L'explosion qui a causé la mort d'un salarié, et blessé quatre autres personnes, sur le site de de retraitement de déchets nucléaires de Marcoule est, pour EDF et Eric Besson, un "accident industriel". Sûrement pas un "accident nucléaire". Dans son rapport de 2010, l'Autorité de sûreté nucléaire pointait cependant des "lacunes dans la culture de sûreté au sein de l’installation Centraco".
Un "accident industriel", pas un "accident nucléaire", assurent de concert Eric Besson, le ministre de l'Energie, et EDF après l'explosion d'un four sur le site de retraitement de déchets nucléaires de Marcoule, un site exploité par l'une de ses filiales, la SOCODEI. "C'est la première fois qu'un tel drame de cette ampleur se produit sur le site", renchérit cette dernière. Le drame a fait un mort et quatre blessés, tous salariés de l'exploitant. Bilan provisoire.
Les causes de l'accident n'ont pas encore été identifiées mais les premières informations montre que l'employé de la SOCODEI est mort dans l'explosion et qu'il n'y a pas eu de fuites radioactives à l'extérieur de l'enceinte. Dont acte. Rien ne sert de crier au loup chaque fois qu'il est question de nucléaire…
Reste que, dans son rapport de 2010, le dernier disponible, l'Autorité de sûreté nucléaire (ASN) pointait des "lacunes dans la culture de sûreté au sein de l’installation Centraco".
Devant le constat de lacunes dans la culture de sûreté au sein de l’installation CENTRACO, le directeur général de l’ASN a demandé à l’exploitant de définir et de mettre en œuvre des actions visant à améliorer la sûreté de l’exploitation. Les actions de contrôle menées en 2010 par l’ASN montrent que les mesures correctives mises en place par l’exploitant commencent à produire des effets sur le terrain. Si les nouvelles dispositions mises en œuvre indiquent une réelle implication de l’exploitant pour remédier aux difficultés rencontrées, l’ASN veille toutefois à ce que la stratégie mise en œuvre permette d’inscrire ces progrès dans la durée".
Dysfonctionnements récurrents
Le centre de retraitement de déchets nucléaires Centraco a connu d'autres incidents par le passé, bien moins dramatiques. Ni plus ni moins que les autres sites ou centrales nucléaires français, à en croire la liste des incidents répertoriés par l'ASN.
L'usine Melox, exploitée par Areva NC (ex Cogema) et située elle aussi sur le site de Marcoule, semble connaître des dysfonctionnements plus importants. Elle est spécialisée dans la fabrication de MOX, un combustible mélange d'uranium et de plutonium. Dernier incident en date, le 5 juillet 2011, sans conséquences majeures pour les salariés ni pour l'environnement d'après l'ASN.
Plus grave, le 3 mars 2009, une masse de matière fissile avait été introduite dans cette même usine Melox, et cette matière avait provoqué un dépassement de la "limite de sûreté-criticité" – ce qui correspond au démarrage d'une réaction nucléaire non contrôlée. Comme le rappelle l'Express, il semble que la matière fissile n'avait pas été correctement pesée. Cet incident, d'abord présenté comme de niveau 1 par Areva [sur une échelle allant jusqu'à] 7, a par la suite été classé "niveau 2" par l'ASN. En cause: "le non-respect de plusieurs exigences de sûreté de l'installation".
Dans son rapport 2010, l'ASN se montre plutôt sévère avec l'usine Melox:
Concernant l’installation MÉLOX, plusieurs dysfonctionnements relatifs à la prévention du risque de criticité, ainsi que des incohérences entre les procédures applicables et pratiques réelles ont été constatés par l’ASN. De plus, une dizaine d’événements significatifs portant sur le risque de criticité et les aspects organisationnels a été déclarée depuis 2008. Dans ce contexte, l’ASN a convoqué le directeur de l’établissement le 20 janvier 2010 pour lui rappeler les exigences réglementaires, en vue de la préparation d’un plan d’actions. L’ASN a également organisé une inspection approfondie de trois jours au mois de juin 2010 sur ce thème au sein de l’installation. Elle a permis de constater une amélioration de la gestion du risque de criticité par une meilleure prise en compte des facteurs organisationnels et humains. L’ASN constate toutefois que les moyens aujourd’hui déployés sont encore en retrait par rapport à l’ambition affichée par la direction du site dans ce domaine".
