La crise économique touche durement les travailleuses du sexe. Au point que des maisons closes allemandes proposent à leurs clients des "forfaits illimités" et même une formule "happy hour". Dans le "Quartier Rouge" d'Amsterdam, la municipalité ferme les "vitrines" et incite les prostituées à changer de métier.
Premier volet d'une série consacrée à la prostitution en Allemagne, aux Pays-Bas et en Belgique.
Depuis quelques temps, le concept de "Flaterate-bordells", les bordels à volonté, fait florès dans plusieurs villes allemandes et les réactions ne se sont pas faites attendre.
Autant que vous le voulez, aussi longtemps que vous le pouvez, avec qui vous voulez,
est le slogan de ces centres qui, pour remonter un chiffre d’affaire en chute libre, proposent à leurs clients un service "à volonté" pour un forfait "illimité": Pour 99 euros, les clients consomment ainsi sans limites de 16 heures à 3 heures du matin. Certains centres affichent même une formule "happy hours" à 79 euros de 10 heures à 15 heures.
"Une promotion pour relancer la boutique"
Christoph Palm, le maire conservateur de la petite ville de Fellbach, près de Stuttgart, considère cette "offre" comme contraire aux droits humains et à la dignité des prostituées. Le débat désormais public à propos des filles qui ne le sont pas moins, fait grand bruit en Allemagne, sans qu’aucune position tranchée ne soit prise.
Patricia Floreiu, 26 ans, tenancière du bordel "PussyClub" à Berlin, défend, quant à elle, son centre contre les critiques de certains responsables politiques qu’elle considère comme "bornés et obtus" face à la réalité :
Vous défendez les droits de ces femmes, mais je défends leur gamelle face à un client qui se fait rare en période de crise ! Mes filles ont de plus en plus faim et j’ai une entreprise à faire tourner. Le forfait illimité est une promotion commerciale pour tenter de relancer la boutique !
explique cette chef d'entreprise pour qui cette forfaitisation des passes peut permettre aux prostituées de sortir de l’impasse financière engendrée par la crise
A Amsterdam, les clients marchandent
Dans le quartier "Red Light" d’Amsterdam, les prostituées ont également de plus en plus de mal à joindre les deux bouts. L’organisation caritative Blood’n Fire ("Le sang de Jésus et le feu de l’Esprit Saint") leur distribue des colis alimentaires. Randstad Intérim leur offre une formation de réinsertion.
Eva, 25 ans, une prostituée estonienne, s'emporte contre une concurrente qui a accepté de baisser ses tarifs: avec la crise économique, les clients s'enhardissent désormais à marchander. Les jeunes filles qui arrivent rendent la vie très dure aux anciennes. Certaines "le font" à présent pour 30 euros.
Oxana, 26 ans, qui partage sa vitrine avec Eva, affirme elle aussi que ses revenus ont diminué de plus de moitié en six mois alors que le montant de la location de la vitrine a augmenté de 25 %. Une "bonne journée", elle a jusqu'à six clients. Mais certains jours, il n'y en a qu'un. A 50 euros la passe, cela ne suffit pas à payer les 150 euros que coûte chaque jour la vitrine de quelques mètres carrés.
Je ne peux pas le faire pour 20 ou 30 euros comme certaines, ce n'est pas du boulot!,
affirme-t-elle.
Colis alimentaires pour les travailleuses du sexe
Depuis 2008, la crise a également atteint en plein cœur la clientèle hollandaise du X : touristes et hommes d'affaires se sont faits nettement plus rares et les patrons de maisons de passe et de sex-shops se plaignent:
Les clients sont devenus terriblement radins. Le haut de gamme est le plus touché : boire et manger, c'est là-dessus que les gens économisent le plus, juste avant le sexe. Ils vont plus au supermarché et moins au restaurant, tout comme ils choisissent des prestations de plaisir meilleur marché.
Avec de moins en moins de rentrées régulières, les travailleuses du sexe ont de plus en plus de mal à payer leurs charges et à boucler le mois. L’association Fire’n Blood vient au secours de ces jeunes femmes, dont certaines vivent aujourd’hui en-dessous du seuil de pauvreté, en distribuant dans les ruelles du "Quartier Rouge" quelques vivres et autres besoins de première nécessité.
Reconversion professionnelle
Avant fin 2011, les 35 vitrines autour de l'église de la Oudekerksplein devraient avoir disparu, et deux cents autres du Quartier rouge d'Amsterdam d'ici dix ans. L'ex-maire Job Cohen – il a démissionné pour devenir tête de liste du PvdA [le Parti travailliste], lors des dernières élections législatives – , rêvait de voir terrasses de cafés, boutiques de mode et commerces de proximité remplacer vitrines, sex-shops et peep-shows, dans ce qui est selon lui, "l'un des centres urbains médiévaux les mieux conservés d'Europe".
Il va toutefois subventionner les rachats de vitrines et aider les prostituées à changer de métier. Les autorités communales d'Amsterdam et le bureau d'intérim Randstad vont collaborer afin de trouver un nouvel emploi aux prostituées qui le souhaitent. Ces dernières recevront une formation et bénéficieront d’un accompagnement psychologique. Le projet est financé par la ville d’Amsterdam à hauteur de 475 000 euros.
Le successeur de Cohen, Eberhard van der Laan va dans le même sens. Il a déjà fermé quelques clubs ou coffeeshops qui ne se conformaient pas au règlement de la ville.
Prolifération de bordels clandestins
Mieux, il propose la création d’un registre des "autorisations refusées aux entreprises du sexe". En effet, des entreprises à qui la ville d’Amsterdam avait refusé ou annulé l’autorisation d’exercer tentaient de l’obtenir dans d’autres villes. Ce registre permettrait aux communes de vérifier qu’une entreprise qui veut ouvrir un établissement sur leur territoire n’a pas été rejetée ou fermée ailleurs.
L’ambition d’Eberhard van der Laan est de faire d’Amsterdam une ville "où liberté et sécurité s’équilibrent". C’est du moins ce qu’il affirmait dans son discours d’intronisation le 7 juillet 2010. Nul doute que dans cette optique, il aura un regard particulier pour le quartier De Wallen et qu’il poursuivra l’action du "Project 1012", nom tiré du code postal du quartier chaud. Ce plan d’action, initié par Job Cohen, associe 120 habitants et des "entrepreneurs du sexe" du quartier en vue de sa réhabilitation.
En deux ans, 2008 et 2009, ce sont pas moins de 102 lieux de prostitution sur les 509 recensés par les autorités qui ont été fermés. Mais cela n’a pas amélioré la situation des prostituées. Loin de là. Un rapport intitulé "Kwetsbaar beroep" ("Profession vulnérable" en français), commandé par la ville et publié fin 2010, fait état de prolifération de lieux clandestins, d’une augmentation impressionnante de la traite des êtres humains, etc.
Éléments malheureusement confirmés par une enquête du Ministère Public. Il y a donc encore pas mal de choses à régler avant de parvenir à l’équilibre entre "liberté et sécurité".