Syndicate content

L’interdiction d’un club pédophile secoue les Pays-Bas

vendredi, 29 juillet, 2011 - 13:50

Un "club pédophile" - dont le président, Ad van den Berg était également le fondateur d’un parti politique pédophile - est la cible de la vindicte populaire. Une autre page de la tolérance proverbiale des Néerlandais est en train de se tourner. Analyse d’un phénomène unique en Europe.

C’est l’association Martijn, fondée en 1982, qui déclenche les foudres des Néerlandais ces dernières semaines. Au point que le Ministère Public, pourtant peu enclin à entamer des poursuites quand il a peu de chances de succès, a décidé de mettre un point final aux activités de ce "club pédophile".

Car – phénomène unique en Europe – si la pédophilie est condamnable aux Pays-Bas, la promotion des relations sexuelles avec des enfants ne peut y être interdite au nom de la sacro-sainte liberté d’expression. Au point que, en 2006, lorsque la "Vereniging Martijn" a créé un parti politique visant à légaliser la pornographie – connu sous le nom de Parti pour l’amour du prochain, de la liberté et de la diversité – les rares tentatives de le faire interdire ont lamentablement échoué. Le parti s’est auto-dissous en 2010, parce qu’il n’avait pas réussi la percée attendues lors de deux élections successives.

Mais ces derniers temps, le vent tourne. Des voix de plus en plus nombreuses se font entendre contre l’exploitation sexuelle de enfants. Les sites de dénonciations de pédophiles, mais aussi des citoyens ou des médias entrent dans l’arène. Des gens se rassemblent dans des marches de protestation contre les dirigeants de l’association, à tel point que le bourgmestre de Hengelo, où l’un des membres de Martijn réside, à dû appeler au calme.

L’initiative d’un citoyen peu ordinaire

Et aujourd’hui, diverses actions pourraient bien signer l’arrêt de mort de l’association. La première, une "initiative citoyenne" lancée par un habitant bien connu de La Haye, met le feu aux poudres.

La loi néerlandaise permet aux citoyens qui le désirent d’influer directement sur le parlement. Pour cela, il leur faut rassembler un minimum de 40 000 signatures à travers le pays. Les députés sont alors obligés d’examiner le projet de loi ou la plainte des citoyens.

L’un de ceux-ci, Henk Bres, a rassemblé en quelques semaines près de 65 000 signatures pour sa pétition Non à l’association pédophile Martijn !

Henk Bres était-il la personne la mieux placée pour prendre une telle initiative ? Du point de vue de la popularité, sans aucun doute, ce "bekende Nederlander" connu pour son franc-parler et sa langue populaire, volontiers dialectale, a participé à des reality-shows qui ont imposé son image gouailleuse dans presque tous les foyers néerlandais. Ses activités d'éditorialiste dans plusieurs journaux populaires ou de présentateur de la radio Den Haag FM lui offrent aussi une large audience. Mais son passé de tenancier de sex-club, de hooligan du DAO Den Haag ou de "chômeur professionnel" comme il aime à se qualifier, ne prédestinait sans doute pas cet habitant de La Haye à devenir le pourfendeur des pédophiles de la "Martijn Vereniging".

Et pourtant, cela fonctionne. Car fin août, lorsque les vacances parlementaires seront terminées, Henk Bres aura sans doute réussi son pari: rassembler plus de 100 000 signatures, bien plus que les 40 000 nécessaires pour forcer le parlement à examiner sa proposition d’interdire la Martijn Vereniging.

Liberté d’expression sacrée

Un autre acteur se montre très sensible aux remous causés par cette affaire: le Ministère Public. Car de plus en plus les citoyens défilent dans les rues, criant dans des mégaphones et réclamant la tête de ceux qui s’adonnent au "kindersex" voire au "kinderporno".

Le Ministère avait fait une tentative en juin. Il avait d’abord pris l’avis du Centre National d’Expertise en Pornographie enfantine – Landelijk Expertisecentrum Kinderporno – pour savoir quelles étaient les chances de réussite d’une action en justice contre l’association Martijn.

