La Guérilla Gardening est aussi à la mode dans la capitale allemande. Piquée de curiosité, j’ai décidé de céder à la tendance, et de devenir une vraie pirate botanique.
Dans la capitale allemande, leur nom résonne un peu partout: les guerrilla gardeners. La néophyte que je suis avait vite fait de s’imaginer un portrait assez pittoresque de ces nouveaux guerilleros urbains: en tenue de camouflage, se déplaçant la nuit un râteau menaçant dans la main…
Renseignements pris, je me rends compte que ces pirates botaniques sont plutôt, comme à Paris, des pacifistes. Ils ne font que planter fleurs et légumes aux quatre coins de Berlin. [dans la vidéo ci-dessous, Richard Ryenolds présente, en anglais, le mouvement dont il est un des initiateurs]
Quand on vit dans un appartement en plein centre de Berlin, l’appel de la nature peut se faire sentir. Certes, les espaces verts ne manquent pas ici, ils représentent même 6 500 hectares – trois fois plus qu'à Paris. Et les habitants de la capitale les apprécient. Selon un sondage Emnid de 2008, 87% des Berlinois estiment que ces parcs sont une bonne raison de vivre dans le centre-ville.
Mais il y a quand même une différence entre flâner au Mauerpark et planter ses tomates. Vu que je viens de la campagne, l’odeur de la terre fraichement retournée c’est un peu ma madeleine de Proust. Alors je me dis: "pourquoi pas, moi aussi, devenir une guerrilla gardener?"
Pour ceux qui n’y connaissent rien, certaines associations berlinoises ont pensé à tout. C’est notamment le cas de l’atelier écologique de protection de la nature (Naturschutzzentrum Ökowerk). Il propose des cours d’une journée de guerrilla gardening. Un petit coup de téléphone et me voilà inscrite pour le samedi suivant.
L'appel de la forêt
C’est donc sous le soleil que je m’enfonce dans la forêt berlinoise pour rejoindre les locaux de l’association écolo. Nous sommes une vingtaine à avoir fait le déplacement. Tous des néophytes. "Je suis venu parce que je trouve la ville grise et triste. Et je pense que l’on peut vraiment y ajouter un peu de verdure", me confie Clemenz, 25 ans. Ulrike, la cinquantaine, veut apprendre à enjoliver sa rue :
Ils ont enlevé tous les arbres devant chez moi. Je veux réintroduire un peu de nature.
Après un bref historique du guerrilla gardening, on passe enfin à la pratique. Premier atelier: les bombes de graines. Mais que les inquiets se rassurent, ces bombes ne font exploser que des fleurs.
Des guerrilla gardeners en vadrouille, à Berlin
En effet, ce sont de petites boules de glaise, terre et graines que les guérilleros peuvent ensuite lancer n’importe où. C’est d’ailleurs l’arme préférée d’Oliver, organisateur du cours :
J’ai toujours des boules de graines et quand je suis quelque part où je me dis qu’il pourrait y avoir des fleurs j’en jette une.
Pousse, mousse
Ensuite nous apprenons comment faire du graffiti en mousse. Grâce à un savant mélange de yaourt, sucre et mousse que l’on trouve sur les arbres, on peut désormais faire pousser un joli tapis vert sur n’importe quel mur gris.
Maintenant que j’en sais plus. Il est temps de passer à la pratique. Mais il me faut des acolytes. A Berlin ce n’est pas trop difficile, en un rien de temps je trouve quatre forums internet consacrés au Guerrilla Gardening dans la capitale allemande. J’y laisse donc mon message: "Recherche guerrilla gardeners expérimentés pour accompagner une débutante !"
Moins de 24 heures plus tard, j’ai déjà une réponse. Petrus, jardinier de profession, me propose d’aller planter des légumes au bord du canal. J’ai trouvé mon occupation du week-end.
Reconquérir l’espace public
Je le retrouve donc le samedi suivant à Steglitz, au sud de Berlin. Petrus a quarante ans, et depuis trois ans, il ne cesse de planter fleurs et légumes aux quatre coins de la capitale. "C’est amusant, me dit-il. Et de plus je suis d’avis qu’il n’y a jamais trop de verdure !" Avec deux de ses amis, il a plus d’un coup de râteau à son actif.
Il a même fait un mini potager juste devant le Reichstag ! Certes ce n’est pas resté, mais pour Petrus, tout est dans le symbole. Pour cet anarchiste convaincu, c’est avant tout un moyen de reconquérir l’espace public. Cependant, il fait aussi des plantations moins spectaculaires, comme ce petit jardinet en bord de canal. "Personne ne vient jamais ici, ce serait dommage de ne pas l’utiliser ! On a donc mis des oignons, des patates, des citrouilles, etc."
Pas les oignons de la mairie
Mais alors que je plante mes poivrons, une pensée me traverse l’esprit: ce que je fais là est-il vraiment légal ? La réponse est non: il est interdit de jardiner sur un espace qui ne vous appartient pas. Un frisson me parcourt et je commence à avoir peur de voir la police débarquer. Petrus me rassure vite : "Hier nous avons planté dans le centre. La police était à côté mais ils n’ont rien fait."
Les autorités fermeraient-elles donc les yeux ? Bien souvent oui. "Les gens peuvent faire ce qu’ils veulent, a déclaré Thomas Blesing, le conseiller chargé de l’aménagement urbain du quartier de Neukölln. La mairie n’a pas assez d’argent."
En effet, Berlin n’est pas riche, et les budgets sont souvent serrés. Ainsi, en 15 ans, le personnel alloué à l’entretien des espaces verts a diminué de moitié. Ils ne sont plus que 8 000 aujourd’hui. Donc quand l’association BUND a distribué 10 000 bulbes de tulipes aux berlinois en mars dernier pour qu’ils les plantent dans toute la ville, aucune critique ne s’est faite entendre.
Mais bon, étant un peu soucieuse de ne pas me récolter une amende, je décide de vérifier directement auprès des autorités compétentes. Mathias Gille, porte-parole de l’administration berlinoise pour le développement urbain me confirme que "la ville se réjouit de ces initiatives citoyennes". Mais à condition d’avoir une autorisation !
Tout le monde ne s’y connait pas en jardinage et il ne faut pas faire n’importe quoi. Cela peut endommager certaines plantations existantes. Donc on recommande aux gens de d’abord prendre contact avec nous.
Une autre solution : les jardins associatifs
A la reflexion, demander une autorisation pour chaque fleur plantée me parait un peu fastidieux… Alors je cherche un autre moyen d’assouvir mes envies de jardinage urbain. Je me tourne donc vers les jardins associatifs. Il en existe une bonne vingtaine dans Berlin. Bonne nouvelle, l’un d’eux se trouve à cinq minutes de chez moi: le Ton Steine Garten, en plein cœur de Kreuzberg.
Ici aussi tout a commencé en 2008 par une guérilla. Hans Heim, retraité, a combattu pendant plus d’un an pour avoir le droit de planter des légumes dans le parc de la Mariannenplatz:
On nous a dit que des légumes n’avaient pas leur place dans un parc. Mais nous avons insisté, répété que nous voulions ce jardin. Au final l’espace a été squatté et nous avons fait le jardin. Et puis nous avons été expulsés par la police. Mais ensuite le Maire de la Berlin a déclaré qu’il allait nous donner le terrain.
Ils ont donc obtenu 1 000m2 et un accès gratuit à l’eau. Mais, dommage pour moi, la liste d’attente est longue pour rejoindre cette équipe de jardiniers. Tout compte fait, le bord du canal c’était sympa aussi… Et puis j’y aurai bientôt des poivrons à récolter !