Une styliste bruxelloise, Rocio Pasalodos et son association Divers’Gentes, veut redonner aux femmes le pouvoir sur leur image. Elle part en guerre contre l'industrie de la mode qui impose des "standards prédateurs" véhiculés par des photos "photoshopées" de mannequins anorexiques.
Quelle histoire nous racontent les créateurs de mode? Une histoire de violence et de mort si on en croit la styliste bruxelloise Rocio Pasalodos. Et elle ne nous parle même pas des traces d’éthoxylates ou de nonylphénol que contiennent la plupart des vêtements des grandes marques selon le récent rapport Dirty Laundry de l’association écologiste Greenpeace.
Non, elle parle de la conception de la femme que véhiculent ces marques et ses créateurs. Elle parle des normes inatteignables qu’une poignée de décideurs imposent à une majorité de consommateurs. Elle parle des nouveaux outils de retouche d'images, tels Photoshop, qui sculptent sur le papier glacé des magazines glamours des corps idéalisés, virtualisés que ne rejoint aucune réalité physique.
Rocio Pasalodos porte une vision quasi magique de la femme. Sur son site, où des vêtements d’une rare sensualité épousent amoureusement les courbes généreuses de ses modèles, elle affirme
Je positionne [la femme] comme un totem, une divinité, et mon savoir sert sa particularité, quelle qu’elle soit…"
Une évolution prédatrice
La styliste part en guerre contre ces "standards prédateurs". Pour mener son combat, elle a créé une association, Divers’Gentes, qui a pour ambition de promouvoir "la mise en valeur de la diversité de la femme dans le monde" et de “remettre en question la relation entre le corps et le vêtement, nouveau corset sociétal”.
Pour cela, elle veut rassembler des acteurs du monde du textile, de la santé et de la nutrition, artistes, artisans, pédagogues, techniciens… , afin de repositionner le lien entre le corps, l’esprit et le textile, et les impacts de ce lien dans le domaine de la santé, de l’économie et l’égalité des chances.
Des professionnels de la santé, des psychologues, des sociologues, des femmes politiques ou des personnalités artistiques tirent, eux aussi, la sonnette d’alarme : ces normes et ces images retouchées, sans lien avec la réalité du corps d’une femme adulte, poussent non seulement nombre de jeunes filles vers l’anorexie et les troubles du comportement, mais mettent en péril la construction de la personnalité des enfants. Ceci alors même que le fameux "poids idéal" rabâché à longueur de magazines et de spots publicitaires, ne concerne pourtant qu’une portion infime de la population.
Une image infantilisante
Les programmes de retouche d’image sont également responsables de dégâts physiques et psychologiques irréversibles. Ces logiciels favorisent dangereusement un jeunisme imaginaire et des corps irréels.
Il ne s’agit plus d’enlever quelques rides, des cernes, d’affiner la peau, mais bien d’effacer complètement toutes les expressions gestuelles qui marquent les visages dès 8/10 ans. Ainsi la féminité et la séduction sont assimilées à l’enfance. Pour preuve, la dérive actuelle vers des mannequins enfants.
Francis Nicoll, photographe qui participe au projet, raconte sa frustration et le choc qu’il ressent face aux souffrances des femmes : pour elles, leur image a une importance énorme.
Souvent, elles se perçoivent de manière très négative. Et c’est vraiment dommage, car il n’y a aucune raison".
La première réaction des femmes, lorsqu’on leur propose d’être modèle, c’est de refuser, car leur physique ne correspond pas aux standards. Ensuite, lorsque la séance photos est terminée, elles demandent à retoucher telle ou telle partie du corps qui s’éloigne trop des normes imposées par les médias.
Francis raconte l’histoire d’un modèle avec qui il a travaillé :
Elle s’est fait refaire la poitrine et depuis trois mois elle se cache. Parce que quelque part, elle n’était pas satisfaite de son image, mais elle n’arrive pas à accepter sa nouvelle non plus".
Des vêtements pour pré-ados
Mais l’infantilisation ne s’arrête pas là : car les vêtements sont conçus pour des personnes jeunes, des préadolescentes qui ne sont pas encore réglées et n’ont pas encore acquis les formes qu’elles auront en tant que femmes. Résultat: une adolescente qui porte un 38 et n’entrant pas dans un XS, peut souffrir d’une perturbation de son image physique, avec non seulement des conséquences médicales, mais aussi financières dues à la difficulté de s’intégrer dans la vie active.
