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D’Oslo à Milan, la montée de la nouvelle droite radicale

lundi, 25 juillet, 2011 - 08:32

Anders Behring Breivik, l’auteur du double attentat d’Oslo, a été membre du Parti du Progrès (FrP) de 1999 à 2006. Ce parti appartient à la nouvelle droite radicale européenne: décomplexée, rompant avec les symboles, les rites et le langage de l'extrême-droite traditionnelle, elle attire de plus en plus de jeunes. Ces partis sont-ils pour autant moins dangereux? Tour d'Europe des nouveaux populismes.

Anders Behring Breivik a bien été un membre de notre parti,

n'a pas tardé à reconnaitre Siv Jensen, la présidente du Parti du progrès (Fremskrittpartiet, FrP). Avant d'ajouter: "Cela m'attriste encore plus d'apprendre que cette personne a été parmi nous".

Décrit par la police comme un "fondamentaliste chrétien", Anders Behring Breivik, responsable de l'attentat d’Oslo et de la tuerie de l'île d'Utoya, avait adhéré au Parti du Progrès en 1999. Depuis, le FrP a évolué de l'extrême-droite la plus dure vers un populisme qui se veut plus fréquentable – au point de remporter un quart des sièges au Parlement lors des dernières élections. Une trajectoire qui explique peut-être le départ d'Anders Behring en 2006.

Islamophobie quasi-pathologique

Dans les documents qu'il a laissé Anders Breivik avoue son admiration pour Geert Wilders, populiste anti-immigrés néerlandais, et dit soutenir une "école de pensée de Vienne" opposée à l'extension de l'islam, qui pourrait faire référence à l'arrêt de la conquête ottomane à Vienne en 1683.

Geert Wilders (photo) a beau déclarer "mépriser tout ce que [Breivik] symbolise et tout ce qu'il a fait", les partis de la droite radicale, Front national en tête, condamner et prendre leurs distances, le discours et l'idéologie de Breivik sont aussi les leurs: nationalisme, rejet de l'immigration et de l'islam.

Le Parti du progrès appartient désormais à la nouvelle droite radicale européenne. Une nouvelle droite décomplexée, rompant avec les symboles, les rites et le langage de l'extrême-droite traditionnelle.

Elle propose des programmes mêlant culte de la personnalité, recettes économiques libérales, valeurs familiales, défense des libertés et des minorités, rejet de la construction européenne… le tout mâtiné d'une islamophobie quasi-pathologique. Et un dernier trait commun très inquiétant: elle attire de plus en plus de jeunes.

Cette nouvelle constellation qui point au ciel politique européen échappe à pratiquement toute tentative de classification. Rétive aux étiquetages traditionnels, elle offre à l'électeur déboussolé des solutions simples aux problèmes complexes d'un monde que la globalisation rend chaque jour moins lisible.

Masque de la respectabilité

Rompant avec l'héritage nazi et fasciste, elle se farde d'un masque de respectabilité bien qu'elle se présente partout comme une rupture populaire avec les "élites corrompues".

Par-delà les particularismes locaux et les adaptations nécessaires aux cultures nationales – voire régionales – les points communs entre ces partis sont si nombreux qu'il n'est pas interdit de parler d'une Europe des populismes.

Leur liste est mouvante et fait l’objet de discussions entre spécialistes. Ce sont: la Ligue du Nord, en Italie; le Parti du Peuple Danois au Danemark; le Parti Populaire, en Belgique; le PVV aux Pays-Bas; l’Union Démocratique du Centre en Suisse et enfin, depuis la présidence de Marine Le Pen, le Front National, français, qui vit une véritable mutation.

Rupture avec l'héritage fasciste

Les idéologies totalitaires du XXe siècle, comme le fascisme et le nazisme sont nées dans le "creuset" de la première guerre mondiale. Elles sont le fruit de frustrations sociales, économiques et territoriales que les dictateurs à l'instar de Mussolini, Hitler ou Ante Pavelic, en Croatie, ont manipulées en virtuose.

Ces partis ont tous en commun le rejet du parlementarisme, le culte du chef et de la force, un nationalisme extrême – qui se traduit par une politique agressive d’annexion territoriale. Et, pour la plupart, un antisémitisme virulent.

Après la guerre et la défaite des régimes totalitaires d'inspiration nazie ou fasciste, des mouvements d'extrême-droite ont continué dans l'ombre ou publiquement à célébrer la mémoire des leaders vaincus et à préparer l’avènement d’un nouvelle révolution nationale…

Les partis dont nous allons parler ici sont nés après la guerre et – à une exception près, le Front National – n’ont jamais cultivé l’antisémitisme et ont systématiquement rejeté l’héritage fasciste et nazi.

