Le 11 septembre a déclenché le tsunami populiste aux Pays-Bas
Onno Bosma, enseignant, journaliste et écrivain néerlandais, publie le 15 septembre La Tentation de Johan Metsiers, un roman évoquant le populisme sévissant dans son pays. Il y décrypte le rôle de déclencheur qu'a joué le 11 septembre. Entretien.
Le parcours d’Onno Bosma évoque celui d’un chat : à lire sa biographie, on pourrait croire qu’il a eu neuf vies… Enseignant puis directeur d’école. Journaliste d’abord, puis rédacteur en chef de Onderwijsblad, journal du syndicat des enseignants. Et puis, plus récemment, écrivain. Compagnon d’Ella Vogelaar, ex-ministre de l’intégration, il a écrit avec elle “Vingt mois de folie furieuse” (Twintig maanden knettergek). Aujourd’hui, à 71 ans, Onno Bosma tient une chronique sur le site de la maison d’édition De Arbeiderspers qui publie ce 15 septembre son nouveau roman De verzoeking van Johan Metsiers (La tentation de Johan Metsiers). Une oeuvre dont le thème majeur est le populisme aux Pays-Bas.
Onno, pourquoi ouvrir un roman sur le populisme par l’attaque du 11 septembre ? Quel rapport y a-t-il entre les deux ?
Parce que l’attaque des Twin Towers a engendré un tsunami populiste aux Pays-Bas. Après le 11 septembre, il y a eu une exacerbation incroyable du sentiment islamophobe chez les Néerlandais.Et cela a conduit à l’ascension des populistes.
D’abord, il y a eu Pim Fortuyn, le premier à avoir écrit que l’islam était "une religion inférieure". Jusque-là, il avait une notoriété anecdotique. Avec le 11 septembre, il devient un chouchou des médias. Et puis, il y a ses héritiers, depuis sa mort, ceux que j’appelle les “clowns”, Rita Verdonk et surtout, Geert Wilders.
Quelle autre influence a eu le 11 septembre sur la vie néerlandaise ?
Durant les premiers mois, les gens ont eu vraiment peur. Et puis, comme il n’y a pas eu d’attaque majeure aux Pays-Bas, cette peur est retombée rapidement. Ensuite, les autorités ont pris le prétexte pour multiplier les contrôles, des mesures de suspicion généralisée qui étaient impensables auparavant. Dans les aéroports, mais aussi dans les gares, dans les trams, etc. Je suis très en colère contre ça !
Dans votre roman, vous parlez aussi de la trahison des élites. Qu’est-ce que vous entendez par là ?
Il y a une double trahison des élites. D’abord, les élites culturelles ont laissé le populisme se développer. Elles ne l’ont pas combattu, elles l’ont laissé prospérer. Pour l’instant, elles ne sont préoccupées que par les diminutions de budget de la culture. (Le gouvernement néerlandais a réduit de manière drastique les subsides culturels tout en augmentant la TVA sur les spectacles, NDLR). Dans mon livre, il y a un personnage d’intellectuel qui crée un mouvement, le Réveil de l’élite, dont l’objectif est justement de réveiller tous ces intellectuels qui se sont endormis sur cette question.
Et puis, il y a les élites politiques. Elles ont trahi – et trahissent encore – en tentant de capter le vote des électeurs du PVV. Pour cela, elles adoptent le langage du populisme. C'est également ce que Nicolas Sarkozy fait en France. Il tente de récupérer les votes du Front national en étant plus nationaliste qu’eux. Cela ne peut profiter qu’aux extrémistes, pas à la démocratie.
Vous vous êtes aussi intéressé à la situation du Danemark…
Oui, les populistes soutiennent le gouvernement libéral. Cela fait dix ans que cela dure. Et puis maintenant, la plupart des sondages montrent que la coalition de centre-gauche devrait l’emporter.
Ce sera le 15 septembre. En même temps que la sortie de votre livre, c’est une belle coïncidence.
Oui, ce serait un beau jour pour mois, un double succès : la sortie de mon roman et la victoire du centre-gauche sur les populistes danois. Ils ont terriblement influencé la politique néerlandaise. Geert Wilders s’est largement inspiré de l’exemple danois.
Dans La Tentation de Johan Metsiers,vous faites intervenir un personnage qui joue de la séduction auprès des électeurs, une sorte de diable. Que représente-t-il ?
Il représente la séduction en politique. Les gens ne votent pas de façon raisonnée. Ils votent avec leurs sentiments. Il y a beaucoup d’informations qui circulent. Mais les gens ne s’y intéressent pas vraiment. Ils ne retiennent que ce qui est conforme à leurs convictions établies. Ils ne s’intéressent pas aux programmes.
Le personnage central de mon livre est un ancien communiste – tout comme moi. Et il a vécu, comme tous les communistes, selon certaines idées. Il n’acceptait d’entendre que ce qui confirmait ces idées. Rien d’autre. Il était sourd à tout ce qui n’était pas ces idées.
Oui, mais comment amener les gens à s’intéresser à la politique ? Comment faire pour qu’ils s’engagent d’avantage ?
Par l’éducation. Mais je suis assez pessimiste sur l’évolution de la situation aux Pays-Bas. L'éducation est aujourd'hui de très mauvaise qualité.
Pourtant, les Pays-Bas sont un pays plutôt privilégié.
Les Pays-Bas sont un des pays les plus riches du monde et les gens ont peur du discours des populistes qui affirment le contraire. La plupart des électeurs du Parti de la Liberté [Parti populiste de Geert Wilders NDLR] habitent des régions où il n’y a pas énormément d’étrangers, comme dans le Limbourg, par exemple (la région de Maastricht, frontalière avec la Belgique et l’Allemagne, et Venlo, dont Geert Wilders est originaire, NDLR).
Alors qu'il y a de vrais problèmes dans les grandes villes, Rotterdam et La Haye votent massivement pour le PVV alors qu'à Utrecht et Amsterdam, le vote populiste stagne nettement en-dessous de la moyenne. L’intégration des immigrés est plutôt bonne aux Pays-Bas, contrairement à ce qu’affirme Wilders. De plus en plus de migrants réussissent des études supérieures, surtout les filles. Les jeunes femmes turques et marocaines ont à présent moins d’enfants que les femmes néerlandaises.
Oui, c’est d’ailleurs ce que faisait remarquer Frits Bolkestein dans sa conférence, mardi dernier…
Oui, mais je doute que Bolkestein soit devenu subitement l’ami des immigrés. C’est toujours le double discours libéral : on ne veut pas des immigrés, sauf pour effectuer les besognes dont les Hollandais ne veulent plus… Voyez ce qui se passe avec les Polonais. Les Néerlandais les détestent, mais on les voit partout sur les chantiers ou dans les usines… Partout là où il y a du travail pénible et mal rémunéré…
Onno, y a-t-il un message que l’ancien professeur que vous êtes aimerait laisser aux jeunes générations ?
Oui : aimez la culture, aimez les humanités. Lisez des livres, allez au théâtre, ouvrez-vous au monde. Il n’y a que comme ça qu’on arrivera à faire reculer le populisme.