Après le succès de la "Nuit d'internet" organisée pour contrer la décision de l'Hadopi italienne de censurer les sites qui violent les droits d’auteurs, MyEurop a rencontré Luca Nicotra, à l'origine de cet évènement. Il plaide pour un internet "libre et démocratique".
Le 6 juin, l’AgCom, l’’Autorité indépendante italienne pour la garantie des communications’ (Autorità per le Garanzie nelle Comunicazioni) a émis une délibération qui vise à lutter contre la violation du droit d’auteur sur Internet. Elle sera mise en application à l'issue de 60 jours de de consultation publique.
Cette délibération permet à l’Autorité de retirer des contenus sur internet et même d’obscurcir les sites qui violeraient les droits d’auteur et cela, sans décision de justice.
Mardi soir, à Rome, à la Domus Talenti, l’organisation Agora Digitale et plusieurs autres associations, ont organisé une Nuit pour Internet invitant des personnalités de la politique et de la culture à s’exprimer, comme le prix Nobel Dario Fo, la radicale Emma Bonino, ou le président du parti l’Italie des valeurs, Antonio Di Pietro.
La soirée a commencé par une minute de silence des participants qui se sont bâillonnés en signe de protestation contre la censure.
MyEurop a rencontré Luca Nicotra, secrétaire de l’organisation Agora Digitale. Interview.
Streaming sur de nombreux sites d’informations, blogs, twitter. Combien de personnes ont participé à l’évènement?
Quelques 500 personnes sont passées à la Domus Talenti (NDLR: Espace d'expositions et de congrès à Rome) durant les 3 heures de la soirée, mais sur Internet, nous avons atteint des chiffres incroyables, et surtout si on considère que le thème n’est pas forcément facile.
Et sur internet?
Nous sommes arrivés au niveau d’une bonne chaine télé satellitaire: grâce au site du quotidien Il fatto quotidiano qui nous a prêté sa plateforme et permis de copier le code pour être partagé sur d’autres sites nous avons enregistré 100 000 contacts sur le site même pour la retransmission en directe. Il faut ajouter à cela, les sites du Corriere.it, Rainews et Skytg, ainsi que plus de 100 blogs différents qui ont relayé les transmissions.
Alors, content du résultat?
Oui, la délibération a été votée et l’expérience en soi valait la peine. Nous avons donc été comblés, du point de vue de la présence politique et culturelle. Nous n’avions pas d’argent pour organiser la campagne et nous l’avons mise en place en moins d’une semaine. Imaginez ce que l’on pourrait faire sur des sujets plus porteurs, comme la précarité, par exemple.
L’Agcom est une ‘Autorité indépendante pour la garantie des communications’…Quelles sont exactement ses fonctions?
C’est une structure administrative chargée du suivi du système de l’information italienne. Ils ont d’ailleurs du boulot sur la planche si l'on considère que l’Italie est dans les derniers rangs pour la liberté de la presse dans le monde du fait de la domination écrasante de quelques groupes sur l'ensemble des moyens d'information.
Pourquoi, selon vous, cette délibération est-elle une grave atteinte à la liberté d’internet?
Cette Autorité peut, désormais, censurer à sa guise internet. Dans un cas de violation du droit d’auteur elle ne donne que 5 jours pour faire un recours et présenter des éléments de contradiction, et cela sans la magistrature, sans juges !
Mais, ne faut-il pas protéger la propriété intellectuelle?
Oui, bien sûr, mais pas comme ça. Et il faut être réaliste. S'ils veulent tout contrôler, ils seront submergés. Les cas de violations des droits d'auteur se comptent par milliers chaque jour. C'est le Far West. Comment vont-ils faire face?
Comment expliquez-vous cette décision drastique de l’Agcom? Quelles sont ses réelles motivations?
Il y a, avant tout, la pression des gros producteurs de contenus, les industries du cinéma, de la musique, qui, au niveau international, cherchent, depuis longtemps, un pays qui serve de modèle. Il y aussi les pressions des grands groupes qui ont le quasi-monopole de l’information. Ils veulent une réglementation pour ‘normaliser le web’. Internet est un environnement difficile à contrôler et ils veulent l'encadrer pour reprendre la main.
Votre organisation, Agora Digitale, est pour un ‘internet libre et démocratique’ vous pensez vraiment qu’internet est en danger?
Probablement. Les nouvelles technologies ont toujours une période initiale d’extrême liberté…Et puis arrive la réglementation. Relisez les articles publiés dans les années 70 à l’époque sur les radios libres ! Ils soulignaient le fait que désormais tout le monde peut ouvrir sa radio, donner son opinion, faire entendre sa vie, collaborer, diviser….C’était exactement pareil !
Et maintenant? Dans son intervention, Dario Fo disait "Nous sommes une nation horrible (…) Nous devons nous mobiliser avec la même agressivité dont ils font preuve".
Il faut beaucoup de détermination, mais regardez ce que nous avons fait en moins de 10 jours. Certains ont dit que derrière nous, nous avions Google, Microsoft….Ils devraient venir faire un tour dans nos bureaux ici pour comprendre que personne n’était derrière nous !
En Islande, ils sont en train de réécrire la Constitution de façon collaborative sur Internet. Il faut arriver à impliquer toujours plus les citoyens dans la réécriture des règles. C’est l’unique solution pour une résistance à long terme. Cette fois nous pouvons gagner, mais nous sommes devant des lobby puissants, qui vont vite…
Et dans l'immédiat?
Le règlement interne de l’Agcom lui impose de recueillir les observations. Nous avons déjà envoyé les notres, mais pour l’instant aucune n’a été prise en considération. Si sa décision est finalement mise en oeuvre mise à exécution nous ferons alors appel au Tribunal administratif et à la justice européenne Il s'agit rien de moins que du droit à la liberté d'expression. Ce n'est pas un sujet qui peut être décidé par une entité administrative, il faut en discuter au Parlement.