Le 5 juillet 2010, l'Espagne légalisait l'avortement. Un an après, la polémique est toujours aussi vive et l'accès à l'IVG reste difficile dans certaines régions. Des militants "pro-vie" se sont invités Puerta del Sol, la place emblématique des Indignés.
Depuis le 5 juillet 2010, les Espagnoles peuvent avorter librement pendant les quatorze premières semaines de la grossesse, et jusqu’à vingt-deux semaines en cas de danger pour la mère ou si l’enfant à naître est non-viable. Un an après son entrée en vigueur, le débat continue.
Oppositions politiques
Cette mesure clé de la seconde législature de José Luis Rodríguez Zapatero met fin à un système pour le moins hypocrite: le texte antérieur permettait aux femmes d’avorter au prétexte soit d’un viol, soit d’un danger pour leur santé mentale. C’était là la seule voie de sortie pour les femmes souhaitant mettre fin à une grossesse non désirée, l’avortement étant par ailleurs pénalement répréhensible – sauf en cas de danger pour la santé de la mère ou pour l’enfant.
Le Partido Popular (PP, conservateurs) a déposé un recours devant le Tribunal Constitutionnel qui ne s’est toujours pas prononcé, un an après l’entrée en vigueur du texte. Le PP, probable vainqueur des prochaines élections législatives de 2012 a promis à ses militants "pro-vie"(entendez : anti-avortement) d'abroger la loi une fois au pouvoir. Les analystes jugent toutefois improbable un tel retour en arrière.
Guerre des chiffres et des idées
Un an d’application de la nouvelle loi n’a pas servi à atténuer la polémique. D’aucuns accusent le Gouvernement de ne pas soutenir la maternité. D’autres avancent des chiffres catastrophiques en termes d’augmentation du nombre d’avortements: la Fondation RedMadre, rapporte El Mundo, affirme que le nombre d’avortements a augmenté de 30%. L’Association des Cliniques Accréditées pour l’Interruption de la Grossesse (ACAI) calcule quant à elle que ce chiffre a baissé de 5%.
Cette baisse tient cependant à des raisons purement démographiques: le nombre d’Espagnoles en âge de procréer a baissé, de même que celui des immigrantes, alors que ces dernières "composaient la majorité des femmes qui avortaient à Madrid les années précédentes", selon la porte-parole d’ACAI, Empar Pineda. Les associations Derecho A Vivir et Foro Español de la Familia estiment que ces chiffres sont irréalistes car ils ne prennent pas en compte "les avortements issus de l’utilisation de la pilule du lendemain", rapporte ABC !
RedMadre affirme que le nombre de mineures ayant recouru à ses services de soutien et de conseil a augmenté de 45% en 2010. Parmi elles, toujours selon la fondation, 80% ont finalement décidé de poursuivre leur grossesse.
Avec la nouvelle loi, les adolescentes de plus de seize ans sont censées avertir leurs parents en cas d’avortement mais sans que l’intervention ne requière leur consentement. Les jeunes filles de 16 ans à 18 ans peuvent cependant être dispensées de cette obligation, dans les cas de "conflits graves" avec la famille, par exemple).
Un système fragile
Ces polémiques idéologiques ont conduit la loi à faire l’objet de diverses interprétations qui nuisent à son bon fonctionnement. En Espagne, la santé publique fait partie des compétences des communautés autonomes.
Il y a une loi à niveau national mais dix-sept autres lois qui règlent au quotidien l’application de ce texte. Si bien que les Espagnoles n’ont pas le même accès à l’avortement en fonction de la région dans laquelle elles résident",
s’indigne Empar Pineda, porte-parole d'ACAI. Autre problème dénoncé par l’ACAI :
Les hôpitaux accusent des retards de paiement aux cliniques privées de six à vingt mois, ce qui met en danger la continuité de cette prestation."
Malgré la légalité de l’avortement, les hôpitaux publics ne pratiquent pas cette intervention. Ils envoient en effet les femmes qui souhaitent mettre fin à leur grossesse vers les cliniques accréditées à cet effet et sont censés rembourser la prestation à ces dernières. Les retards de paiement sont monnaie courante dans la santé publique et ne concernent pas seulement ce genre de prestations. Toutefois, ces dettes non payées placent les cliniques dans des postures financières parfois difficilement soutenables.
Les "indignés" de l'avortement
Cette situation ne risque pas d’émouvoir les manifestants qui se sont réunis en divers points du pays ce week-end pour protester contre la loi sur l’avortement. Parmi eux, un groupe de jeunes de l’association Derecho a vivir (droit de vivre) a même décidé de planter une tente sur la Puerta del Sol de Madrid, devenue l’épicentre de la contestation sociale avec le Mouvement du 15-M. Ils disent qu’ils ne resteront pas plus d’un mois.
Nous sommes ici car nous sommes indignés par la loi sur l’avortement",
expliquait mardi matin une jeune femme à MyEurop, s'escrimant à barrer le passage aux badauds qui risquaient de troubler l’enregistrement vidéo de l’interview télé d’un des représentants "pro-vie". Certains en étaient d’ailleurs passablement agacés.
Stand de l'association "pro-vie" Derecho a vivir, Puerta del Sol
La militante nous a précisé que les Indignés pro-vie sont, comme les Indignés du 15-M (ils n’ont rien à voir avec ces derniers, mais se servent, et c’est leur droit, du terme désormais consacrés "d’Indignés"), apolitiques et aconfessionnels.
Les jeunes anti-avortement ont même convoqué une "assemblée citoyenne" à la manière des Indignados pour débattre de l’avortement. Ce qui pourrait ressembler à une provocation a été relativement bien accueilli par les quelques Indignés qui maintiennent un poste d’information sur la Puerta del Sol. El País rapportait que certains d’entre eux ont calmé les esprits en rappelant que "la place est à tout le monde". Belle leçon de tolérance.