Symbole de la lutte contre la criminalité organisée et le clientélisme, Luigi De Magistris devient, à 44 ans, le nouveau maire de Naples, capitale de la Camorra. Bien que membre de "l'Italie des valeurs" du juge di Pietro, cet ex-Procureur de la République est une personnalité politique indépendante et atypique.
Luigi de Magistris avait une carrière toute tracée : faire comme papa, grand papa et arrière-grand papa: magistrat. Mais dans ses bagages familiaux, il n'y a pas que la magistrature et le droit, il y a aussi le courage: l’arrière-grand-père de De Magistris s’était déjà fait remarquer pour son âpreté dans la lutte contre la contrebande. Il fut même victime d’un attentat pour avoir pourchassé les criminels durant les premières années de l’Unité italienne.
En 1995, De Magistris devient Procureur de la République et exerce à Naples de 1998 à 2002. A cette date, il est nommé Procureur adjoint de Catanzaro, en Calabre, et commence à enquêter toujours plus profondément sur les liens entre mafia et politique.
Deux enquêtes phare
A Catanzaro, De Magistris ouvre une enquête appelée "Poseidone" où il cherche à mettre en lumière la corruption liée aux fonds européens qui sont détournés au profit de la criminalité organisée et des clans politiques en particulier dans le domaine du filtrage des eaux. Des noms de politiciens ressortent des écoutes et des enquêtes : on lui retire le dossier.
L’enquête ‘Why not’ du nom d'une agence d'emploi temporaire ayant détourné des fonds publics pour le compte de personnalités haut placées subira le même sort que Poseidone. Le magistrat de Calabre révèle le nom de politiciens impliqués – de droite comme de gauche – et remonte très haut dans la hiérarchie de l’Etat : il est de nouveau écarté du dossier.
Médiatique, enclin à dévoiler facilement les résultats des enquêtes à la presse, De Magistris est radié du barreau et se lance en politique. Il est élu aux élections européennes de 2002 à 2009 et rejoint "l’Italie des Valeurs", le parti fondé par un autre magistrat, Antonio Di Pietro, célèbre pour avoir mené l'opération "mains propres" en Sicile contre la Mafia.
Sa victoire le 30 mai aux élections municipales de Naples avec plus de 65 % des voix est un vrai tremblement de terre, il ne cesse de le répéter Naples est "libérée".
Naples "libérée"
"Libérez vous ! Ils (la Camorra) vous tiennent en laisse ils vous donnent du travail comme s’il s’agissait d’un privilège ! Libérez vous !" la campagne de De Magistris se focalise sur la lutte contre la criminalité organisée.
La lutte contre le clientélisme politique est un autre pilier de la campagne De Magistris dans une ville où les votes s’achètent contre du pain, des billets de banque ou de faux emplois:
La Camorra garantit le succès électoral aux politiciens en échange de certains appels d’offres gagnés d’avance ou de commandes publiques aux industriels de l'incinération ou de tout autre secteur. Il faut mettre un point final à cette annulation de la démocratie et de l’état de droit.
Symbole de cette gangrène : la gestion des ordures de la ville:
Le mauvais cycle de transformation des déchets est la parabole d’une dégénération politique et sociale sans précédent dans notre pays ou en Europe, le symbole d’un Etat qui abdique pour laisser la Camorra et les affairistes s’enrichir sur ce drame grâce à la collusion de l’administration publique.
Il faut dire qu'à ce jour, l’unique solution proposée pour résoudre le casse-tête des déchets et celle du tri différencié…
Le mauvais magistrat
"Stakhanoviste, d’un enthousiasme incroyable", comme le décrivent ces proches, "il ne laisse aucune marge à la fatigue de l’équipe ou à la résignation, un vrai bulldozer" explique Alessandro De Rienzo un proche collaborateur qui l’a suivi dans toute la campagne électoral.
Si ces adversaires politiques critiquent son trop plein d’idéalisme, on préfère dans son camp le décrire en "idéaliste, certes, mais qui sait traduire ses mots en acte" et préfère porter des chemises aux manches retroussées plutôt que de perdre du temps à choisir des costumes.
Très préparé comme Magistrat, De Magistris n’a pas encore de grande expérience politique. La ville de Naples est un lieu difficile, surtout lorsque les propositions sont aussi révolutionnaires puisqu'elles attaquent l’organisation même de la ville, structurée depuis trop longtemps par l'économie mafieuse.
Dans son livre ‘le mauvais Magistrat’ où il reprend les différentes attaques diffamatoires sur ses capacités juridiques, De Magistris écrit:
Toute ma vie j’ai du me défendre : je continuerai à le faire mais je ne me priverai pas d'attaquer… pour gagner. Quelle victoire ? Donner le pouvoir au peuple et à tous ceux qui ont soif de justice.