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Salons: l’Allemagne dans un fauteuil, la France fait tapisserie

mardi, 6 septembre, 2011 - 13:56

La seconde puissance exportatrice mondiale dispose d’une arme redoutable : ses grands salons, véritables têtes de pont pour les entreprises allemandes sur le marché mondial. La France tarde à rattraper son retard.

Salons internationaux: derrière cette appellation aux connotations feutrées et exotiques se cache l’une des clés de la réussite allemande à l’export. Mis à part le Bourget, le Mondial de l’Auto ou le Salon du Livre, les salons internationaux s’invitent rarement dans les discussions des Français. En Allemagne, c’est tout l’inverse.

Il suffit d’ailleurs de consulter le plan de métro de n’importe quelle grande ville pour y trouver une station "Messe"  ou de voir l’effervescence qui règne à Hanovre durant le mois d’avril. Pour comprendre cette différence, il faut se rappeler du rôle prépondérant qu’ont joué les foires dans l’édification de l’Allemagne: elles permettaient l’échange entre les différentes provinces marchandes – la Ruhr, les ports hanséatiques au Nord et la Bavière – et ont favorisé des logiques économiques locales, fondatrices des Länder.

Investissements massifs

Après la seconde guerre mondiale, les alliés dépècent l’industrie allemande: la France héritera de ses machines-outils. Les pouvoirs publics locaux, pilotés par l’Etat fédéral, vont alors investir massivement dans les infrastructures des salons pour relancer la machine économique et attirer les acheteurs en Allemagne.

Présents au capital de tous les grands organisateurs de salons, les Länder accompagnent les entreprises en amont des évènements, offrant des infrastructures de pointe et un soutien politique et promotionnel à leurs évènements. Nombre d’organisateurs français accusent même l’Allemagne de concurrence déloyale.

En ordre de bataille

Alors que le train France se coupe généralement en deux – grands groupes en première classe voyageur, PME dans les wagons à bestiaux – les Allemands reçoivent et se déplacent en "meute". Les grandes entreprises frayent un chemin au Mittelstand, cette nébuleuse d’entreprises moyennes, présentes sur des segments de niches, peu glamours mais très rentables, sous l’œil vigilant des centres de recherches (notamment les Instituts Max Planck et Fraunhofer) et des organismes publics.

Le constat de Jérémie Rossignol, président de la Jeune Chambre Economique (JCE), est clair:

[En France] l'effet d'entraînement des grands groupes sur les PME est inégal et globalement insuffisant : la démarche individuelle reste la règle et l'action collective l'exception.*

D’après Michael Scherpe, président de la section française de Messe Frankfort [l'un des plus gros organisateurs mondiaux de salons], les Allemands sont "plus réalistes, rassemblent tous les acteurs sur des 'miniatures du marché réel' alors que les Français restent davantage dans la promotion et le franco-français", se fermant, notamment, à la Chine et aux émergents.

La France a compris tard le rôle primordial des salons internationaux et des bénéfices que les entreprises pouvaient en tirer. Annie Arsaut-Mazières, présidente de la Fédération des Salons, Congrès & Foires (FESCF) estime que les pouvoirs publics ont pris conscience de l'importance des salons avec deux décennies le retard. Mais elle note un changement dans les mentalités, notamment dans l’accueil, talon d’Achille de l’Hexagone.

L'Allemagne construit 1 machine sur 5

La France reste ainsi le premier challenger européen de l’Allemagne. Elle occupe la 4ème place mondiale des organisateurs de salons et a une image de marque unique, de l’avis même des visiteurs étrangers. Pour preuve, la première place mondiale de la région île de France. D'autres villes comme Cannes (TFWA, MIDEM), Bordeaux (Vinexpo), Lyon (Foire de Lyon, Solutrans), Montpellier ou encore Lille sont en pleine ascension et gagnent en notoriété à l’international.

Invitée d’honneur à la Foire d’Hanovre en avril, la délégation française s’est voulue positive et volontariste. François Fillon, après ses traditionnels salamalecs à la Chancelière et son industrie, a détaillé les grandes orientations prises pour les "investissements d’avenir": infrastructures, pôles de compétitivité, économie de la connaissance…

Pour l’heure, les chiffres sont cruels: alors que la balance commerciale française a fini l’année 2010 sur un déficit de 51,4 milliards d’euros, Berlin affiche tranquillement un solde positif de 154 milliards. L’Allemagne compte 1 500 entreprises leaders mondiales – 10% des parts du marché mondial -, et construit une machine sur cinq dans le monde.

30 milliards d’euros annuels et 300 000 emplois en France

En France, si l’activité sur les salons s’est légèrement rétractée l’an dernier, le FESCF attendait 30 milliards d’euros en volume de transactions: aux 23 milliards d’euros échangés sur les salons, devaient s’ajouter 7 milliards de retombées économiques. Les résultats ont depuis été revus à la baisse (5,8 milliards de retombées indirectes dont 3,9 en Île-de-France), la faute incombant à une reprise plus lente que prévue.


Infographie : foires et salons, les étrangers…
par lesechos

Au-delà des retombées immédiates, sur lesquelles se focalisent trop souvent les collectivités locales françaises, ce sont bien les choix à moyen et long termes qui seront déterminants. Les conclusions des deux rapports sur la politique des grands évènements** rendus au président de la République, Nicolas Sarkozy, soulignaient les immenses potentialités d’une filière qui pèse aujourd’hui 300 000 emplois (directs et indirects), dont 60 000 dans le tourisme d’affaires.

Elles reprenaient également toutes deux l’idée d’une "Agence Nationale des Grands Événements", structure légère qui permettrait une mise en commun des compétences, faciliterait les contacts tout comme les synergies de coûts et de revenus dans chaque filière. Ce mois-ci, le salon Maison et Objets – concurrent historique avec la Messe Francfort -, et l’IAA, le pendant allemand du Mondial de l’Automobile ouvrent leurs portes. Les retrouvailles entre les frères rivaux, qui s’étreignent mais se craignent, promettent d’être chaudes.


* Livre Blanc : Le défi des investissements français en Chine

** Rapports de Philippe Augier en 2009 et David Douillet en 2010




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