La réponse du centre avait au moins le mérite d’être claire: les chances sont nulles. En effet, si certains membres de l’association ont bien été condamnés par le passé pour des faits de pédophilie, il est pratiquement impossible d’entamer quelque action que ce soit contre le club qui se "contente" de promouvoir les relations entre enfants et adultes. Tant qu’on ne peut prouver un lien entre des faits criminels et le discours de l’association, on ne peut rien faire. La liberté d’expression est sacrée aux Pays-Bas: pas question de faire taire ceux qui louent les relations amoureuses entre adultes et enfants !

Les manoeuvres tortueuses du Ministère Public

Le 18 juin 2011, le Ministère Public publie donc sur son site Internet le message: suivant  l’association Martijn (ne sera) pas poursuivie.

Un mois plus tard, jour pour jour, le 18 juillet 2011, volte-face complète ! L'avocat spécialiste des lésions corporelles Ymes Drost communique dans les médias néerlandais qu’il a reçu un coup de fil du Ministère Public. Celui-ci voulait savoir s’il était vrai que l’avocat souhaitait poursuivre l’association pédophile.

L’avocat répond oui. Il a des faits nouveaux. Une petite fille a été violée pendant des années par son père. Ces abus ont été rendus possibles par des conseils et des informations que l’agresseur a reçu de l’association Martijn. Il y a donc bien un lien établi entre une activité criminelle à l’encontre d’un enfant et le discours pro-pédophile du club.

L’avocat croit alors rêver quand son interlocuteur au Ministère lui dit au téléphone:

dépêchez-vous d’introduire un article 12 contre nous. C’est la Cour de Leeuwaarden qui se charge de l’affaire, et vu les troubles publics, nous voulons qu’elle prenne rapidement une bonne décision !

Un petit mot d’explication s’impose pour bien saisir tout le surréalisme de la situation: l’article 12-SV permet à un citoyen de demander à une Cour d’examiner une plainte qu’il a déposée et que le Ministère Public a classée sans suite. La Cour examine d’abord la recevabilité de la plainte: celui qui l’a déposée est-il bien concerné ? La plainte a-t-elle été déposée dans les délais et sous les formes légales ? Si la plainte est recevable, la Cour la transmet à un tribunal qui juge sur le fond.

En clair: le Ministère Public demande à un avocat d’introduire officiellement une plainte devant une cour de justice, contre le Ministère qui n’a pas fait son travail, pour que la cour ordonne à un tribunal de poursuivre une association.

C’est le mécanisme tortueux qui vient d’être mis en place afin de poursuivre l’association Martijn.

Mais qui sont les membres de cette associations et que font-ils vraiment ?

Une pensée libre dans la mouvance de l’après 68

Martijn – l’équivalent de Martin, en français – c’est d’abord un magazine confidentiel, sur stencil, que trois amis imprimeront pour un réseau restreint de connaissances en 1980. Deux ans plus tard, ils créent une association, la Vereniging Martijn.

Ses statuts – publiés sur son site internet – prévoient que la finalité de l’association est

la promotion de l’acceptation des relations des aînés et des plus jeunes, tant du point de vue légal que sociétal.

Pour ce faire elle "publiera un magazine associatif", fournira "de l’aide, du conseil et de l’information", etc.

Le magazine changera de nom et sera par la suite publié sous le titre OK, pour Kinderen-Ouderen – parents-enfants, mais en néerlandais, le terme "ouder", signifie à la fois parent, aîné, plus âgé… Ce qui facilite une certaine confusion.

Le magazine – tiré à 500 exemplaires – publie des articles, des conseils et des photos érotiques qui seraient interdites dans la plupart des pays occidentaux, mais aux Pays-Bas, la liberté d’expression est un véritable tabou. Si plusieurs des membres ont été arrêtés à titre individuel pour détention d’images pornographiques, l’association jouit d’une grande liberté.

Elle a été la cible, au cours des années d’attaques de comités antipédophiles, elle a été exclue du rassemblement des mouvements Holebi (Homo, lesbiennes, bisexuels) ILGA ainsi que du Roze Zaterdag – le samedi rose – la plus grande manifestation annuelle gay et lesbienne des Pays-Bas.

Mais jusqu’ici, l’association a résisté à tout.

L´affaire Robert M. : le traumatisme de trop

Mais les temps changent. D’une part, l’affaire Robert M. a éclaté, du nom d'un pédophile des environs d'Amsterdam qui – avec la complicité de son mari – a violé et abusé de dizaines de bébé et d'enfants dans la crèche où il était assistant.