Enfants perdus de la gauche

Il s’agit aussi d’un "phénomène générationnel" : les politiciens en place après la guerre se sont retirés et leurs remplaçants n’ont pas connu les clivages et les luttes qui ont tracé le paysage politique d’après-guerre.

La plupart de ces partis trouvent leurs origines dans un scission avec des partis libéraux traditionnels: c’est le cas du PVV aux Pays-Bas, né du conflit entre son leader, Geert Wilders, et le VVD, parti libéral dont il était député.

Certains des leaders ont un passé de gauche dont ils se sont détournés, comme Umberto Bossi de la Ligue du Nord qui était autrefois communiste ou Mishaël Modrikamen, fils d’un leader socialiste belge.

Repositionnement stratégique du FN

Le Front National est un cas d’espèce. Certains auteurs refusent de voir dans les changements du parti depuis la présidence de Marine Le Pen autre chose qu’un discours cosmétique pour attirer des électeurs.

Il s’agit sans doute, là aussi, d’un phénomène "générationnel". Mais, plus qu’un simple adaptation cosmétique, on peut y voir un repositionnement stratégique au sein de la constellation populiste qui change fondamentalement l’idéologie du parti. Les thèmes traditionnels du FN de papa comme l’antisémitisme – les "Durafour crématoire" et autres "détails de l’histoire" – le catholicisme intégriste ou le pétainisme sont passés à la trappe.

Il ne s’agit pas seulement de purger les derniers partisans de Bruno Gollnish – l’adversaire malheureux de Marine Le Pen aux élections pour la présidence du parti – mais bien d’un mouvement de fond destiné à surfer sur la vague populiste qui fonctionne bien ailleurs.

Les autres mouvements d’extrême-droite ne s’y sont pas trompés qui tentent à présent de se rassembler contre la "traîtresse" Marine et forment une plateforme électorale commune.

Le rejet des "élites corrompues"

Il difficile de donner une définition univoque du populisme, tant ses variétés, au cours du temps et au hasard des lieux, ont été nombreuses. Toutefois, on peut tenter de donner quelques traits communs permanents.

Le premier est le rejet des "élites corrompues". Les gouvernements en place, les élites intellectuelles, l'église de gauche (Geert Wilders) ont confisqué le pouvoir à leur seul profit. Les populistes, issus du peuple, vont lui rendre le pouvoir. Ils préconisent donc les formes de démocratie directe, comme le référendum – dont on sait pourtant combien il peut être manipulé.

C'est ainsi que Marine Le Pen fustige l'"UMPS", contraction de l'UMP de Nicolas Sarkozy et le PS, parti d'opposition, tous deux confondus dans une même élite profitant des bénéfices du pouvoir. Quant à Geert Wilders, il ne perd pas une occasion de rappeler combien il est différent de la "clique de La Haye", tandis qu'Umberto Bossi, le "tribun" de la Ligue du Nord n'a pas de mots assez durs pour les "nantis de Rome". Mishaël Modrikamen, leader du Parti Populaire belge, s’est fait, pour sa part, un étendard de sa défense des intérêts des petits épargnants contre l’"ogre Fortis" [la banque sauvée de la banqueroute puis rachetée par BNP Paribas en 2009].

Le rejet de l’Union européenne et ses élites sur-favorisées sont également des thèmes porteurs. Ils permettent à la fois de se distancier de ces élites et de replacer la souveraineté nationale au centre des débats. L’ennemi n’est plus ici le pays voisin comme pour les nationalistes d’antan, mais une institution abstraite et bureaucratique dépouillant le pauvre contribuable national qui n’est plus maître chez lui.

Bien sûr, seuls les populistes, issus du peuples, peuvent rendre le pouvoir au peuple. La boucle est bouclée…

Des partis exclusivement d'opposition?

Ce qui fait de ces partis de très efficaces partis d'opposition, mais on peut s'interroger sur leur capacité à gérer la cité lorsqu’ils accèdent au pouvoir.

Certains d’entre eux ont résolu l’équation presque impossible consistant à rester un parti d’opposition tout en participant au pouvoir : c’est le cas du Parti du Peuple Danois, qui, depuis 2001 forme un cabinet de soutien avec le Parti Conservateur et le Parti Libéral. Même solution aux Pays-Bas avec le PVV qui soutient le gouvernement libéral et catholique de Mark Rutte.

La Ligue du Nord participe à la coalition dirigée par Berlusconi selon un mécanisme plus classique.

Mais le résultat identique: ces partis, qu’ils soient au pouvoir ou dans l’opposition exercent un pouvoir d’attraction vers la droite et les thèmes de ces partis se légitimisent. Le racisme, l’islamophobie, le repli frileux sur son pré carré deviennent des valeurs acceptables.

