Achetons la dette grecque pour sauver l’Europe!
L'Europe peine à mettre en place un 2ème plan de sauvetage pour la Grèce, au bord du gouffre. Un prêt d'une centaine de milliards d'euros pourrait être accordé. De quoi tenir un an ou deux. Et si l'UE rachetait toute la dette grecque? C'est possible.
A votre bon cœur, messieurs les ministres des Finances! 200 milliards d’euros, 250 au pire, c’est donné pour sauver définitivement la Grèce et par ricochet la zone euro. Vous tergiversez pour une nouvelle rallonge de l’ordre de 80 milliards d’euros. Tout au plus une nouvelle bouffée d’oxygène – mais jusqu’à quand ?
Pourquoi ne pas aller plus loin et "européaniser" la dette souveraine grecque ? Par solidarité bien sûr, mais aussi par intérêt, pour éviter tout risque de "faillite" de la Grèce et donc de contagion au système bancaire.
Une hypothèse irréaliste ? Pas si sûr. Un rapide calcul pour s’en convaincre: La dette souveraine grecque frôle les 350 milliards, mais l’UE et le FMI en détiennent déjà 110 milliards depuis le premier plan de sauvetage, il y a un an. Il faut également tenir compte de la petite centaine de milliards de créances détenues par la BCE. Cela signifie que les institutions internationales détiendront à terme l'essentiel de la dette grecque. Et pourquoi pas tout, tout de suite?
Desserer les taux
"Les montants [à racheter] ne sont vraiment pas grand-chose", à l'échelle de l'Europe, assure Julia Cagé, enseignante à l'université de Harvard et à l'Ecole d'économie de Paris. Avec Thomas Chalumeau elle vient de rédiger pour la Fondation Terra Nova une note intitulée "Dette grecque : l’Europe ou le chaos".
Plutôt qu'une restructuration périlleuse ou une nouvelle enveloppe "qui ne fait que repousser le problème", ils préconisent
le rachat par la Banque centrale européenne (BCE) et par le Mécanisme européen de stabilité (MSE) de l’ensemble des titres de dettes obligataires souveraines, et le remboursement de l’intégralité de sa dette par la Grèce directement à ces institutions, à des taux beaucoup plus raisonnables.
Alors que les Etats de la zone euro ne parviennent pas à s'accorder sur un nouveau plan de sauvetage et au moment où le Premier ministre grec George Papandreou en est réduit à demander, sans succès, la formation un gouvernement d'union nationale à condition que ce dernier soutienne le plan élaboré par l'UE et le FMI – autrement-dit de nouvelles mesures d'austérité et des privatisations – l'hypothèse d'une "européanisation" de la dette mérite d'être étudiée.
Dans une note datée de janvier 2011, Dominique Plihon, professeur d'économie financière à l'Université Paris XIII et "économiste atterré", propose aussi le financement – mais d'une partie seulement – de la dette publique par la BCE. Ses statuts "lui interdisent en principe de financer des Etats en effectuant de la création monétaire". Sauf qu'elle a enfreint cette règle à deux reprise en 2010, rappelle-t-il.
Cercle vicieux
Le point de départ de l'analyse de Terra nova est simple : la Grèce, un an après le premier plan de sauvetage, s'enfonce au lieu de se redresser. Les remèdes préconisés, comme le nouveau plan d'austérité et de privatisations discuté depuis mercredi soir au Parlement grec, plombent chaque jour un peu plus les espoirs d’un retour à la croissance. Conséquence de ce cercle vicieux, Athènes connaitra la récession pour la 3ème année consécutive. Et le déficit budgétaire continue d’exploser.
En réalité, la crise grecque durera tant que la Grèce n’arrivera pas à redresser son économie. Et elle ne pourra redresser son économie tant qu’elle restera écrasée par le poids de sa dette. La Grèce par ailleurs ne pourra s’en sortir seule,
expliquent Julia Cagé et Thomas Chalumeau. Un constat partagé par Nobert Gaillard, économiste et consultant auprès de la Banque mondiale:
Le pays n'a pas la capacité de créer assez de richesses pour rembourser. Son industrie est quasi-inexistante et les services sont concentrés dans le tourisme, mais cela n'engendre pas assez de valeur. Alors qui va payer? Les grandes fortunes grecques ont fui le pays. On va demander aux pêcheurs, aux restaurateurs, aux fonctionnaires de rembourser des centaines de milliards? Ce n’est pas sérieux. Aujourd'hui c'est la grève générale, demain ce sera des révoltes sociales violentes.
Comprendre : si la situation sociale se détériore, les investisseurs pourraient tout perdre. A l'inverse, "pour les Grecs, une mutualisation européenne de leur dette permettra de rendre acceptable les sacrifices demandés. Si on renfloue vraiment la Grèce, on évite le risque de crise systémique."
