Auditionné au Parlement, Rupert Murdoch et son fils James, ont fait profil bas tout en plaidant non coupables. Les écoutes téléphoniques à grande échelle? Les seuls responsables sont des collaborateurs qui ont trahi leur confiance... Le début de la fin? Portrait.
Rupert Murdoch, entendu aujourd'hui par la commission parlementaire chargée des médias, avait perdu toute sa superbe. Dès le début de l'audience, le magnat a fait acte de contrition: ce mardi 19 juillet est "le jour le plus humble de [sa] vie". Il a rapellé que News International, sa filiale britannique objet du scandale ne représente que 1% de News Corporation. Une broutille qui explique qu'il ne sait pas vraiment ce qui se passe dans sa modeste filiale britannique! Il a néanmoins renouvellé ses excuses aux victimes des écoutes.
A la question: "Acceptez-vous de reconnaître vous êtes le responsable ultime de tout ce fiasco", Rupert Murdoch a répondu par un simple mot: "Non". Puis, il a désigné les seuls responsables: Ce "sont ceux en qui j'ai eu confiance et ceux en qui ces derniers ont eu confiance". Il a ajouté qu'il avait "clairement" été trompé par ces derniers.
Pour sauver son empire, le "papivore" australien de 80 ans est, il est vrai, prêt à tout. Il l'a prouvé à maintes reprises. Il s’était fait naturalisé américain en 1985 afin de pouvoir posséder des télévisions aux Etats-Unis, ce qui était interdit aux étrangers, il a sacrifié la semaine dernière un titre créé en 1843 pour que les secousses provoquées par le scandale des écoutes téléphoniques illégales ne fassent pas voler en éclats son acquisition du bouquet britannique de chaînes par satellite BSkyB, prévue depuis de longs mois.
Pari raté, pour une fois. Face à une classe britannique unanime et décidée à soutenir une motion parlementaire réclamant l'abandon de son projet le milliardaire a finalement renoncé au rachat de BSkyB. Son entregent au Royaume-Uni lui avait jusque-là permis de toujours se titrer d'affaire.
"Votez conservateur"
Depuis sa prise de position massive dans la presse britannique en 1981, Rupert Murdoch est en effet devenu le faiseur de Premier Ministre. Cette année-là, il crée le groupe New International après l’achat du Times et du Sunday Times, deux journaux qui assure sa crédibilité intellectuelle auprès de la classe politique locale.
Celui-ci va lui permettre d’influencer petit à petit, mais très directement, les choix des responsables gouvernementaux grâce à un poids médiatique sans précédent: il possède déjà depuis 1969 les tabloïds The Sun et News Of The World, qui se vendent chacun à plus de deux millions d’exemplaires.
Sa première prise de position décisive date du 3 mai 1979. Jusqu’alors de tendance travailliste, The Sun clame en une : "Votez conservateur cette fois-ci". Margaret Thatcher l’emporte. Rupert Murdoch soutient la Dame de fer qui déclare vouloir casser les syndicats et qui promeut un libéralisme économique extrême.
Un événement va concrétiser leur alliance. En 1986, six mille employés de News International se mettent en grève. Refusant de négocier, Rupert Murdoch les licencie sur le champ et déplace l’impression de ses journaux du centre de Londres vers des installations mises en place en secret à Wapping, un quartier à l'est de la capitale.
La grève se durcit mais le patron médiatique reçoit le soutien inconditionnel de la Premier Ministre, qui met à sa disposition un nombre imposant de forces de police. Un an plus tard, les grévistes sont vaincus ; Rupert Murdoch a gagné son pari industriel, Margaret Thatcher a donné un coup mortel au syndicalisme. Le couple Thatcher-Murdoch va rester uni pendant plus d’une décennie.
L'onction de Rupert à Tony
La Dame de fer est écartée du pouvoir en 1990, mais le groupe Murdoch soutient son descendant John Major. Rebelotte en 1992. A la surprise générale, grâce, notamment, au soutien inconditionnel du Sun, devenu le premier quotidien du pays, le jeune Premier Ministre remporte l’élection générale de mai 1992 et se maintient au pouvoir.
