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Poker menteur: et si Merkel mettait la Grèce au tapis ?

mercredi, 14 septembre, 2011 - 14:54

Le sort de l'euro est dans les mains de l'Allemagne. Angela Merkel joue un jeu serré. Elle pourrait sacrifier le pion grec pour mettre en échec ceux qui dans ses rangs sont toujours hostiles à une aide européenne accrue aux pays les plus endettés. Stratégie de la dernière chance ou coup de bluff ? 

A force de déclarations contradictoires, de réunions au sommet toujours décevantes, de plans d'urgence aussitôt détricotés, la parole politique européenne n'a désormais guère plus de valeur que des obligations d'Etat grec. Une ligne directrice semblait, hier encore, malgré tout se dégager: sauver Athènes, c'est sauver Lisbonne et Rome, donc la zone euro.

Retournement total de perspective: pour sauver l'Europe, il faudrait désormais se résoudre sacrifier la Grèce. Cette hypothèse prend chaque jour plus de consistance: la question ne serait plus de savoir si Athènes va faire faillite, mais plutôt quand et, surtout, comment. Et c'est l'Allemagne qui savonne la planche.

Berlin, maître du jeu, tient le sort de la zone euro entre ses mains. Berlin mais pas Angela Merkel. La Chancelière, contestée jusque dans son propre camp, semble à la remorque de l'aile conservatrice et libérale de sa majorité qui relaie les réticences d'une opinion publique toujours plus hostile à l'idée de sauver la mise des "moutons noirs" de l'UE. Marge de manœuvre proche de zéro. Navrant ces calculs politiciens? Sans aucun doute. Ce qui ne change rien à l'affaire.

Poker menteur

A l'évidence, la Chancelière doit avaler des couleuvres plus souvent qu'à son tour. Il n'empêche, faisons un pari : et si Angela Merkel avait, en fait, deux coups d'avance sur les autres dirigeants européens ? Si elle avait choisi de sauver la zone euro coûte que coûte… en sacrifiant le "fou" grec ? A moins qu'il ne s'agisse d'un bluff destiné à rallier les députés récalcitrants à "plus d'Europe" ? Pousser les créanciers privés – qui préfèrent toujours récupérer un peu de leur mise plutôt que rien – à participer au sauvetage de la Grèce avant qu'il ne soit trop tard? Aux échecs, un dicton assure que "la menace est plus forte que l'exécution"

La Chancelière a déjà poussé ses pions. Lundi, son propre ministre de l'Economie Philipp Rösler évoque sans détour l'hypothèse d'une faillite d'Athènes. Panique sur les marchés. Aussitôt suivi d'un recadrage sévère:

La priorité absolue est d'éviter un défaut de paiement incontrôlé parce que cela ne toucherait pas seulement la Grèce, et parce que le risque que cela nous affecte tous, ou du moins beaucoup d'autres pays, est très élevé.

Chaque mot compte. "Incontrôlé", la nuance est de taille. Le tabou est tombé, l'heure n'est plus aux mesurettes.

Le plan de l'Allemagne

Préparée ou pas, concertée ou non, la faillite de la Grèce présente le risque, tant redouté, d'une contagion aux pays les plus endettés. Échaudés par les pertes qu'un tel événement leur ferait supporter, les investisseurs pourraient alors fuir les obligations portugaises, irlandaises et même espagnoles et italiennes. Un cataclysme pour le système bancaire européen.

Pour parer à cette sombre éventualité, l'Allemagne mûrit son plan, révélé par Le Spiegel. Point de départ de la stratégie défendu par le ministre des Finances, Wolgan Schäuble:

  1. La Grèce, véritable puits sans fonds, ne peut être sauvée.
  2. Le Fonds européen de stabilité (FESF) peut être utilisé pour enrayer la contagion. Seraient proposées des lignes de crédit préventives censées porter secours à l'Espagne et l'Italie, au cas où les investisseurs ne voudraient plus payer après une faillite de la Grèce.

[Deux scénarios sont envisagés: dans un premier cas, la Grèce garde l'euro, dans le second elle réintroduit la drachme.]

