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Scandale de l’amiante: Eternit, le procès européen

mardi, 19 juillet, 2011 - 11:11

Plus de 2 000 morts. Pendant des années, les dirigeants d'Eternit Italie ont laissé leurs ouvriers et les habitants être contaminés par l'amiante. En toute connaissance de cause. A l'issue du plus grand procès jamais organisé sur le drame de l'amiante, le procureur de Turin réclame des peines de vingt ans de réclusion. Un exemple pour la France où, chaque jour, 10 personnes meurent de maladies liées à l'amiante.

Une bronchite qui ne passe pas, puis de l’eau dans les poumons. Pier Cesare Bori, professeur de philosophie à Bologne a passé des semaines à faire des examens médicaux avant qu’un de ses amis médecin ne lui demande où il était né. Le village de Casale Monferrato, qu’il a pourtant quitté à 17 ans, a scellé sa condamnation : après des examens poussés, on a diagnostiqué à Pier Cesare Bori un cancer des poumons.

Casale Monferrato a accueilli une des usines d'Eternit Italie – une filiale du numéro un mondial de l'amiante – avant que l'entreprise ne fasse faillitte en 1986. Bilan de la catastrophe Eternit en Italie: plus de 3 000 morts ou blessés, des ouvriers qui travaillaient l’amiante mais aussi les habitants des villages alentours. Leur nombre augmente tous les jours.

6 000 parties civiles

En décembre 2009, s'est ouvert à Turin le procès de l'ex-propriétaire du groupe suisse Eternit et d'un ancien actionnaire belge d'Eternit Italie. Le "maxi procès" Eternit, comme on l’appelle en Italie, le plus grand jamais organisé sur le drame de l'amiante, selon les associations de victimes, rassemble plus de 6 000 parties civiles. Une certitude, c'est le premier procès au pénal.

Le Tribunal de Turin vient de demander des peines très lourdes contre les ex-dirigeants du groupe avec la forte volonté de constituer un précèdent pour les procès de "crimes environnementaux".

Des peines de prison pour les futures victimes

L’enquête a duré plus de 5 ans et a permis de constituer un dossier imparable sur le désastre causé par l’entreprise Eternit. Il a conduit à considérer le milliardaire suisse Stephan Schmidheiny, qui a assumé le rôle de PDG de 1972 à 1986, et le baron belge Louis de Cartier de la Marchienne, ex-PDG de la filiale belge, et actionnaire d'Eternit Italie jusqu’au début des années 70, comme principaux responsables.

La peine de 12 ans de prison requise par l’accusation a été augmentée de 8 ans par le procureur, en prévision des futures victimes, qui s’annoncent déjà nombreuses. Soit 20 ans de prison, la peine la plus lourde possible dans cette situation.

Je n'avais jamais vu une telle tragédie (…) Elle a touché différentes régions de notre pays, des salariés et des habitants. Elle continue à semer la mort et continuera à le faire qui sait pour combien de temps,

a souligné le procureur Raffaele Guariniello durant son réquisitoire.

L’amiante est responsable principalement de l'asbestose et du cancer du poumon, pathologies mortelles qui se déclarent entre 15 à 20 ans et 30 à 40 ans après la première exposition.

Responsables d'un drame humain et environnemental

MM. Schmidheiny et Cartier de la Marchienne sont ceux, considèrent les victimes, qui ont "fait les choix fondamentaux qui pouvaient influer négativement sur la qualité de l’environnement de travail et l’environnement de vie dans les territoires où étaient installés les entreprises Eternit et cela sans prévenir les maladies et les accidents".

Les deux hommes sont jugés pour avoir provoqué une catastrophe environnementale et enfreint les règles de la sécurité au travail. Ils sont accusés d'être responsables de la mort de plus de 2 000 personnes et d'en avoir rendu malades plusieurs centaines d'autres, anciens ouvriers ou simples habitants de Casale Monferrato (Province d’Alessandria), Cavagnolo (Province de Turin), Rubiera (Province de Reggio d'Émilie) et Bagnoli (Naples), villes où Eternit avait ses usines.

Selon l'accusation, la contamination est due au non-respect des mesures de sécurité dans les usines et à la vente de produits à base d'amiante (pavés, isolants…) dans ces communes.

Le manuel des "mensonges mortels"

Nous reconnaissons que l’amiante peut représenter un sérieux danger pour la santé de l’homme si elle est traitée de façon incorrecte.

Ou encore:

Nous nous rendons compte que ce risque potentiel pour la santé est utilisé par beaucoup comme motif pour discréditer l’amiante de manière exagérée. Du moment que cette diffamation peut mettre à mal l’existence de notre industrie nous devons réagir de manière décisive et nous devons la combattre par tous les moyens.