Culte de la personnalité

Que serait le FN sans Marine Le Pen ? Le PVV sans Wilders ? La Ligue du Nord sans Umberto Bossi ? Le Parti du Peuple Danois sans Pia Kjaesgaard ? Le Parti Populaire sans Mischaël Modrikamen ?

Poser la question n'est pas innocent. Dans le cas du Front National français, le parti fondé par François Duprat et quelques autres semble bien être confondu avec le patrimoine de la famille Le Pen. Au vieux leader charismatique, autrefois plus jeune député de France, succède la non moins charismatique fille cadette.

Le PVV est le parti d'un seul homme et cela a déjà posé quelques problèmes. Peu avant les élections de juin 2010, un des candidats les plus en vue du parti, Hero Brinkman, ancien chef de la police d'Amsterdam et qui rassemble sur son nom un nombre considérable de voix menace de faire dissidence. "Le PVV est le parti d'un seul homme", clame-t-il dans les médias.

Wilders ne peut l'exclure. Pas un candidat de ce poids juste avant une élection capitale. Et donc, il temporise. Mais il ne change rien. Le PVV est toujours aux mains de Wilders qui craint comme la peste les dissensions qui ont détruit le LPF de Pim Fortuyn. En septembre 2010, excédés de ne pouvoir même entamer une réflexion sur la démocratisation du parti, les partisans de Brinkman en sont réduits à créer un think tank extérieur au parti

Ces partis sont en effet hyper-dépendants de l'image projetée par leur leader. Wilders a vécu comme un traumatisme l'effondrement de la Lijst Pim Fortuyn après l'assassinat de son flamboyant leader.

 

                        Vidéo Assassinat Pim Fortuyn et portrait

 

La Ligue du Nord, lors de l'attaque cérébrale de son "Senatur", le 11 mars 2004, a craint de ne pas lui survivre. Même s'il n'est plus physiquement que l'ombre de lui-même, l'énergie et la rudesse du leader assurent également la continuité de son mouvement: mais après lui ?

Immigration musulmane : mal absolu et explication universelle

Que ce soit dans la Padanie de la Ligue du Nord, dans le Limbourg hollandais de Geert Wilders, la France profonde de Marine Le Pen, le Danemark rural de Pia Kjaesgaard, la Suisse bienheureuse de l'UDC ou la plaine brabançonne du PP, l'ennemi absolu, celui par qui vient le scandale, la source de tous les maux, c'est l'immigration. Et surtout, l'immigration musulmane.

L’antisémitisme délirant des nazis a donc cédé la place à une islamophobie dont le musulman est aussi introuvable que le juif des Protocoles de Sion, ce faux fabriqué par les services secrets du Tsar pour attiser la haine contre une communauté jugée trop puissante.

La Lega Nord rappelle dans son programme les "racines chrétiennes et humanistes de l’Europe". Les thèmes "immigration, Justice, sécurité et ordre public" figurent dans la même rubrique du site ce qui donne une idée de la conception sécuritaire de l’immigration que sécrète la Ligue.

Pour Geert Wilders, il est "minuit moins cinq" pour la civilisation occidentale. Pour Marine Le Pen, l'islam menace la laïcité. L’Union Démocratique du Centre a fondé son succès sur des campagnes islamophobes dont la dernière en date, la "votation contre les minarets" a défrayé la chronique et divisé le pays.

Mishaël Modrikamen, président de la communauté juive de Belgique est – tout comme Wilders – un ardent supporter d’Israël et n’a pas hésité à comparer le boycott des produits en provenance des territoires palestiniens occupés à celui des produits juifs par les nazis en 1938. Un autre trait commun avec Geert Wilders qui compare souvent l’islam au fascisme et le Coran à Mein Kampf, idée qui lui vient du Parti du Peuple Danois. On dirait bien qu’ici aussi la contagion européenne joue à plein.

Tous ces partis sans exception s’adossent sur l’idée de l’islam comme mal absolu. Mais il s’agit d’un islam caricaturé à l’extrême, qui n’a pas de prise avec la réalité. Chaque attentat, chaque fait divers impliquant un jeune turc ou marocain est monté en épingle – avec la complaisance d’une partie de la presse, il faut bien le reconnaître.

Valeurs traditionnellement de gauche

Un des traits qui rend difficile le classement de ces partis populistes selon les schémas traditionnels de l’analyse politique est le fait qu’ils présentent souvent une synthèse originale d’éléments provenant de tout le spectre politique : des principes économiques en provenance de la droite libérale, des valeurs familiales et une justice plus dure pour les criminels, thèmes appartenant jusqu’alors à la droite conservatrice, mais aussi la défense des droits des homos et des lesbiennes, clairement des thèmes de gauche.