Le poids du propriétaire de News International, qui réalise alors 42% des ventes de quotidiens britanniques, est devenu trop important pour être omis et le responsable travailliste Neil Kinnock, convaincu que l’hostilité du Sun lui a valu la victoire, convainc une jeune pousse travailliste du nom de Tony Blair à se rapprocher de lui.
Elu leader de l’opposition, Tony Blair vole alors en 1995 jusqu’en Australie pour participer à l’assemblée générale du groupe de presse. Il en reviendra avec l’onction de Rupert Murdoch, qui le soutient ouvertement lors des élections de 1997 et 2002.
Dès lors, les deux hommes se rencontrent deux ou trois fois par an, mais Tony rencontre régulièrement l’économiste Irwin Stelzer, réputé pour être la voix de Rupert, ainsi que le directeur de News International, Lee Hinton.
D’après Lance Price, membre de l’équipe de communication du Premier Ministre de 1998 à 2001, leurs idées ont directement influé les choix du 10 Downing Street sur l’Europe, l’intervention en Irak et les relations avec les Etats-Unis. Rupert Murdoch et Tony Blair se sont ainsi rencontrés trois fois dans des dix jours précédant l’invasion de l’Irak en 2003.
Message sans équivoque
Dans un entretien en 2006 avec le responsable du Daily Telegraph, Rupert Murdoch assure pourtant qu’il "n’a pas tant d’influence". Il précise aussi ses choix politiques depuis la fin des années 70 :
Sous Jim Callaghan (Premier Ministre travailliste de 1976 à 1979), les choses se sont arrêtées. Sous Thatcher, il y a eu beaucoup de hauts et de bas, et des erreurs ont été faites, mais le pays s’est ouvert, des possibilités ont été proposées aux gens (..) Ensuite, le gouvernement Major ne semblait pas savoir où il allait alors que pour la première fois une proposition travailliste semblait très acceptable et raisonnablement modérée. Nous avons donc soutenu les travaillistes et ils ne se sont pas détournés de l’héritage de Thatcher. Tony Blair l’a officiellement dit et il l’a fait (..) Ce serait donc une erreur pour David Cameron de rejeter ce passé thatchérien. Mais pour gagner le soutien des journaux de mon groupe, il ferait mieux d’aller parler aux responsables de mes journaux.
Le message est clair, sans équivoque.
Conscient de cette force, David Cameron, à propos de qui Rupert Murdoch avait dit en 2006 ne pas penser "grand-chose", décide, à son tour, de se rapprocher du responsable médiatique. En 2008, il est ainsi invité plusieurs fois, vols en jet privé payés, sur son yacht pour de nombreuses discussions privées dont le contenu n’a jamais filtré.
Contrat moral avec Cameron
Il est ensuite accusé en 2009 par le ministre travailliste Peter Mandelson d’avoir signé un contrat moral avec Rupert Murdoch en échange de son soutien lors de l’élection de mai 2010. Même si le leader conservateur nie avec véhémence, The Sun annonce, peu après, soutenir le parti conservateur pour la première fois depuis 1997. Et quelques mois plus tard, David Cameron devient Premier Ministre.
Ces derniers jours, le leader travailliste Ed Miliband a attaqué sans ménagement la direction de News International, requis la remise en question du rachat de BSkyB et demandé la démission de sa présidente, Rebekah Brooks. Un comportement inacceptable aux yeux du groupe de médias, qui l’aurait menacé de se venger. "Il est difficile de résister à Murdoch tant qu'il contrôle autant de médias, explique Ivor Gaber, professeur de journalisme politique à City University. Clairement, avec ces nombreux scandales, il y aura plus de méfiance, mais je ne pense pas que c’est la fin de l’influence politique de Murdoch. Pas encore."
Article actualisé le 19 juillet à 19h45.