Ces deux passages, lus par le procureur de la République Sara Panelli, sont tirés d’un manuel de 1976, date du début de la gestion d’Eternit Italie par le groupe Suisse. Le document, destiné aux dirigeants, devait leur permettre de se défendre des attaques des "extrémistes" environnementalistes qui criaient, déjà, au scandale.

Aucun des deux inculpés n’a jugé nécessaire d’assister au procès, visiblement convaincus de n’avoir rien à se reprocher dans cette affaire. Pour preuve, le site personnel de Stephan Schmidheiny, dans lequel il explique avoir toujours voulu protéger ses employés des effets nocifs de l’amiante et où il rejette la faute sur les gouvernements et le monde industriel.

Bombe à retardement

L’ampleur du drame est pourtant immense: l’amiante a non seulement fait de très nombreuses victimes chez les ouvriers d’Eternit, qui travaillaient directement l’amiante, en respiraient les poudres hautement cancérogènes et les ramenaient à la maison sur leurs habits.

Mon père est né en 1937. Il est a quitté le village à la fin des années 50 lorsqu’il est parti faire des études de droit à Milan. Il n’a donc jamais été en contact direct avec les fibres d’amiante. Cela en dit long sur le danger de l’amiante et des maladies qui peuvent ressurgir… dans son cas plus de 50 ans plus tard,

explique Caterina, la fille de Pier Cesare Bori.

Romana Blosa Pavesi, dl’association des victimes de l’amiante en Italie (Afeva) et qui a perdu une fille, une sœur et son mari, estime:

Il est juste qu’ils paient, concrètement. Ils sont continué à accumuler de l’argent quand ils savaient déjà que les personnes mourraient. La demande de vingt ans est juste.

Un "procès global"

Maitre Jean Paul Teissoniere, avocat français qui représente des victimes suisses et belges, souligne l’importance de ce procès pour la jurisprudence européenne, et mondiale:

Les catastrophes de Casale Monferrato, Bagnoli et des autres villages italiens ou l'on travaillait l’amiante ne sont pas isolées. Elles se sont vérifiées sur toute la planète, partout où les établissements Eternit et les autres multinationales de l’amiante ont opéré.

Mais attention de ne pas en parler au passé, remarque-t-il, ces désastres regardent aussi le futur. "Après ce procès, on continuera à mourir à cause de l’amiante".

100 000 victimes en 30 ans 

La  production, la commercialisation, l'importation et l'exportation d'amiante sont interdites en France depuis le 1er janvier 1997. Mais il resterait encore des millions de tonnes du matériau, longtemps considéré comme un produit miracle par l’industrie: bâtiments, chemins de fer, automobiles et même dans la vie quotidienne (grille-pain, joints de fours et de cuisinières, tuyaux en éverit …).

D’après le Ministère de la Santé, 3 000 à 4 000 personnes meurent des suites d’une maladie provoquée par l’amiante tous les ans. En 30 ans, ce seront plus de 100 000 personnes qui auront été victimes de l’amiante et de ses conséquences tragiques sur la santé: 10% à 20% des cancers du poumon sont causés par l’amiante, selon l'Anses, l’agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail.

En France, où l’amiante fait près de 10 morts par jour, ce sera un formidable encouragement pour les victimes qui attendent un procès pénal depuis quinze ans: un encouragement à réclamer des moyens supplémentaires pour les magistrats chargés de l’instruction, un encouragement à vaincre l’inertie du Parquet qui fait tout pour retarder ce procès et en réduire la portée",

souligne pour sa part l’Andeva, l'Association Nationale de Défense des Victimes de l'Amiante, dans un communiqué saluant le réquisitoire du procureur de Turin. "Ce qui est possible en Italie doit l’être en France", assène-t-elle.

L'espoir d'une jurisprudence européenne

L’Andeva réclame un procès au pénal depuis 2005, mais la législation en France est moins répressive qu’en Italie. Pourtant, nous sommes confrontés aux mêmes enjeux: en novembre 2009, un ancien dirigeant de la filiale française du groupe Eternit, Joseph Cuvelier, était mis en accusation par la juge d’instruction Odille Bertella-Geffroy pour homicides et blessures involontaires, treize ans après que les victimes aient déposé plainte. 

Alain Bobbio, secrétaire national d’Andeva, déclarait au quotidien Métro à propos de la portée du procès italien.

Le fait majeur de ce procès, en plus du sentiment qu'à travers les réquisitions le combat prend forme, c'est la prise de conscience que le problème de l'amiante est mondial. Aujourd'hui, dans deux-tiers des pays, l'amiante n'est pas interdite".

Les audiences du plus grand procès sur les crimes environnementaux continueront jusqu’au 13 septembre à Turin. Le procès reprendra quant à lui le 26 septembre avec un verdict attendu pour la fin de l'année.




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