Ce sera d’autant plus vrai pour les jeunes femmes ayant une taille 42, 44 ou 46 qui seraient confrontées à une discrimination professionnelle. Dès l’instant où elles ne peuvent pas s’habiller selon les codes de l’emploi pour lequel elles postulent, elles n’ont aucune chance.
C’est une violence faite à la femme. C’est une violence faite à l’enfant” affirme Rocio Pasalodos. D’où la nécessité d’instaurer une réelle diversité de la femme dans les campagnes d’affichage et dans les magazines.
La difficulté ou l’impossibilité de s’identifier à son propre corps produisent souffrances, comportements alimentaires inadéquats, troubles psychiques importants et contribuent à développer des problématiques de santé graves, voire mortelles (anorexie, boulimie, dépression…).
Les conséquences de ces problématiques fragilisent les femmes –particulièrement les femmes précarisées et celles subissant des violences physiques – dans leurs relations familiales et sociales, entraînant trop souvent des discriminations, notamment dans le monde du travail.
Tailles de patronage
Pourtant, cette vision étriquée – dans tous les sens du terme – du corps féminin n’est pas une fatalité. Si les vêtements allemands taillent plus grands que les autres marques européennes, c’est que les tailles des patrons utilisée dans l'industrie du vétement correspondent à une réalité, à la suite d'une analyse morphologique, à partir de la prise des mesures moyennes de la population.
Mais en Belgique, par exemple, la standardisation est si poussée que la technicité requise pour adapter les tailles fait défaut. Il faut donc repenser la formation professionnelle
Sujets et non objets convoités
Cette philosophie, l’association Divers’Gentes la met en oeuvre dans un projet “Pour elles… par elles”. Il fait appel à des femmes de 16 à 77 ans de toutes tailles et origines.
Elles participent à des défilés, des événements et des spectacles médiatisés dans lesquels elles se placent, volontairement, dans un contexte de prise de risque. Ce qui les amène à retrouver une nécessaire confiance en elles.
Ces événements déclinés en campagnes publicitaires, en conférences, en recherches artistiques, en défilés de mode et en spectacles, transforment ces femmes en actrices de leur relation au corps et au vêtement. La femme se retrouve ainsi dans la position de sujet conscient de son corps et non plus d’objet exposé à la convoitise.
Le mépris de Lagerfeld
Rocio Pasalodos et son association ne sont pas les seules à avoir perçu les dangers de la standardisation.
La marque Dove lors de sa campagne publicitaire de 2005, mettait en scène des femmes dites “normales”. Les ventes de produits Dove se sont-elles écroulées ? Non. Au contraire. La vague de sympathie engendrée par la campagne a propulsé les ventes de 8,5 %.
Le magazine Elle a mis en avant un top model de taille 48 et quelques beautés rondes affichant joyeusement leur taille 52. Le magazine allemand Brigitte ne fait plus appel, depuis un an, qu’à des femmes “normales”, parmi ses lectrices. Réaction méprisante et à coté de la plaque de Karl Lagerfeld:
Vous avez de grosses bonnes femmes assises avec leur paquet de chips devant la télévision qui disent que les mannequins minces sont hideux!".
Pourtant, là aussi, les ventes ont augmenté de 4 % en un an.
L’ASA (L’Advertising Standards Authority) a interdit des publicités du groupe L’Oréal mettant en scène l’actrice Julia Robert et le mannequin Christy Turlington. “Trop retouchée, une affiche équivaut à de la publicité mensongère” argumentait l’autorité britannique…
Mannequins androïdes
L’Espagne a interdit l’accès aux défilés pour les mannequins ayant un indice de masse corporelle inférieur à 18, suite au décès d’une jeune modèle : elle était épuisée par sa maigreur.
En France, Valérie Boyer, députée UMP, a présenté un projet de loi sur les photographies d’images corporelles retouchées afin qu'une mention précise que ces photos ont été numériquement modifiées.
Pénélope Cruz a rejoint l’AMA (American Medical Association) : la plus grande association de médecins des USA lance une campagne de lutte contre les retouches photo.
Sans doute verrons-nous encore un temps des mannequins filiformes aux visages et aux contours retouchés, ressemblant de plus en plus aux androïdes des productions américaines de science-fiction.
Mais le mouvement est lancé : de plus en plus de femmes, de professionnels de la santé, d’artistes et de politiques ont pour ambition de replacer la femme au centre de la création. De lui redonner un rôle d’actrice et de sujet. Les marques feraient bien d’en tenir compte…