Pour comprendre la logique allemande, reprenons chacun de ces deux points en détail.

Inéluctable défaut grec

La Grèce est pour Schäuble un cas unique et "désespéré", rapporte le Spiegel. De fait, Athènes n'a plus accès aux marchés financiers et ne survit que grâce aux aides de l'UE et du FMI. La Grèce doit impérativement obtenir fin septembre le versement de la prochaine tranche de 8 milliards de dollars de prêts promise par ses bailleurs de fonds.

Sinon elle fera défaut en octobre. Les autorités grecques ont bien annoncé de nouvelles mesures d'austérité pour tenir leurs engagements et espérer gagner un peu de temps. Juste un peu. Et après? Une commission indépendante a déjà reconnu que la dette du pays est "hors de contrôle".

La rigueur carabinée imposée à la société grecque a durablement brisé tout espoir de reprise: alors que les prévisions ne cessent d'être dégradées, tout nouveau remède de cheval ne peut qu'achever un peu plus la bête.

Acharnement thérapeutique

Pour ses partenaires européens et le FMI, la Grèce ne va pas assez loin assez vite dans les réformes. Mais comment espérer que les services des impôts fassent mieux leur travail quand les salaires ont été amputés de 30% ? A quoi bon mettre en place une nouvelle taxe foncière quand le cadastre est pour le moins lacunaire ? Privatiser quand de nombreuses professions et syndicats sont déjà dans la rue ? En clair, Athènes n'aura ni aujourd'hui ni dans un an les moyens de rembourser sa dette ; son économie est cassée.

Pour le ministre des Finances allemand, continuer à aider la Grèce revient, ni plus ni moins, à de l'acharnement thérapeutique. Un acharnement qui coûte cher aux contribuables.

Un outil formidable… s'il est voté un jour

Ce qui nous amène au FESF. Schäuble en a fait le ressort principal de son plan. A une condition: que ses compétences soient élargies, comme l'ont décidé les chefs d'Etats réunis en somment extraordinaire le 21 juillet dernier. Cet accord permet au FESF d'acheter des obligations des pays en difficulté directement auprès des investisseurs. Il autorise également ce fonds à accorder des lignes de crédit pour prévenir une crise et à octroyer des prêts pour recapitaliser les banques.

Un outil merveilleux, un temps comparé à une "amorce de fonds monétaire européen" par Nicolas Sarkozy. Forcément, il y a un hic. Cette réforme [tout comme le dernier plan d'aide décidé le 21 juillet] doit être ratifiée par les 17 Parlement nationaux de la zone euro. C'est déjà fait pour la France et la Belgique. D'autres pays rechignent. Dont l'Allemagne.

Lors d'une simulation de vote, le 6 septembre dernier, 25 députés conservateurs et libéraux s'y opposaient encore. Angela Merkel sait pouvoir compter sur… l'opposition pour faire passer la réforme, mais le camouflet est cinglant, son autorité mise à mal. Dans ces conditions, difficile de faire voter d'autres plan de sauvetage à l'avenir.

Ubu, roi de l'EU

Et puis, miracle. Depuis que l'idée d'une défaillance de la Grèce est ouvertement exprimée, certains récalcitrants ont changé de ton. "Cette approche pourrait marcher, note le Spiegel. Des députés qui avaient voté contre le FESF ont maintenant changé d'avis".

Résumons: la Grèce pourrait servir de gage aux députés eurosceptiques qui, en contrepartie et pour éviter un cataclysme, pourraient accepter de voter pour le FESF – un outil présenté comme la première pierre d'un fédéralisme économique. Ubuesque? Jeu de dupe? Schäuble cherche-t-il à faire peur pour forcer la main des plus conservateurs? A convaincre les marchés qu'il vaut mieux accepter de perdre un peu maintenant que tout demain?

Voilà en tous cas où en est l'Europe, faute d'avoir pris des décisions claires et fortes au début de la crise, faute d'institutions idoines : à la merci de quelques eurosceptiques et de députés inquiets pour leur réélection.




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