A l'initiative de l’Allemagne, le programme européen d’aide alimentaire aux plus démunis sera amputé de 400 millions d’euros en 2012. Les associations caritatives, notamment les Restos du cœur et la Banque alimentaire, sont consternées et risquent de ne plus pouvoir subvenir aux besoins des plus démunis.
Le 20 juin 2011, au lendemain du 25ème anniversaire de la mort de Coluche, la Commission européenne a annoncé une bien mauvaise nouvelle aux associations caritatives : elle n’a pas fait appel contre la décision de la Cour de Justice de l'Union Européenne (CJUE).
Saisie par l’Allemagne, la CJUE avait décidé en avril dernier que, désormais, les denrées distribuées par le Programme européenne d’aide alimentaire aux plus démunis (PEAD) ne seraient puisées que dans les stocks déjà existants et ne pouvaient pas être achetées sur le marché mondial. Mauvaise ironie de l'histoire, c'est Coluche, choqué par les stocks de nourriture accumulés par une PAC sur-productive, qui avait fait appel en 1986 à Jacques Delors pour que les Restos du cœur bénéfient d'une aide alimentaire européenne…
Cinq fois moins de moyens en 2012…
Lorsque le programme d'aide européen avait été mis en place en 1987, la part des financements directs de Bruxelles était marginale et ne servait qu’à compléter les stocks publics lorsque ceux-ci s’avéraient insuffisants. Cependant, à la suite des réformes de la PAC, les stocks ont progressivement baissé alors que les financements européens ont augmenté.
Ainsi, en 2009, par manque d’excédents agricoles, l’Europe a remplacé l’aide par les stocks par une enveloppe représentant 1% du budget de la PAC, soit environ 500 millions d’euros.
Dans son communiqué de presse, la Commission explique que "le programme 2012 prévoit exclusivement de puiser dans les stocks d’intervention existants disponibles (162.000 tonnes de céréales et 54.000 tonnes de poudre de lait écrémé en intervention)".
Ce qui représente une aide en nature de seulement 113 millions d’euros, soit une coupe de près de 400 millions d’euros.
… mais toujours plus de démunis à aider
Selon les estimations de Bruxelles, "43 millions de personnes dans l’UE sont menacées par la pauvreté alimentaire" alors même que l’accès à l’alimentation est un objectif prioritaire de la PAC.
En 2011, la France a reçu pour 73 millions d’euros d’aides afin de lutter contre la pauvreté alimentaire. Ces denrées sont ensuite relayées par quatre associations : la Fédération françaises des banques alimentaires, les Restos du Cœur, la Croix-Rouge et le Secours Populaire.
Le président des Restos du cœur, Olivier Berthe, souligne le caractère dramatique de la situation.
Rien que pour les Restos, l’aide européenne représente un quart du programme alimentaire et a donc permis de distribuer 25 millions de repas en 2010. Sans cette aide, ce sont 20 millions de repas qui ne pourront être distribués l’année prochaine".
Au niveau du continent, 2 millions d’Européens seraient ainsi privés de l’aide alimentaire l’année prochaine. 20 des 27 Etats de l’Union participent en effet au programme d’aide alimentaire.
Les associations caritatives "consternées"
En France, 40% de l’aide du PEAD est gérée par la Fédération française des banques alimentaires. Le programme européen qui représente un tiers des approvisionnements de ce réseau de banques alimentaires avait permis de distribuer 61 millions de repas en 2010. Son directeur fédéral, Maurice Lony, se dit
consterné que l’UE puisse se désintéresser du sort des plus démunis. Pour nous, cela signifie que 200 000 personnes ne recevront pas d’aide l’an prochain".
Selon lui, il en va même du devoir premier de l’Union : "Si l’UE n’est pas capable d’aider les plus démunis, à quoi sert-elle ?".
Faire évoluer le règlement
Olivier Berthe qui ne cahe pas sa "colère profonde" nous a affirmé que "cette décision montre bien qu’il est indispensable de faire évoluer le règlement car il n’est pas tolérable que les associations subissent une telle coupe dans leur budget".
De plus, la Commission, favorable au renforcement du programme d'aide, est soutenue par le Parlement européen ainsi que les acteurs caritatif, face à une minorité de sept pays, dont l’Allemagne, le Royaume-Uni, le Danemark et la République Tchèque, qui bloquent le vote au Conseil et refusent de faire évoluer le programme européen.
L’Allemagne se défausse en mettant en avant son système fédéral qui ne permet pas à Berlin de participer directement car l’aide sociale est un domaine réservé des Länder. Le cas de la République Tchèque est plus énigmatique: bien qu’elle soit bénéficiaire du programme, la République vote contre l’évolution du règlement. Olivier Berthe ne comprend pas ces "positions illogiques".
"Tout n’est pas perdu"
Sur le pied de guerre, les associations se mobilisent pour faire pression sur les politiques. Depuis trois mois, les Restos du cœur ont "tiré toutes les sonnettes d’alarme". En plus d'avoir lancé l'action Sauvons les frigos de l'Europe, l'organisation a rencontré des membres du gouvernement comme Bruno Lemaire ou Laurent Wauquiez et l'eurodéputé français Stéphane Lefoll. Olivier Berthe est "persuadé qu’une forte volonté politique française peut faire basculer le vote".
J’espère que, dans les trois prochains mois, l’initiative sera prise par le Conseil européen et la Commission et qu’une rallonge sera octroyée pour revenir au 500 millions d’avant. A défaut de cela, il y aura une catastrophe en 2012 et les seuls responsables seront les sept pays de la minorité de blocage",
prévient Olivier Berthe.