Ce week-end des places de parking de la capitale belge sont, comme à Paris, Annecy ou New-York, devenues salon de thé ou poulaillers. Une réappropriation de l'espace dédié à la voiture par des citadins qui rêvent d'une ville plus conviviale et d'air pur.
Au numéro 165 de la rue Washington, à Bruxelles, le tapis de pelouse a été déroulé sur le macadam de bonne heure dès vendredi. Julie Anne, Pieter et Sjef sirotent un café. Ils auraient voulu occuper la place de stationnement en face de leur atelier créatif, le Turtlewings, "mais la voiture qui est devant n'a pas bougé depuis quatre jours". Ils se sont donc installés juste à côté devant un garage.
Ils seront ici aujourd'hui et demain, heureux d'offrir un café à quiconque passe. C'est la première année qu'ils participent au Park(ing) Day, une initiative dont ils partagent pleinement l'esprit de convivialité et d'échange avec les habitants du quartier.
Les Bruxellois semblent apprécier l'initiative. L'année dernière, pour la première édition du Park(ing) Day, treize parkings avaient été squattés, dont la presque la moitié à Bruxelles. "En fait il n'y a pas d'inscription obligatoire", explique Coralie Flament, coordinatrice du Park(ing) Day.
Il s'agit d'une action citoyenne et certains ne s'indiquent pas sur les cartes de localisation. Ces chiffres sont donc très approximatifs".
Ce qui est plus certain, c'est que les Bruxellois sont particulièrement sensibles au thème de la mobilité urbaine. Selon une étude récente, chaque matin environ 340.000 navetteurs viennent travailler dans la capitale belge, ce qui équivaut à un tiers de la population totale. Ils ne prennent pas tous la voiture, bien entendu. Mais les embouteillages matinaux engendrés par les navetteurs à quatre roues asphyxient les familles bruxelloises (40% !) qui n'ont pas de voiture : leur ville demeure sous l'emprise de l'automobile.
Roule, ma poule!
Jeroen Verhoeven est du genre cycliste qui ne se laisse pas intimider par les voitures : "Je suis plutôt résolu quand je roule, mais c'est vrai que certains cyclistes ne se sentent pas très sûrs ici à Bruxelles". En 2009, sans connaître le Park(ing) Day, il a lancé avec des amis une initiative semblable.
On avait déjà participé à la Semaine de la Mobilité en 2007 avec une voiture-potager. Puis on a décidé de lancer une autre idée : le "Projet 8m²", ce qui correspond plus ou moins à la surface de sol public occupée par une voiture. La différence par rapport au Park(jng) Day, c'est que notre action ne dure pas qu'un jour : c'est une revendication qui se veut durable".
Grâce au soutien de l'association environnementale BRAL, un appel à projets a été lancé en mai 2011. A partir d'aujourd'hui, on pourra ainsi admirer sur des places de stationnement deux poulaillers (avec le slogan "Roule, ma poule"), un salon de thé, un espace pour sécher son linge, une camionnette d'où poussent des arbres…
Ce qui est dingue, c'est que si on veut placer un range-vélos le long d'un trottoir, il faut demander l'autorisation et prouver que cela sert la collectivité, alors que pour garer une voiture, qui n'a aucun intérêt collectif et reste la plupart du temps inutilisée, il ne faut rien demander."
dénonce Jeroen.
En septembre 2010, le gouvernement de la Région de Bruxelles-Capitale a approuvé un nouveau plan de mobilité. D'ici 2018, le trafic automobile devrait diminuer de 20% et le nombre de places de stationnement de 16%. Des objectifs ambitieux, voire "utopiques", selon Jérôme Matagne d'Inter-Environnement Bruxelles (IEB, une association regroupant environ 80 comités de quartiers).
Sans des mesures concrètes, ces objectifs ne seront jamais atteints. Et pour l'instant les autorités ne font rien".
Handicap majeur, "Bruxelles est au cœur d'une architecture institutionnelle très compliquée. Tout le monde a son mot à dire : au niveau fédéral, régional et communal". Un système peu efficace, surtout quand il faut gérer un thème délicat comme la mobilité.
Pour résoudre le problème des engorgements aux portes de Bruxelles, IEB a proposé non seulement de renforcer les transports publics, mais aussi d'imposer un péage aux portes de la capitale. "Une idée qui a fait ses preuves ailleurs, notamment à Londres", rappelle Matagne. L'obstacle, c'est encore une fois la multiplicité des acteurs concernés :
Le péage avantagerait Bruxelles, mais n'apporterait rien à la Flandre et à la Wallonie : ces deux régions n'ont donc aucun intérêt à introduire le système et à faire payer leurs habitants".
En août, deux ans après le lancement de Villo! (vélos en libre-service), le quotidien La Capitale titrait : "Villo! a tué plus de 400 places de parking à Bruxelles"."400 places de parking […] ont été sacrifiées sur l’autel de la petite reine" renchérissait la Rtbf, et d'ajouter : "La palme revient évidemment au centre-ville, qui déplore la perte de 172 places réservées autrefois aux voitures".
Un massacre digne d'une armée d’Huns… Le choix des mots révèle à quel point l'auto, en Belgique comme ailleurs, a pollué non seulement l'air, mais aussi les médias et les esprits.