Effet domino
Pour alléger le fardeau et éviter la banqueroute, les deux économistes de Terra Nova rejettent catégoriquement l'idée d'une restructuration, même "douce" [l'Allemagne defend l'idée d'un allongement de 7 ans de la durée de remboursement].
Ce serait la pire des solutions. Ses conséquences seraient incalculables : effondrement du secteur financier grec, déstabilisation de la BCE (qui détient 90 milliards de prêts sur les banques grecques), contagion à l’Espagne, l’Irlande et le Portugal, avec à la clé une explosion des coûts de financement dans toute l’Europe. Pire encore : elle ne changerait rien au problème grec. Même après une restructuration 'hard' ou 'soft', la Grèce se retrouverait très probablement à nouveau… en situation de non solvabilité en 2015 ou 2016.
La BCE est sur la même ligne : risque d'effet domino, perte de crédiblité de la zone euro, affolement incontrôlable – toute participation des créanciers privés doit être "purement volontaire".
Les ministres des Finances de la zone euro préfèrent gagner du temps et parer au plus pressé.
Pour desserer l'étau et faire face aux prochaines échéances, le ministre belge des Finances, Didier Reynders a chiffré la rallonge nécessaire à "plus de 80 milliards d'euros". Même si les Etats s'entendent sur un montant d'aide conséquent, ce deuxième plan risque de ne rien régler. L’agence de notation Standard & Poors souligne que la Grèce a des besoins de refinancement de sa dette pour environ 95 milliards d'euros d'ici à 2013, auxquels s'ajouteront 58 milliards d'euros d'obligations arrivant à maturité en 2014.
Aujourd'hui plutôt que demain
"On arrête pas de repousser la solution, commente Julia Cagé. On ne va même pas obtenir une acalmie mais, au mieux, un statu quo".
S'il est déjà acquis que les pays de la zone euro devront remettre au pot tôt ou tard – sans doute assez tôt en fait -, pourquoi ne pas injecter dès maintenant toutes les liquidités nécessaires pour mettre un terme à la crise?
Le Fonds européen de stabilisitation financière (FESF) permet déjà de lever 440 milliards d'euros ; le Mécanisme européen de stabilisation (MES), qui verra le jour en 2013, sera doté de 500 milliards. Les instruments existent donc – même s'ils ne peuvent être activés qu'à la suite d'un vote des Parlements nationaux.
Intégration économique
L'objectif est de sauver la Grèce de façon pérenne, pas de lui faire un cadeau. "La Grèce se doit de rembourser l’ensemble de sa dette, mais à des taux beaucoup plus raisonnables que ceux qui lui sont imposés aujourd’hui", martèlent les économistes de Terra Nova.
il y aura un coût élevé pour la Grèce en termes de rigueur et de surveillance renforcées, avec la poursuite de l’ajustement budgétaire à Athènes et le retour à une trajectoire soutenable des finances publiques.
Encore faut-il convaincre l'Allemagne – dont le gouvernement Merkel, sous la pression des contribuables, rechigne à aider encore la Grèce sans de fortes contreparties – du bien-fondé de cette démarche. C'est pourquoi Julia Cagé et Thomas Chalumeau insiste sur la nécessaire intégration économique de la zone euro.
En premier lieu, sur le cas grec, en exigeant de durcir encore son droit de regard sur les dépenses budgétaires grecques et sur ses choix essentiels à sa compétitivité. Parallèlement au niveau communautaire, en actant dans les statuts un saut fédéral majeur : celui de doter le Conseil des ministres des Finances d’un véritable droit de véto général en Europe sur certaines décisions de politique économique nationale, lorsqu’un pays à sollicité l’aide de la zone euro, en attendant la création, dans un second temps, d’un véritable 'Ministre des Finances de la zone euro', comme l’a proposé Jean-Claude Trichet.
La crise des dettes souveraines pourrait donc être l'occasion d'avancer vers un gouvernement économique européen, une forme de fédéralisme. On peut aussi y voir une mise sous tutelle…
Solution la moins pire
Les économistes de Terra Nova ont également anticipé un autre reproche, un point qui fait justement débat en ce moment entre les Etats membres : la participation des créanciers privés au sauvetage de la Grèce. Le think tank proche du PS préconise un rachat de la dette au cours actuel du marché, soit à un taux inférieur de 30 à 40% au nominal des titres [la valeur qu’ils sont censés avoir pour les détenteurs].
Les créanciers ne vont clairement pas sauter au plafonds. Est-ce qu’ils seraient perdants ? Par rapport à une restructuration, sans doute pas. Ce serait la moins pire des solutions pour eux,
explique Julia Cagé.
Le système présente malgré tout une limite, et de taille. "Si la BCE accepte de reprendre la dette grecque, il n'y a aucune raison que le Portugal ou l'Espagne ne demande pas à leur tour une européanisation d'une partie de leur dette", estime l'économiste. Les sommes en jeu seraient alors vraiment colossales.