Rassurer, encore une fois. Une fois pour toute, sauver la zone euro ? La France et l’Allemagne sont parvenues à un accord sur un nouveau plan de sauvetage de la Grèce avant un sommet crucial pour l’avenir de l’Europe. Mais son contenu, qui reste mystérieux, ne devrait permettre que de parer au plus pressé. Échec interdit, mais pour combien de temps ?
Ce devait être le sommet de la dernière chance, une réunion repoussée plusieurs fois faute d’accord sur le plan de sauvetage de la Grèce et sur la participation des créanciers privés. Échec interdit sous peine de voir les bourses s’affoler, la zone euro exploser et l’UE se discréditer une bonne fois pour toute – nain politique incapable de faire le poids face aux marchés.
Un sommet décisif donc. Avant le prochain… Les huissiers à la porte, les dirigeants européens vont sans doute sauver les meubles, mais la maison commune continuera de bruler.
In extremis, après des heures de négociations, la France et l’Allemagne se sont entendues la nuit dernière sur une position commune. Nicolas Sarkozy et Angela Merkel parleront d’une même voix au sommet extraordinaire des chefs d’Etat qui se tient aujourd’hui à Bruxelles. Le contenu de leur plan n’est pas connu. Ultimes réglages ? Grosse surprise en préparation ? Surement pas. La Chancelière allemande a déjà annoncé qu’il ne faut pas s’attendre à des "avancées spectaculaires". "D’autres étapes seront nécessaires", a-t-elle prévenue.
Les solutions les plus ambitieuses – celles qui permettraient à la fois de prendre le problème de la dette (grecque mais aussi italienne, espagnole et française) à la racine et d’avancer sur la voie d’un fédéralisme économique, seul à même de soutenir une union monétaire – ne sont pas sur la table. Pas encore. Exit, pour l’heure, l’intervention massive de la Banque centrale européenne (BCE) et les fameux "eurobonds", ces obligations communes aux Etats de la zone euro qui permettraient de mutualiser la dette et d’en alléger le coup.
Parer au plus pressé
Ces idées sont désormais dans l’air. La crise de la dette est avant tout une crise politique – on est dans le même bateau ou pas ? On s’aide ou non ? La réponse sera politique. Mais pas aujourd’hui. Elle suppose une véritable volonté de tous les Etats membres. Et l’accord des peuples.
Aujourd’hui, il s’agit pour les dirigeants d’afficher leur accord (de façade ?) pour couper court aux rumeurs, à la spéculation. Montrer qu’ils agissent. Parer au plus pressé. Enrayer, temporairement la crise et la contagion. Sauver, provisoirement, le "premier domino" (Athènes).
Aujourd’hui, la Grèce sera sans doute renflouée, sa dette en partie allégée: de 30 milliards ? De 50 milliards. Dans tous les cas, ce ne sera pas suffisant: Athènes, c’est acté, ne pourra pas se financer sur les marchés avant 2014. Sa croissance en berne, cassée pour des années par les plans d’austérité. Son économie ne produit pas assez de richesses pour résorber durablement son endettement.
Contradictions
Mais, même en attendant le grand saut vers le fédéralisme, les marges de manœuvre sont étroites.
- Des pays eux-mêmes lourdement endettés – Italie et France en tête – et sur la sellette des agences de notation peuvent-il remettre des milliards au pot pour sauver un voisin ?
- En contrepartie d’un 2ème plan de sauvetage, les bailleurs de fonds (UE et FMI) vont encore demander à la Grèce de serrer la ceinture. Socialement désastreux. "Le salaire réel a reculé de 10% sur un an en Grèce, de 4% en Espagne, de plus de 2% au Portugal, de 1% en Italie, a calculé Patrick Artus, économiste en chef de Natixis. L'emploi a baissé de 5% en un an en Grèce, de 2% en Espagne", peut-on lire sur Slate. C'est également inefficace: même le commissaire européen chargé de l’emploi et des affaires sociales en convient: "Cette approche n’est pas soutenable et implique que les Etats membres, pris individuellement, peuvent sortir de crise en imposant simplement des mesures d’austérité. Clairement, ça ne fonctionne pas", explique László Andor.
- Impliquer les créanciers privés, comme le souhaite l’Allemagne, risque de provoquer un "évènement de crédit" avec des conséquences impossibles à prédire pour tout le système bancaire européen: vers un nouveau Lehman Brothers ?
- Ne pas les impliquer, alors qu’elles ne sont pas pour rien dans la crise actuelle, ne serait pas juste et politiquement difficile à défendre – en particulier auprès de l’opinion allemande et néerlandaise.
- C’est aussi courir le risque de ne pas trouver d’accord sur le plan sur le plan de sauvetage. Et, si la Grèce fait faillite, les banques et assurances devront passer par pertes et profits autrement plus importantes que si elles jouent le jeu.
Les pistes de travail
Les grandes lignes du plan franco-allemand seront dévoilées dans les prochaines heures. Un compromis a donc dû être trouvé sur la contribution que devraient apportée les banques. Plusieurs options étaient sur la table:
- La création d'une taxe bancaire spéciale dans la zone euro. Cette solution "aurait l'avantage de ne pas faire intervenir directement les banques et donc de ne pas potentiellement créer de défaut" de paiement de la Grèce qui présenterait des risques de contagion, a expliqué lundi soir le ministre français des Affaires européennes, Jean Leonetti. "Je ne pense pas qu'il y aura un accord à ce sujet", a déclaré Jean-Claude Juncker, le chef de file des ministres des Finances, à son arrivée à à Bruxelles.
- Le rééchelonnement de la dette grecque. En clair, allonger la durée de remboursement, de l'ordre d'une trentaine d'années. Quelques soient les modalités retenues, la Grèce risque d'être déclarée en "défaut de paiement" au moins partiel. Et dans ce cas la BCE a prévenu qu'elle n'accepterait plus les obligations grecque comme garanties pour prêter de l'argent aux banques. Les banques grecques pourraient alors être très vite à cours de liquidités. Il faudrait alors les recapitaliser pour éviter la contagion à tout le système bancaire européen. Les banques françaises sont particulièrement exposées.
- Le rachat de la dette grecque. Les pays de la zone euro pourraient prêter de l'argent à la Grèce, via leur Fonds de secours financier (FESF), pour qu'elle rachète une partie de sa dette sur les marchés. Avantage: le coût de la dette grecque sur les marchés est très bas actuellement et cela permettrait de réduire le volume global de l'endettement du pays. Autre piste: le FESF rachète lui-même les obligations grecques, avec la possibilité ensuite de les échanger auprès des créanciers. Risque: cette option peut être considérée comme un défaut de paiement.
A la prochaine
Gageons que la réunion cruciale des dirigeants européens va se solder par des demi-mesures: gagner du temps pour passer l’été. Les marchés, même s’ils ne s’emballent pas, seront déçus. Les peuples, les Grecs en tête, seront déçus. Soyons optimiste: on attend enfin quelquechose de l’Europe.
Aux chefs d’Etats d’être à la hauteur. Fort heureusement, ils en auront l’occasion, lors d’un prochain "sommet extraordinaire" ou d’une énième réunion de la dernière chance qui ne saurait tarder…