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Les immigrés plus que jamais boucs émissaires

mardi, 23 août, 2011 - 12:52

D'après un récent sondage Ipsos, une majorité d'Européens estime qu'il y a trop d'immigrés dans leur pays. Quant aux Français, ils sont 56% à estimer que l'immigration coûte trop cher aux services publics. Un sondage dont s'est emparé le ministre de l'Intérieur Claude Guéant qui, depuis des mois, s'efforce de prouver que les immigrés aggrave la situation économique.

Un sondage effectué dans plusieurs pays européens indique que l'immigration n'est pas perçue comme allant de soi, qu'elle n'est pas considérée comme forcément bénéfique. On a le droit de dire cela sans être raciste! Les élites ne se soucient pas suffisamment des préoccupations de nos compatriotes au quotidien,

assure Claude Guéant, dans une interview donnée ce mercredi à L'Express, avec un sens consommée de l'euphémisme. A en croire ce récent sondage* Ipsos, 54% des Français pensent que l'immigration a un "impact négatif" sur le pays et 52% jugent "qu'il y a trop d'immigrés".

Alors que depuis des mois, le ministre de l'Intérieur s'efforce de rendre l'immigration, légale ou non, responsable du marasme économique actuel – en plus de l'insécurité -, seuls 24% des Français estiment que l'immigration est bonne pour l'économie [voir le tableau ci-dessous].

Pour le ministre de l'Intérieur, tous les "arguments" et leur contraire y passent.

Claude Guéant, qui entend supprimer 20 000 autorisations de séjour par an, suggère que les immigrés plombent les comptes de l'Etats.

"Aujourd'hui il y a à peu près 200 000 étrangers supplémentaires (par an) qui sont autorisés à séjourner en France", assurait le ministre de l’Intérieur en avril dernier. "Mon objectif, c'est de réduire ce nombre de 20 000, c'est-à-dire de passer de 200 000 à 180 000, dans un premier temps." Motif invoqué:

Il faut savoir que 24 % des étrangers non Européens qui se trouvent en France sont des demandeurs d'emploi. C'est presque trois fois plus que le taux de chômage national".

Dans le même temps, le ministre de l'Intérieur réduit la liste des métiers ouverts aux travailleurs non européens pour freiner l'immigration légale de travail car "la priorité, c'est de proposer du travail aux personnes demandeuses d'emploi en France, qu'elles soient françaises ou non", explique Claude Guéant. L'argument avait été aussi avancé par son collègue en charge du Travail, Xavier Bertrand, pour qui la priorité est de "former des demandeurs d'emploi" en France pour occuper ces postes vacants.

Contradictions

D’un côté donc, si l’on comprend bien, les immigrés peinent à s’intégrer sur le marché du travail. De l’autre, ils ne s’intègrent pas si mal puisqu'ils occuperaient la place des Français. Qu’importe les contradictions !

Contradictions que l'on retrouve dans les résultats de l'étude Ipsos intitulée "Immigration, bouc émissaire international". Ainsi, 41% des Français estiment que les immigrés prennent le travail des autochtones – tout au moins qu'ils compliquent la recherche d'emploi. Une majorité (56%) pense également que ces migrants coûtent trop cher aux services publics (santé, transport, éducation…). Deux idées, deux idées fausses entretenues, notamment, par Jean-François Copé.

Un coût pour les finances publiques ?

Pour le patron de l’UMP, l'immigration, c'est uniquement un coût.

Sur l'immigration à caractère strictement social, nous allons nous heurter à un problème, c'est que nous n'aurons plus les moyens de payer, c'est-à-dire que derrière cela, le coût social pour le contribuable est tellement élevé qu'il y aura un moment où on ne tiendra plus le coup financièrement, parce que c'est du déficit et qu'on y arrive plus",

expliquait-il  le 12 avril dernier, au micro de RFI.

Une étude de 2009 réalisée par une équipe d’universitaire de Lille chiffre ce coût: 47,9 milliards d’euros par an. Les principaux postes de dépense sont, dans l’ordre, les pensions de retraites (16,3), les prestations de santé (11,5) et les allocations familiales (6,7). Pour plus de détails, cliquez ici ou .

