ailleurs, la sonnette d’alarme face à une économie en surchauffe. En mai le taux d’inflation sur un an a dépassé de très loin les prévisions tout comme le déficit des comptes courants qui a atteint un niveau jugé inquiétant.
Le gouvernement, lui, relativise ces craintes et poursuit sur sa lancée. A la veille des élections, il promet aux Turcs, en demande de prestige et de réussite sociale, davantage de routes, de logements et de grands travaux.
(Papier actualisé lindi 13 juin à 12h avec le résulat provisoire des élections. Nous publions un nouvel article de Delphine Nerbollier, notre correspondante à Istanbul, dés l'annonce des résultats définitifs en fin de journée).