Tout a commencé bien loin d’Amsterdam: aux États-Unis, où les enquêteurs ont découvert la photo d’un enfant âgé d’environ deux ans, nu et tenant dans ses bras, une poupée de Nijntje, le lapin de Dick Bruna, un dessinateur néerlandais dont le personnage connaît un succès fou auprès des enfants.

C’est ce qui a mis la puce à l’oreille des policiers américains: la photo provient sans doute d’un réseau basé aux Pays-Bas. Les policiers néerlandais ont fait diffuser la photo à la télévision, via le programme Opsporing verzocht – Recherche disparus – et l’enfant a été identifié.

Mais les policiers amstellodamois ne s’attendaient pas à ce qu’ils allaient découvrir: Robert M., employé d’une crèche, et son mari, Richard van O., chauffeur de bus, avaient abusé de plus de 80 enfants confiés au réseau de crèches pour lequel Robert travaillait.

Robert prenait des photos, violait ses victimes, seul ou avec son conjoint ou un autre complice. Richard diffusait les images sur la trentaine de sites pédopornographiques qu’il avait créés.

Ad van den Berg, président de l’association Martijn dénonce également Robert M., qui, semble-t-il, aurait été temporairement affilié au club : "ce n’est pas ce qu’un pédophile normal ferait".

La découverte de ces dizaines d’enfants, traumatisés psychologiquement et dont certains gardent des séquelles physiques, au sein d’institutions censées les protéger, a créé un véritable choc pour la société néerlandaise.

Les épouvantails de la droite populiste

L’autre raison principale de ce refus de la pédophilie, est sans doute liée à la crise sociale et politique vécue en ce moment: les Néerlandais, si fiers de leur modèle économique et social ouvert, le voient craquer de partout. Le gouvernement Rutte s’attaque aux acquis sociaux, l’Europe entame chaque jour un peu plus la souveraineté nationale, la crise grecque effraie littéralement les épargnants hollandais et les problèmes posés par l’immigration dans les grandes villes semblent menacer l’identité même des autochtones.

Tous ces épouvantails sont bien entendus agités par la droite populiste et Geert Wilders s’est évidemment fait un devoir d’applaudir à ces attaques contre l’association Martijn.

Toutes ces pressions sur le Néerlandais moyen le conduisent à une attitude de repli sur soi et au refus de toute différence. Tout ce qui s’éloigne de l’image d’Épinal de la Hollande tranquille avec ses tulipes et ses moulins à vent est perçu comme menaçant. Le modèle "interculturel" est dénoncé comme en faillite pendant que les partis de gauches ou les militants anti-racistes sont ringardisés.

Dans cet appel généralisé au retour de la norme, il était logique d’inclure les pédophiles et leurs pratiques déviantes.

Des voix discordantes bien esseulées

Quelques voix s’élèvent au nom de la liberté d’expression. Mais aussi, contre l’inutilité de l’interdiction de ce type de mouvements, car ils deviennent alors clandestins et incontrôlables. C’est l’avis qu’exprimait l’historien Wim Berkelaar dans l’émission De Tijd Machine – la Machine à remonter le Temps – le 20 juin dernier.

Ou par solidarité, pour contrer le discours de la droite populiste, à l’instar de l’écrivain Anton Dutzenberg qui dénonce une véritable "chasse aux sorcières".

Mais il y a gros à parier que ces voix discordantes seront bien seules dans le concert qui, d’ores et déjà, réclame l’interdiction de la Martijn Vereniging et de la propagande pédophile. En attendant, et en dépit de toute l'émotion suscitée par cette affaire, l'association persiste et signe: son trésorier, Marthijn Uittenboogaard a déclaré au journal Metro que l'interdition de l'association ne changerait rien aux convictions de ses membres, ni à leurs pratiques.  "Nous sommes qui nous sommes et nous le resterons" affirme-t-il.

Cette déclaration n'a fait qu'attiser la colère des supporters de Henk Bres : les manifestations se multiplient tant devant son domicile que devant le siège de l'association pédophile.  Au point qu'Uittengoogaard a demandé une protection spéciale au Premier Ministre Mark Rutte, qui s'est bien gardé de lui répondre.

Marche de protestation




Pays