Pas de rejets radiocatifs
Pour l'heure, les causes de l'explosion du four sur le site Centraco ne sont pas connues. Une "erreur humaine" comme le suggère une source gouvernementale, citée par Le Monde?
Il peut aussi s'agir d'une fuite d'eau qui a réagi avec le métal en fusion, ou bien d'un déchet contenu dans le métal qui aurait provoqué une réaction"
ajoute Thierry Charles, le directeur de la sûreté à l'Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire (IRSN).
Selon ASN, c'est un four destiné à la fusion des déchets métalliques – et non des déchets combustibles – qui aurait explosé, pour une raison indéterminée.
"Le four [qui contenait 4 tonnes de métaux radioactifs de faible et très faible activité] se trouve dans un local, lui-même contenu dans un bâtiment. Le local a été affecté, mais le bâtiment a gardé son intégrité. Il n'y a donc pas de rejets radioactifs à l'extérieur du bâtiment", poursuit Thierry Charles. "Aucune mesure de confinement ou d'évacuation" des salariés "n'a été nécessaire", car les blessés "n'ont pas été contaminés", confirme le ministère de l'intérieur.
Aucune contamination n'a été détectée par nos six balises dans la vallée du Rhône,
indique pour sa part la Commission de recherche et d'information indépendantes sur la radioactivité (Criirad) sur son site Internet.
1 000 incidents nucléaires en 2010
Si les avertissements du "gendarme du nucléaire" [ASN] sont la preuve de son indépendance et de son utilité, ils montrent aussi que des rappels à l'ordre récurrents sont nécessaires pour garantir la sécurité des installations nucléaires. Ne pas baisser la garde. C'est aussi le message adressé ce lundi par Yukiya Amano, le directeur général de l'Agence internationale de l'énergie atomique (AIEA).
"Nous ne devons pas perdre notre sens de l'urgence (…) Il faudra des améliorations visibles et rapides dans la sûreté nucléaire – et pas seulement des bonnes intentions – pour restaurer la confiance dans l'énergie nucléaire,
a-t-il insisté. Avant d'ajouter que "l'incident en France est un exemple" nous rappelant que nous "devons aller de l'avant" en matière d'amélioration de la sûreté.
L'an passé, plus de 1 000 incidents nucléaires ont été recensés en France, d'après le rapport de l'ASN. La plupart sans importance, mais c'est deux fois plus qu'il y a 10 ans. Trois incidents de niveau 2 [Tchernobyl était de niveau 7, le plus haut ; Fukushima de niveau 6] ont été détectés.
Plus inquiétant: le nombre d'incidents sur les réacteurs les plus anciens a lui aussi doublé… entre 2008 et 2009. Or, EDF pousse à la roue pour maintenir ces sites en fonctionnement, maintenant que les investissements ont été amortis. Encore plus inquiétant: l'ASN reconnu que le cumul des catastrophes naturelles, à l'origine de la tragédie de Fukushima, n'a jusqu'ici pas été pris en compte dans l'évaluation des risques.
Comment faire face à un cumul d'agressions de ce type ? C’est un sujet que, jusqu'à présent, on a pas pris en compte,
reconnaît André-Claude Lacoste, président de l’ASN.
EDF, qui devait rendre dans les tous prochains jours à l'ASN les résultats de son analyse sur la sécurité des centrales, a maintenant l'occasion, si ce n'est l'obligation, de faire preuve de transparence. Plus efficacement qu'à l'occasion de l'opération "Visitez nos centrales" organisée le week-end prochain, une forme de journées porte-ouvertes très encadrées qui frisent la supercherie.