Mais, ce calcul n’a de sens que si l’on tient compte aussi des recettes. Surprise : elles sont estimées à 60,3 milliards d’euros et le solde est, au final, positif : les immigrés rapportent 12,4 milliards à la collectivité nationale.

Dans un article récent, Xavier Chojnicki – qui a coordonné l’étude précédente -, s’efforce une nouvelle fois de savoir combien coûte l’immigration. Il commence par noter que

par rapport aux autochtones, les immigrés (hors Union Européenne) seraient environ 1,6 fois plus nombreux à recevoir des allocations chômage, 3,8 fois plus représentés parmi les bénéficiaires du RMI et en moyenne 2,5 fois plus dépendants des aides au logement".

Les explications sont simples et bien connues: les immigrés sont plus jeunes, moins qualifiés et font plus d’enfants que le reste de la population.

Mais, à l’inverse, les immigrés "utilisent moins le système" de santé et perçoivent des "pensions [de retraites] relativement plus faibles".

Loin de représenter une charge nette pour l'Etat-providence, les travailleurs étrangers qui contribuent largement au financement de la protection sociale sont ainsi, n'en déplaise à certains, une aubaine pour l'économie et la société.

Un rôle crucial, à long terme

C'est ainsi que, tout compte fait, Xavier Chojnicki conclut que :

la contribution nette globale de l’immigration au budget des administrations publiques serait positive et de l’ordre de 3,9 milliards d’euros pour l’année 2005. Au final, moins d’immigration c’est à la fois moins de dépenses sociales mais c’est aussi et surtout moins de cotisants".

Depuis le début de la crise économique, l'OCDE note, pour sa part, que "les chiffres du chômage des immigrés de sexe masculin (dont beaucoup travaillaient dans les secteurs durement touchés par la crise comme le bâtiment ou l’hôtellerie-restauration), ont progressé davantage que ceux de la population autochtone".

Mais, plutôt que d'appeler à freiner l'immigration légale, l'organisme appelle les Etats à "faire tout leur possible pour aider les immigrés qui ont perdu leur emploi." Pourquoi? Parce que "l’immigration (…) continuera de jouer un rôle crucial, à long terme, dans les pays de l’OCDE [qui] auront besoin de travailleurs supplémentaires pour préserver la croissance et la prospérité (…)"

Durcissement partout en Europe

Les calculs biaisés du patron de l'UMP et les rodomontades du ministre français de l'Intérieur ne sont, à l'évidence, pas seules responsables du durcissement des opinions face à l'opinion, durcissement que l'on observe dans presque tous les pays européens.

L'image de l'immigration est en fait étroitement corrélée aux difficultés économiques du pays",

précise l'étude Ipsos. Exemples: 55% des espagnols et 56% des Italiens jugent que l'immigration a eu une influence négative sur leur pays. A 52%, ils pensent que les immigrés leur "prennent" des emplois [Voir le tableau ci-dessous].

Mais, il n'y a pas que l'Europe du Sud, fortement touchée par la crise économique. 72% des Belges et 71% des Britanniques estiment qu'il y a trop d'immigrés "chez eux" – une proportion plus importante qu'en Italie et Espagne (67%) ou qu'en France (52%).

Un peu partout, les politiques suivent le sens du vent. De nombreux pays ont récemment pris des mesures resteignant la liberté de circulation au sein de l'UE. 

Le 11 août dernier, la Commission européenne a approuvé la décisison de l'Espagne d'exclure les travailleurs roumains de son marché du travail. L'adhésion de la Bulgarie et de la Roumanie à l'espace Schengen a par ailleurs été repoussée sine die.

De son côté, la Grande-Bretagne a décidé de limiter à 21 700 le nombre de permis de travail accordés chaque année à des migrants extérieurs à l'UE, contre 28 000 en 2009.

Après les tripatouillages législatifs de la France et de l'Italie, destinés à se débarasser de l'afflux de migrants tunisiens, c'est le Danemark qui a décidé de retablir, unilatéralement, des contrôles à ses frontières.

Article actualisé le 24 août à 11h avec les déclarations de Claude Guéant.


*Réalisé du 15 au 28 août 2011, dans 23 pays du monde, auprès d'un échantillon représentatif de 17 601 personnes âgées de 18 à 64 ans pour le Canada et les Etats-Unis et de 16 à 64 ans pour les autres pays.







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