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Charleroi: les prostituées doivent quitter le « quartier chaud »

jeudi, 28 juillet, 2011 - 09:41

A Charleroi, les projets de rénovation urbaine poussent les travailleuses du sexe à exercer leur métier dans des conditions sanitaires et de sécurité toujours plus difficiles. Maëlle, 31 ans, témoigne. Pour cette mère de 3 enfants, les horaires de nuit qu'impose la municipalité sont incompatibles avec une vie de famille.
Second volet d'une série consacrée à la prostitution en Allemagne, aux Pays-Bas et en Belgique.

Situé au croisement des rues du Moulin, Léopold et Desandrouin et de la place Rucloux, le quartier du Triangle est historiquement dédié au commerce du sexe à Charleroi. Mais un projet de rénovation urbaine, dans le but de créer un centre commercial et de nouveaux logements, oblige depuis peu celles qui déambulaient dans les rues du coin à "aller voir ailleurs".

Les projets immobiliers "Rive Gauche" et "Phoenix", qui ont pour vocation d’apporter un nouveau visage à la ville basse, semblent ainsi susciter de véritables dégâts collatéraux. Les prostitués sont invitées à "déménager" vers une autre zone d’arpentage et les riverains des quartiers alentours voient, quant à eux, arriver d’un très mauvais oeil un trafic soudain de véhicules au pas d’escargot auxquels ils ne sont pas préparés.

A quoi s'ajoute la présence, à l'immédiate proximité du triangle chaud, de l'institut Notre-Dame, un établissement d'enseignement catholique qui se passerait volontiers de ce nouveau voisinage.

"Qui va garder nos enfants?"

Du côté des autorités, le problème semble extrêmement difficile à résoudre pour le bourgmestre Jean-Jacques Viseur. Une solution aurait consisté à cantonner la prostitution dans la rue du Rivage mais les politiques se sont heurtés au refus catégorique des intéressées. L’étroitesse de la rue, entre le canal et un parking désaffecté non éclairé, qui plus est, juste sous le pont du ring, insécurise les travailleuses du sexe.

Nous rencontrons Maëlle*, 31 ans, 3 enfants. Éducatrice de formation, avec une spécialisation ambulancière, sa vie bascule en juin 2006. Une maison cossue, un mari, 2 voitures et puis le décès soudain de son homme, des dettes et une perte de revenus.

Une première fois, elle avait quitté le trottoir pour refaire – sans grand succès – sa vie sur la côte d'Azur. Janvier 2007: retour à la rue. Maëlle quitte Bruxelles pour Charleroi … là où on ne l’a "connaît pas".

Maëlle [photo** ci-dessus] est la seule qui osera nous parler :

Non seulement, on veut nous déplacer dans une rue coupe-gorge mais on nous impose des horaires de nuit. Nous sommes presque toutes des mères de famille. On est habituées à travailler de 9 heures à 18 heures, voire même plus tôt pour celles d’entre nous qui doivent reprendre leurs enfants à l’école. La ville nous autorise à présent à travailler exclusivement de 14 heures à 5 heures du matin dans le coin le plus glauque et sale qui soit, au milieu des immondices ! Qui va garder nos enfants quand on bosse et surtout, qui va nous protéger ?

Maëlle a elle-même déjà été sauvagement agressée en 2003 alors qu’elle tapinait dans la rue actuelle dite  "sécurisée" :

trois hommes en camionnette m’ont attrapée par les cheveux que j’avais long à l’époque et m’ont embarquée en dehors de la ville. Je n’ai pu m’enfuir qu’à 5 heures du matin, en chaussettes et en string. Lorsque j’ai porté plainte, on m’a répondu que c’était les risques du métier !

Depuis, Maëlle a coupé ses cheveux tout court et ne se risque pas à quitter la rue Desandrouin, même si le travail s’y fait plus rare qu’avant, crise oblige.

Malheureusement, après de nombreux tours de table, et malgré le caractère inapproprié avéré des rues proposées, la ville maintient aujourd’hui sa position et a acté, par décision communale du 27 juin dernier, le déménagement sans délai de ses prostituées.

Martine Di Marino, travailleuse sociale et coordinatrice de "Entre 2", une association qui vient en aide aux prostituées pour la défense de leurs droits fondamentaux, craint fortement, de par cette décision, une recrudescence des agressions, agressions déjà nombreuses dans le quartier où elles évoluent actuellement.

Pour Martine Da Marino, si la prostitution n’est pas un "métier" au sens juridique du terme, c’est une activité économique qui a son rôle social tant pour les prostituées que pour leurs clients. Une activité en difficulté aujourd’hui, comme bien d’autres activités, et qui mérite de voir son cadre d’exercice et ses conditions d’hygiène et de sécurité protégés.


* Le prénom a été modifié à sa demande.

** Toutes les photos sont tirées du travail du photographe Alain Rolland.





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