Samedi, les indignés espagnols, partis de Madrid et Barcelone, faisaient étape à Paris avant de poursuivre leur route vers Bruxelles. Un groupe d’une petite centaine de personnes qui, depuis le 8 août, marche contre un ordre économique et social jugé injuste. Une marche hétéroclite, sans haine ni violence, mais pas sans heurts.
Ils étaient des milliers. Des milliers de personnes à déferler sur la Puerta del Sol de Madrid, pour crier sourdement leur indignation. De ces milliers, délogés par des autorités espagnoles sifflant la fin de la récréation, il n’en est resté que quelques dizaines.
Quelques dizaines décidées à prendre la route, faute de pouvoir prendre racine, et de rallier sur leur chemin toutes les bonnes âmes et bonnes volontés. Samedi, les Indignés s’étaient donnés rendez-vous à la Cité universitaire de Paris, une étape importante dans leur périple devant les mener à Bruxelles le 8 octobre prochain.
La petite centaine de marcheurs s’est installée dans la cour du bâtiment. Une foule bigarrée et joyeuse, banderoles sous le bras, cœurs peints sur le visage et les mains, aux cheveux peroxydés et aux looks extravagants. Se sont joints quelques hippies nostalgiques, un rien perdus au milieu du mouvement.
Communauté du consensus
Malgré la bonne humeur apparente, le sérieux et la gravité règnent. Un cercle d’une vingtaine de personnes s’est formé sur l’herbe. Au centre est nonchalemment posée une pancarte portant l’inscription: "le capitalisme tue". Un silence religieux règne, les têtes sont baissées. Un curieux sentiment de deuil s’installe.
Puis un jeune homme au chapeau à plumes se lève et crie: "vamos, vamos, vamos !", initiative aussitôt réprouvée par ses congénères. Une décision est à l’étude, et dans cette communauté du consensus, cela prend du temps. Quelques minutes plus tard, après que chacun ait posément exposé ses vues, la troupe se sépare. Le débat portait sur les modalités d’organisation de la journée.
Marcher pour exister ou fuir
Pour ce qui est de la nature du message à porter, la parole se fait bien plus disparate selon les sensibilités de chacun :
Pour la démocratie réelle !" "Contre la corruption des politiques." "Pour un ami mort de froid dans la rue à 18 ans." "Contre le chômage." "Pour un logement pour tous."
Une véritable coalition hétéroclite de pour et de contre qui se retrouve sous la bannière de la "démocratie réelle", sans toujours savoir quoi y mettre.
Il est difficile de déterminer quel est l’objectif final,"
reconnaît Nicolas, 22 ans, membre de la première heure des Indignés de Paris.
Difficile également de déterminer quelles sont les motivations personnelles des différents participants. Tous partagent un même rejet de l’iniquité de l’ordre économique et social. Et n’attendaient que l’émergence d’un mouvement comme celui-ci pour se réveiller.
Je suis au chômage, je n’ai rien, nous n’avons rien. C’est pour cela que nous devons prendre. Que nous devons bouger."
estime Ivan, 60 ans, un des doyens du groupe.
Tous, surtout, veulent être entendus, respectés, considérés, entourés. Exister ou fuir, c’est selon.
Cristian a 19 ans. La dureté de son visage le vieillit d’une dizaine d’années. A Madrid, il vivait dans la rue. Seul. Avec les Indignés, il trouve un exutoire.
Je marche pour tous ceux qui, comme moi, n’ont pas de maison, pas de compte en banque, pas de famille."
30 à 35 km par jour
Marcher pour les autres, en espérant éveiller les consciences.
Notre objectif est de faire en sorte que les gens se rendent compte de leur force,"
précise Blue de sa voix rocailleuse, une Française de 33 ans installée à Barcelone depuis 8 ans.
Et la force, c’est le nombre.
De l’abondante source de la Puerta del Sol ne subsiste plus qu’un mince ruisseau qui, depuis le 8 août, trace péniblement sa route en France. Un ruisseau qui espère grossir au gré des étapes pour finalement former un flot à son arrivée à Bruxelles, là où doivent se retrouver tous les indignés d’Europe. Un autre groupe d’une centaine de personnes a lui décidé de manifester son mécontentement Wall Street, à New York.
Deux marches distinctes sont parties d’Espagne, l’une de Madrid, l’autre de Barcelone. Chacune compte une quarantaine de personnes et a son trajet bien élaboré. La "marche méditerranéenne", partie de Barcelone, a ainsi fait des arrêts à Montpellier, Toulouse, Saint-Etienne, Lyon, Chalon-sur-Saône ou encore Dijon.
Qu’est-ce que vous croyez, il faut être organisé,"
rigole Blue, qui, de par son trilinguisme français – espagnol – anglais, s’impose comme une figure du mouvement.
Nous avons tous les jours un programme d’étape bien défini, avec 30 à 35 km à parcourir à pieds. Chaque soir nous arrivons dans une ville différente, où les autorités locales sont prévenues en amont de notre présence. Et pour rendre visible notre mouvement, nous faisons en sorte de camper le plus souvent possible sur la place de la mairie."
Parfois, les élus viennent échanger avec eux. Souvent, des habitants les attendent avec un repas chaud. Quelques fois, fouiller les poubelles des supermarchés est le seul moyen de trouver de quoi manger. Les organismes sont usés, mais le cœur y est.
Ce sont les plus vieux qui sont les plus motivés et les plus forts. Ils ne veulent jamais prendre la voiture, c’est magnifique."
s’émerveille Hilmar, une joviale madrilène de 40 ans.
"Indigne-toi"
En France, le mouvement peine à prendre. Chaque regroupement des Indignés voit les forces de police se déployer en nombre, comme ce fut le cas samedi soir, place de la Bastille, où l'intervention contre le mouvement pacifique fut relativement musclée.
Mais surtout, sortir des mâchoires de la machine à broyer (pas celle-là, l’autre) n’a rien d’évident.
Je les aurais bien suivis à Bruxelles, mais je ne peux pas. Je dois aller travailler lundi et j’ai une famille."
confesse un homme venu assister à la manifestation.
Ils ne sont que quelques dizaines à marcher. Mais ce sont des milliers de personnes qui se retrouvent dans leur indignation et peuvent clamer, comme cette banderole écrite dans un français de cuisine :
Je t’aime, et le plus jolie (sic) est que je ne te connais pas. Indigne-toi."