Un mois après les émeutes de Londres, le politologue Rodney Barker dresse un bilan peu flatteur pour le gouvernement Cameron. C'est, selon lui, sa politique d'exclusion économique qui a embrasé les quartiers les plus populaires.
Tout d’abord, un mois après, que savons-nous des émeutiers ?
En dehors du fait que ce sont principalement des jeunes hommes, nous savons surtout ce qu’ils ne sont pas : un groupe racial cohérent. Mais ils ont tous en commun un rejet fondamental de la police et à l’Etat, comme lors des émeutes en France de 2005. Ils n'ont pourtant rien de commun avec un mouvement politique anarchiste anti-autorité et anti-Etat. Leur rejet est un refus de leur environnement local: ils refusent les écoles, les policiers, les commerces de leur communauté. Leur colère les pousse à tout détruire.
Par quoi est provoquée cette colère ?
Ils ne se reconnaissent pas dans leur environnement, ils ne se sentent pas chez eux dans leur quartier. La raison économique est intimement présente. Ils ne peuvent pas profiter de ce que leur font miroiter les magasins dans leurs rues. Ils ont, au mieux, de faibles revenus et souvent n’en ont pas. Ils vivent pour certains de petite criminalité et leur avenir est bouché. N’oublions pas que ces violentes émeutes n'ont rien de surprenant: lors de l’annonce des coupes budgétaires, le gouvernement et le monde politique avait annoncé l’an dernier que ces mesures augmenteraient "probablement" les mouvements de colère. Un peu comme un assureur qui prévoit l’accroissement d’un risque.
Le gouvernement a donc joué avec le feu ?
Tout à fait. Le parti conservateur du Premier ministre David Cameron tente de diviser les communautés en provoquant les plus pauvres. Mais quand le chancelier de l'Échiquier (ministre des Finances, NDLR), George Osborne, dit "nous allons souffrir ensemble", tout le monde comprend : "vous allez souffrir ensemble".
Mais ce n'est pas nouveau de la part du parti conservateur depuis Margaret Thatcher ?
Si, c'est vraiment nouveau. Le parti conservateur était toujours considéré par bon nombre de Britanniques comme le parti du sens commun qu'incarnait malgré tout Margaret Thatcher, à l’inverse des travaillistes perçus comme des idéologues plus ou moins socialistes. Avec le démembrement du système de santé, notamment, tout le monde s’aperçoit qu’il a changé, qu’il est désormais, lui aussi aveuglé par une idéologie, celle d'un libéralisme le plus étroit.
Comment jugez-vous sa réaction immédiate aux émeutes ?
Pour faire respecter la loi et l’ordre David Cameron a décidé de frapper fort tous azimuts. La Justice a été si expéditive que de nombreuses personnes ont été condamnées pour des choses dont elles n’avaient pas été initialement accusées ! Heureusement, la cour d’appel va modifier les sentences énoncées lors des comparutions immédiates. Sans quoi, les émeutiers seront renforcés dans leur idée : "nous vivons dans une société parallèle à celles des riches et tout le monde est contre nous". En adoptant cette stratégie de la tension, à mon avis ce gouvernement court à sa perte…
Rodney Barker est professeur émérite de la London School of Economics and Political Science.