En refusant le principe même des euro-obligations, les mesures symboliques et loin d'être mises en œuvre au niveau européen annoncées par Angela Merkel et Nicolas Sarkozy sont, au mieux des vœux pieux. Mais les industriels allemands pourraient bien mieux que l'Elysée pousser la Chancelière allemande à faire volte-face.
Gouvernance de la Zone euro, taxe sur les transactions financières, "règle d'or" budgétaire, les trois mesures annoncées par Nicolas Sarkozy à l'issue de son entretien à l'Elysée avec Angela Merkel sont, certes, en apparence, symboliquement importantes, mais restent des vœux pieux.
De part et d'autre du Rhin, on avait d'ailleurs pris la précaution de déminer préalablement le terrain en expliquant qu'il ne fallait pas attendre de miracle de cette réunion bilatérale au sommet. Et effectivement, pas plus qu'à Lourdes en ce lendemain du jour de l'Assomption, le miracle n'a eu lieu.
Mais du fait du refus catégorique d'envisager la création d'euro-obligations, seule mesure concrète susceptible de rétablir la confiance des marchés financiers envers l'euroland, il faut vraiment avoir la foi du charbonnier pour estimer que les propositions franco-allemande pour enrayer la déroute des marchés financiers sont à la hauteur.
Soutien conditionnel
En Allemagne, le plus satisfait est Christian Lindner, le leader du parti libéral FDP, qui bien qu'en perte de vitesse, est l'allié indispensable à la coalition gouvernementale au pouvoir. Lindner décerne un "bien mais peut mieux faire" à Merkel et Sarkozy et d'ajouter "la direction est bonne, la Chancelière a notre soutien".
Les libéraux allemands qui avaient menacé de quitter la coalition si Merkel acceptait le principe des "eurobonds" ont de quoi être satisfaits: il n'en n'est plus question. Ces euro-obligations, titres communs qui seraient émis par tous les pays de la zone euro, permettant ainsi de mutualiser leurs dettes et de réduire à néant le risque de défaut de paiement de la Grèce notamment, ont été jetées aux oubliettes. Du moins pour le moment et jusqu'au nouveau coup de semonce des marchés financiers?
Surmonter les égoïsmes
Et pourtant, ces eurobonds sont "la question la plus importante dont on discute actuellement dans toute l'Europe" comme le souligne Frank-Walter Steinmeier, vice chancelier jusqu'en 2009, du temps de la coalition gouvernementale droite-gauche SPD-CDU et actuel chef de file du parti social-démocrate. Mais il y a un hic à cette mutualisation de la dette à l'euroland: elle nécessite de surmonter les égoïsmes nationaux, les plus riches et prospères devant accepter de payer pour les plus pauvres.
Or ce qui est plus ou moins accepté au niveau national (la Bavière paye pour Hambourg ou pour le Mecklembourg ) est loin de l'être au niveau européen. Du fait de la hausse des taux de refinancement de la dette (Refi) engendré par cette mutualisation, l'Institut de recherche économique IFO vient de "calculer" que l'introduction d'eurobonds augmenterait de 33 à 37 milliards le coût des intérêts de la dette allemande. Evaluation en fait bien théorique puisque l'on ne connait pas, notamment, les modalités d'émission, le taux de couverture de ces eurobonds (s'agit-il de communautariser toutes les dettes publiques ou une partie seulement?).
Alors même qu'une étude de l'OCDE basée, elle, sur une réalité quantifiable, révèle que l'on travaille en moyenne 2 120 heures par an en Grèce, 1647 en Espagne, 1544 en France et seulement 1430 heures en Allemagne, l'affichage de ces milliards pour ces "pays fainéants" fait mouche. Le Bild Zeitung, premier quotidien populaire allemand (11 millions de lecteurs réguliers!) ne s'y est pas trompé en expliquant à longueur de colonnes à ses lecteurs qu'il n'est pas question de payer pour des Grecs.
"Une faute majeure"
On peut à l'inverse, comme le souligne Jürgen Trittin, chef de file des Verts au Bundestag, mettre dans la balance
le financement de dizaines de milliards au Fonds de stabilité financière sans que cela calme les marchés! L’Allemagne ferait mieux d’accepter de payer des taux d’intérêt plus élevés en participant à des émissions d’euro-obligations qui mettraient fin à la crise".
En France, les socialistes sont sur la même longueur d'onde. Sur Europe1 précisément, François Hollande estime que "Nicolas Sarkozy a perdu son chapeau sur les eurobonds". "Le président s’est couché sur les euro-obligations. C'est une faute majeure qui aura une grave conséquence" sermonne Martine Aubry sur une radio concurrente.
Euro-obligation "avec le sceau allemand"
Moins convenue et moins attendue, l'analyse d'Anton Börner, président de la puissante Fédération des exportateurs allemands (BGA) est aussi plus significative d'une évolution de certains responsables politiques et financiers proches d'Angela Merkel.
Nous avons besoin d’euro-obligations qui porteraient le sceau allemand, explique-t-il. Il faut adopter des mesures dures au sein de la zone euro: un frein constitutionnel pour interdire les déficits excessifs, la modernisation des administrations, une flexibilité accrue des marchés du travail, des investissements massifs dans la formation. Et il ne faut plus faire des hausses d’impôts un tabou. Toute autre solution que les euro-obligations nous coûtera au final plus cher".
Et si le "nein" de Merkel aux eurobonds répondait à une stratégie pour être en position de force pour mieux négocier les conditions les plus strictes pour leur lancement quand Berlin y sera acculée pour faire face à la prochaine dégringolade des marchés financier, prévisible tant que des pays comme la Grèce, le Portugal, l'Italie, l'Espagne et pourquoi pas la France resteront vulnérables?
La question mérite bien d'être posée en ces temps où la confiance fait défaut, engendrant des catastrophes économiques et des désespérances sociales en cascade.