Ils peuvent défendre un individualisme exacerbé et un état affaibli comme le Parti du Progrès norvégien et dans une grande mesure le PVV néerlandais. Mais aussi, mettre d’avantage l’accent sur la petite entreprise comme la Ligue du Nord, qui connait bien la structure économique du Nord de l’Italie… ainsi que son électorat !

Souci de respectabilité

Un autre trait commun de ces partis, est leur souci constant de montrer un visage respectable. Pas question d'être confondu avec les skinheads ou les néo-nazis : Marine Le Pen a fait exclure Alexandre Gabriac du Front National, contre l’avis de son père, parce que le jeune frontiste avait été photographié alors qu’il tendait le bras à la manière des nazis.

Geert Wilders a récemment suspendu Sam Rooy, un jeune collaborateur parlementaire qui avait publié un clip sur des femmes voilées qu’il avait ensuite traitées de "canailles".

Les leaders de ces partis s’entourent de "communicantsé" et de "spin doctors" qui leur apprennent à doser leur langage. Pas toujours facile de trouver l’équilibre entre leurs saillies provocatrices – comme la France "occupée" par la prière du vendredi dans les rues – et le discours politique lissé acceptable dans les médias en "prime time".

La droite radicale séduit les jeunes

Mais, le trait le plus inquiétant de ces partis, c’est sans doute leur pouvoir de séduction à l’égard de la jeunesse. Le discours musclé mais "correct", débarrassé de ses scories extrémistes ; la valorisation de l’individu et le rejet des élites ; le recours à la démocratie directe et le rejet de toute bureaucratie – quelle soit européenne ou nationale – la liberté d’expression : autant de thèmes qui appellent la sympathie des nouvelles générations.

Les leaders populistes sont, en général, relativement moins âgés que les dirigeants des partis classiques, ce qui peut faciliter l’identification d’une partie des jeunes. Leur discours plus flamboyants, plus imagés séduisent davantage que les ratiocinations théoriques des partis traditionnels.

Les solutions simples qu’ils offrent en permanences aux problèmes complexes des sociétés contemporaines sont sans doute un autre élément d’explication. Ils se présentent comme des partis d’action qui tranchent avec ce qui est présenté comme l’immobilisme verbeux des autres formations politiques.

Dans les pays scandinaves, l’apparition récente d’une immigration "massive" a participé à la déstabilisation des jeunes : ils ne veulent plus s’asseoir à côté des immigrés à l’école ou leur laisser les "meilleurs boulots". Ces craintes et le désir de payer moins de taxe, d’être son propre maître ont fait le succès du Parti du Progrès norvégien qui est le premier chez les jeunes.

On observe le même phénomène aux Pays-Bas, où l’affaiblissement du modèle social conjugué à l’immigration apparemment incontrôlée des grandes villes – plus de la moitié des habitants de Rotterdam sont d’origine immigrée – contribuent à l’angoisse généralisée et au rejet de l’autre.

Blogs, twitter et publicités virales

Lorsque Geert Wilders a lancé un appel aux candidats pour les élections législatives de 2008, ce sont les étudiants qui ont répondu le plus massivement. Étaient-ils sensibles au charme bucolique de la vidéo montrant Geert Wilders dans un canot, avec Fleur Agema, "ramant à contre-courant" sur un canal entre les moulins à vent et les champs ?

Les canaux de communication – blogs, twitter, publicités virales – utilisés par ces partis sont ceux des jeunes, même lorsqu’ils montrent une image rétrograde et idéalisée des Pays-Bas : un âge d’or champêtre qui n’a jamais existé que dans l’imagination passéiste du leader populiste.

Marine Le Pen fait également une belle percée chez les jeunes – "entre 20 et 23% des intentions de vote chez les 18-24 ans", si on en croit un sondage Ipsos repris dans un communiqué de presse du Front National de la Jeunesse. Nul doute qu’en France aussi, le thème de la peur de l’autre et l’angoisse de l’avenir incertain jouent à plein.

Libération de la parole et des actes

Dans Le Léviathan ou le Golem, le populisme, abyme et les élites, essai publié en 2008 dans le cadre des conférences Kees Lunshof au nouveau centre de presse international Nieuws Poort, Arthur Docters van Leeuwen affirmait:

l’histoire nous enseigne que le populisme en lui-même n’est pas dangereux, mais (devient) presque invincible lorsqu’il se joint à cette sorte de gangs, comme Mussolini le fit avec le Fascio di Combattimento [les Faisceaux de combat, mouvement politique qui se transformera en Parti fasciste italien].

Malheureusement, il peut devenir dangereux très rapidement en libérant la parole et les actes comme vient de le démontrer le double attentat d’Oslo. Il n’est pas nécessaire que le populisme s’arme ou arme le bras d’un autre : il suffit qu’il légitime les actes par avance en désignant un ennemi fantasmatique.




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