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Lazzate, village laboratoire de la Ligue du Nord

jeudi, 25 août, 2011 - 10:27

L'auberge du village prépare exclusivement des plats issus de la cuisine lombarde: couscous, kebabs et même pizzas sont prohibés. Trop étranger, trop italien. Car, les habitants de Lazzate vivent en "Padanie" et votent majoritairement pour la Ligue du Nord, parti régionaliste et xénophobe. Reportage.

Ce pourrait être un village de la Lombardie comme les autres, avec sa figure locale, Alessandro Volta l'inventeur de la pile, ses vieux qui abattent les cartes pour tromper le temps, et sa "gelateria" où les gamins dévorent une glace après avoir dévalé les ruelles à toute berzingue sur leur vélo. Mais à y regarder de plus près Lazzate, bourg de 7 600 âmes n'a rien d'italien.

D'ailleurs, ses habitants proclament plus facilement leur appartenance à une certaine "Padania" qu'au pays de Dante. La Padanie est une entité géographique et culturelle créée de toutes pièces par le parti de la Ligue du Nord pour séparer le nord de l'Italie du Mezzogiorno, le Pô servant de délimitation entre les deux parties.

Couscous, kebabs et pizzas sont prohibés

C'est sur ce territoire que se concentrent les électeurs de la Ligue du Nord. Et à Lazzate, au croisement des routes de Milan et du lac de Côme, le parti d'Umberto Bossi a trouvé un écho particulier.

Dans les ruelles, tout fait référence à la symbolique verte de la Ligue: des persiennes et passages piétons peints en vert aux noms de rues évoquant les pères spirituels de l'imaginaire lombard. La municipalité de Lazzate ordonne même à l'auberge du village de préparer exclusivement des plats issus de la cuisine lombarde. Couscous, kebabs et même pizzas sont prohibés. Trop étranger, trop italien.

Couleur locale : même les passages piétons sont peints en vert

L'auteur de cette "révolution verte" n'est plus maire depuis 2006, mais continue d'être appelé comme tel par ses électeurs les plus fidèles. En ce jour de fête patronale, Cesarino Monti est attablé à la terrasse d'un café. Certains fidèles viennent le saluer un à un. Aujourd'hui sénateur, il prend visiblement beaucoup de plaisir à serrer la main de ses électeurs "des amis, car ici, tout le monde se connait", insiste-t-il.

Comme une dizaine d'autres villageois, le vieux Guiseppe arbore fièrement un t-shirt vert pour l'occasion. "C'est en hommage à la Ligue. Je suis partisan de la Ligue depuis le début de l'aventure grâce à Cesarino. Il a fait beaucoup pour le village. C'est un homme profondément bon, un vrai père de famille." Le ton est donné. Cesarino Monti entretient lui aussi son propre mythe. Il aime rappeler à qui veut l'entendre que, lors de son dernier mandat, il a été plébiscité à près de 70 %.

À Lazzate, la gauche et la droite se partagent les miettes. Et pour cause, le village aux 7 600 habitants compte plus de militants de la Ligue du Nord que Monza, la ville voisine de 120 000 habitants dont le maire est aussi un élu de la Ligue du Nord. Le secret de son succès, c'est Monti qui nous le livre.

Depuis la création de la Ligue, aucun de ses membres n'a été mouillé dans les affaires qui ont secoué l'Italie. La hiérarchie de la Ligue fait que les hommes, élus, militants sont contrôlés de très près. Nous avons encore des valeurs morales, nous défendons les petits contre les grands et surtout nous sommes d'honnêtes gens",

claironne le sénateur, le menton haut.

Patrouilles nocturnes

Toujours sur le mode de l'autopromotion, il aime à répéter que "le coin est tranquille. On y vit bien". Pourtant, tous les soirs, on assiste à un étrange ballet dans les rues de Lazzate. Des militants de la Ligue du Nord se relaient pour effectuer des patrouilles avec une voiture mise à disposition par la commune. Le but? "Surveiller et dissuader les voleurs, les criminels", plaide Adriana*, une ancienne conseillère municipale qui "remplit sa tâche" deux fois par semaine entre 20 heures et minuit.

