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Des bières pour sauver le catalan

mercredi, 13 juillet, 2011 - 14:41

La célèbre brasserie barcelonaise Moritz a décidé de s’inviter au Parlement Européen en envoyant une bière à chaque eurodéputé. Une directive pourrait imposer l'étiquetage des produits dans une langue officielle de l’Union, ce que le catalan n’est pas. Le débat sur le statut des langues régionales est relancé.

Qui a dit que boire une bière n’est pas politique ? Ce n’est pas un apéro géant qui s’est déroulé au Parlement Européen cette semaine, mais bien un débat sur une directive très sérieuse qui pourrait interdire l’étiquetage exclusif des produits dans une langue non officielle de l’Union Européenne.

L’entreprise Moritz, brasseur à Barcelone depuis 1856, s’oppose fermement à cette décision. Depuis son retour sur le marché en 2004, elle étiquette ses produits seulement en catalan, le pays de Dali faisant partie intégrante de l'ADN de la marque.

Même si ce n’est pas encore une langue officielle de l’Union européenne, le Catalan est parlé par 9 millions de personnes et c’est la langue officielle de Catalogne, où notre marque à ses origines et où nous vendons la majeure partie de notre production",

écrit le directeur général, Albert Castellon, dans une lettre adressée au Président du Parlement européen.

"Catalunya es Europa"

Avec chaque bouteille envoyée aux 736 eurodéputés, une carte sur laquelle est écrite, en anglais et en catalan, la devise suivante: "Boire une bière catalane c’est boire une bière européenne".

Très engagé, Moritz estime que la reconnaissance et la liberté d'usage du catalan comme langue à part entière passe, aussi, par l’étiquetage de ses produits. L'entreprise est par ailleurs très active sur la sauvegarde du patrimoine régional, comme en témoigne cette publicité réalisée à l'occation de l'inscription des Castellers (chateaux humains) au patrimoine mondial de l'Unesco.

Les langues officielles de l’Union européenne, sont à l'heure actuelle au nombre de 23, avec l’adoption du gaélique le 1er janvier 2007. Depuis 2004, les Catalans militent pour que leur langue, parlée en Catalogne, à Andorre, aux Baléares, dans le Pays Valencien (dialecte valenciano) et dans une partie de l’Aragon, soit reconnue comme langue officielle de l’UE.

En 2005, le président du Comité des Régions avait déjà signé un accord permettant l’usage du catalan, ainsi que du basque et du galicien, dans les institutions de l’Union européenne.

Catalans sans modération

La directive votée la semaine dernière au Parlement européen stipule que les Etats peuvent décider que l’étiquetage "se fasse dans une ou plusieurs langues officielles de l’UE".

Immédiatement, des eurodéputés catalans de tous bords politiques – Ramon Tremosa (CiU), Oriol Junqueras (ERC), Maria Badia, Raimon Obiols (PSC), Raül Romeva (ICV) et Santiago Fisas (PP) – se sont rassemblé pour présenter un amendement au texte:

Nous ne voulons pas que ce type de texte aille plus loin, pour éviter que de futurs gouvernements espagnols ne puisse se servir d’une directive européenne pour interdire l’étiquetage exclusif en catalan des produits",

a plaidé l’eurodéputé Ramon Tremosa.

Interprétation

D’après l’interprétation qui peut être faite de la loi, si un Etat-membre décide d’utiliser l’article 15 (2), les langues minoritaires ou non officielles de l’UE pourraient être utilisées uniquement de manière "additionnelle". Autrement dit, si l’Espagne souhaitait utiliser cette disposition, les produits étiquetés en catalan devraient l’être aussi en castillan.

Pour Ramon Tremosa, le vote d'une telle mesure souligne "une fois de plus" la nécessité d’obtenir la reconnaissance officielle du catalan comme langue de l’Union. Malgré le soutien de 40 eurodéputés, l’amendement à été rejeté et la directive adoptée par le Parlement le 6 juillet dernier.

Bruxelles monte au créneau

Pourtant, même le gouvernement de Catalogne s'en est mêlé, rappelant qu’il y a deux langues officielles en Catalogne et que l’Estatut (texte d’autonomie de la Catalogne) défini le catalan comme langue propre de la communauté autonome.

Le Gouvernement catalan est déterminé à ce que l’on puisse continuer à étiqueter en catalan dans ce pays. Ce serait une absurdité totale si tel n’était pas le cas",

a déclaré le porte-parole du gouvernement Francesc Homs, ajoutant même qu’il devait "exiger" la possibilité de pouvoir continuer à utiliser uniquement le catalan.

La gronde qui monte du côté des eurodéputés catalans inquiète Bruxelles qui ne veut pas que sa directive soit mal comprise. La Vice-présidente de la Commission européenne à la Justice, aux Droits Fondamentaux et à la Citoyenneté, Vivianne Redding, a ainsi tenu une conférence de presse lundi 11 juillet au bureau de la Représentation de la Commission à Barcelone.

La Commissaire a expliqué qu’elle ne pensait pas que la directive votée par le Parlement sur l’étiquetage puisse porter préjudice aux entreprises catalanes. Militante du multilinguisme, elle a insisté sur le droit de chaque consommateur à comprendre ce qui est écrit sur un produit, que cela soit en Catalogne ou ailleurs.

Tout dépend de l’endroit ou le produit va être consommé, cela change que cela soit dans telle ou telle ville. Au Luxembourg, nous étiquetons nos produits en luxembourgeois, en allemand, en anglais et en français",

a-t-elle expliqué. En substance, tant que le produit est distribué en Catalogne, cela ne pose pas de problème, mais dès que cela sort des frontières de la région, l’étiquetage devrait pouvoir se faire également dans une des langues officielles de l’UE.

Positionnement stratégique ou patriotique ?

Derrière les grandes déclarations de principes, cette affaire traduit aussi, et peut-être avant tout, des enjeux commerciaux, comme le souligne l’écrivain Quim Monzó dans un article du quotidien catalan La Vanguardia.

Rien de patriotique dans l’initiative de Moritz, selon lui, sinon un réalisme économique bien compris. Ce qui ne veut pas dire que cela aille à l'encontre de la défense de la langue, bien au contraire.

Dans le processus actuel de dégénérescence du catalan – une évidence que seul pourrait nier une personne à la fois aveugle et sourde – que la langue puisse encore être utile pour gagner des points de marketing ou pour augmenter les parts de marché est précisément le meilleur côté de la nouvelle !

Mais quelles que soient ses motivations, Moritz a néanmoins réussi à faire parler du catalan et à relancer le débat sur son accession au statut de langue officielle de l’Union.

"Salut al català!",  à la santé du catalan !


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