Un moyen d'autodéfense qui existe seulement dans quelques rares villages de la Lombardie et de la Vénétie et ne soulève aucune polémique. "Nous ne sommes pas une milice" se défend Lello, un marchand de glaces du bourg. Petit bonhomme au crâne rasé, il est installé depuis seulement 3 mois à Lazzate et participe déjà aux patrouilles nocturnes.

Nous n'avons pas d'armes, nous le faisons dans le seul but d'aider la police, pour vérifier que tout se passe bien. C'est une question de solidarité entre les habitants.

Mais de quoi ont peur les habitants d'un village situé à 40 kilomètres de Milan? La réponse se trouve du côté du vieux Guiseppe:

Les temps ont changé. Les alentours ne sont plus sûrs, car beaucoup d'immigrés viennent trouver du travail ici. Et quand ils ne trouvent pas…

Il s'interrompt et fait un geste de la main pour montrer sa lassitude. De la question de sécurité à celle des immigrés il n'y a qu'un pas que le sénateur Monti franchit sans complexe.

[Les étrangers] qui habitent à Lazzatè sont travailleurs, honnêtes et donc intégrés. Je ne veux pas d'étrangers qui viennent pour foutre le bordel dans mon bourg, c'est normal, non?,

raisonne Monti.

Xénophobie et italophobie

Lazlo*, la vingtaine, est Albanais et fait partie de ces étrangers qui vivent à Lazzate. S'il est satisfait de son sort, il s'emballe dès que l'on prononce le nom de Cesarino Monti.

Il a mis un an à me donner mes papiers pour travailler en Italie. J'ai dû le relancer plusieurs fois, lâche-t-il en lançant un regard furieux. Dans ce village, ils ont peur de tout, des jeunes, des étrangers et même des chiens! Maintenant, ils agitent le drapeau de la Ligue face aux musulmans, ça devient invivable cette ambiance!

Pourtant, cette conversion de La Ligue du Nord aux idées racistes est récente. Née en 1989 de la réunion de la Ligue Lombarde et de la Ligue Vénitienne, la Ligue du Nord avait pour seule ambition l'indépendance financière et territoriale de la Padanie, pour stopper "la perfusion du sud du pays" jugé "arriéré et fainéant". "Padroni a casa nostra" ("Les patrons chez nous") et "Roma ladrona" ("Rome voleuse") sont alors les cris de ralliement des électeurs de la Ligue.

Aux revendications régionalistes s’est ajouté, ces dernières années, un volet xénophobe et islamophobe. En 2006, Roberto Calderoli, numéro deux et fine gâchette de la Ligue du Nord affirmait que l'équipe de France de football était "composée de Noirs, d'islamistes et de communistes" et que ce n'était pas sa faute "si Barthez chante l'Internationale au lieu de la Marseillaise et si certains préfèrent la Mecque à Bethléem."

Dans le même genre, Calderoli conseille aux Italiennes d'avoir toujours une paire de ciseaux dans leur sac à main pour "se protéger des agressions bestiales des immigrés".

Ces dérapages, Cesarino Monti les assume. C'est d'ailleurs de Lazzate qu'en septembre 2010, lors de sa venue pour la fête de la patate, qu'Umberto Bossi avait parodié la devise du Sénat Romain SPQR [Le Sénat et le Peuple Romain] en lançant "sono porchi questi romani!""Ils sont sales ces Romains!". La provocation avait été accueillie par les rires des convives. "Et pour cause, sourit Monti. Il y a un proverbe qui dit: Lazzate c'est la Ligue, et la Ligue c'est Lazzate".

Le visiteur lui aussi est prévenu. Sur le panneau d'entrée du village, on peut lire: "Lazzate, commune de la Padanie". A Lazzate, même si la frontière suisse est à 25 kilomètres au nord, l'Italie est déjà bien loin.
 

*les prénoms ont été changés conformément aux souhaits des personnes interrogées.




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