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Dans l’urgence de la crise, l’Europe attend l’Allemagne

mardi, 20 septembre, 2011 - 13:12

"Je te tiens, tu me tiens par la barbichette". Les dirigeants de la zone euro ne peuvent rien faire dans l'immédiat si ce n'est mettre toujours plus la pression sur la Grèce. Objectif : gagner du temps avant un vote décisif, en Allemagne, le 29 septembre. En attendant l'Italie de Berlusconi est, à son tour, dégradée.

Sauver définitivement la Grèce ou se faire une raison et préparer dès maintenant un plan pour organiser la faillite d'Athènes? Cette question, au combien urgente, n'a en fait guère de sens tant la zone euro, tributaire du calendrier et des aléas de la politique intérieure allemande, n'a pas les instruments pour faire face à l'une ou l'autre de ces situations. Pas les moyens de sortir la Grèce durablement de l'ornière – les aides débloquées au coup par coup ne font que repousser les échéances. Pas les moyens non plus d'éviter une contagion aux autres pays endettés dès lors qu'Athènes ferait défaut. Pas encore.

Alors, tenir, coûte que coûte, tenir bon, encore un peu. En attendant mieux. En sachant pertinemment que la situation, pendant ce temps, empire. Sans surprise, c'est désormais l'Italie qui est dans le viseur des marchés et des agences de notation. Lundi 19 septembre, la note de Rome a été dégradée d'un cran par Standard & Poor's.

En attendant l'Allemagne…

Autre signe de l'impuissance des dirigeants de la zone euro:

La balle est dans le camp grec, la clef réside dans la mise en œuvre des réformes",

a expliqué lundi Bob Traa, le représentant du FMI pour la Grèce. Athènes, livrée à son sort, doit de nouveau faire des efforts, couper encore et encore dans les dépenses publiques. Une stratégie qui a fait la preuve de son inefficacité. Qu'importe ! Le premier ministre Georges Papandreou envisagerait de tenir un referendum pour, en cas de succès, poursuivre sa politique d'austérité avec les coudées franches. Une rumeur vivement contestée par les autorités héllènes.

Encore une fois, tenir. En attendant quoi? D'abord que la situation se décante en Allemagne où un vote décisif sur l'aide à Athènes aura lieu au Parlement le 29 septembre prochain. D'ici là, c'est "je te tiens, tu me tiens par la barbichette". Mais personne ne rit.

Retour vers le futur.

L'impression gagne que, pour les dirigeants européens, le temps s'est arrêté le 21 juillet dernier, date de la dernière réunion au sommet qui a débouché sur un 2ème plan d'aide à la Grèce. D'abord salué par les marchés, cet accord n'a finalement pas convaincu. Surtout, il n'est toujours pas mis en œuvre et la zone euro se retrouve dans une situation ubuesque: au lieu d'aller de l'avant, les dirigeants se déchirent… au sujet des plans passés.

Il est plus que jamais primordial de mettre en œuvre les décisions (prises) par les chefs d’Etat et de gouvernement (européens) le 21 juillet(…) afin d’assurer la stabilité de la zone euro",

a affirmé le porte-parole de la chancelière allemande après la téléconférence organisée entre Paris, Berlin et Athènes mercredi dernier.

La Grèce bataille ferme pour obtenir un sixième versement de 8 milliards d'euros dans le cadre du premier plan d'aide de 2010. En dépit des menaces de la Troïka – qui représente les créanciers du pays (BCE, Commission européenne et FMI) – Athènes devrait obtenir cette nouvelle enveloppe, sans quoi elle sera insolvable à la mi-octobre. Une situation que veulent à tout prix éviter les dirigeants européens qui se savent, aujourd'hui, incapables d'enrayer la contagion qui pourrait gagner le Portugal ou l'Italie.

Mais, en contrepartie, la Grèce a du consentir de nouvelles mesures de rigueur. Les Echos rapportaient lundi les "quinze commandements" de la troïka. Au menu, du très lourd: réduction d'au moins 100 000 fonctionnaires en 5 ans, gel de toutes les retraites jusqu'en 2015 ou encore fermeture (ou fusion) de 35 agences publiques.

Acharnement thérapeutique

De l'aveu même du FMI, la récession s'accroît en Grèce pour atteindre -5,5 % en 2011 et – 2,5 % en 2012. Un retour à la croissance n'est pas prévu avant 2013. On voit mal comment ce nouveau régime de cheval pourrait inverser la tendance.

Comment espérer que les services des impôts fassent mieux leur travail quand les salaires ont été amputés de 30% ? A quoi bon mettre en place une nouvelle taxe foncière quand le cadastre est pour le moins lacunaire ? Privatiser quand de nombreuses professions et syndicats sont déjà dans la rue ? Même si le 2ème plan d'aide voit le jour, la Grèce ne pourra rembourser ses créanciers que jusqu'en 2013. Son économie brisée, les recettes ne sont pas prêtes de revenir dans les caisses.

Des grains de sable à la pelle

En plus d'une nouvelle aide sonnante et trébuchante (160 milliard d'euros), le deuxième plan d'aide prévoit l'extension des compétences du Fonds de stabilité financière. Ce "super-FESF" pourra acheter des obligations de pays en difficulté directement auprès des investisseurs, accorder des lignes de crédit pour prévenir une crise et octroyer des prêts pour recapitaliser les banques.

Un outil merveilleux, un temps comparé à une "amorce de fonds monétaire européen" par Nicolas Sarkozy. Forcément, il y a un hic. Cette réforme doit être ratifiée par les 17 Parlement nationaux de la zone euro. C'est déjà fait pour la France, la Belgique et le Luxembourg. Décidé le 21 juillet 2011, le nouveau plan n'est toujours pas opérationnel.

Ça coince de partout. La Finlande et les Pays-Bas continuent de réclamer des garanties en échange de leur aide future. Des prises de participation dans des entreprises publiques grecques sont toujours à  l'étude. La Slovaquie, elle, faute de majorité, rechigne et repousse l'adoption des mesures. Et puis, il y a l'Allemagne, où se joue très largement l'avenir de la zone euro.

Les vraies dates de politique intérieure française, c’est le calendrier parlementaire allemand",

estime un proche de Nicolas Sarkozy, cité par le Monde.

Un défaut de paiement oui, mais préparé

Le 29 septembre, date butoir. Lors d'une simulation de vote, le 6 septembre dernier, 25 députés conservateurs et libéraux s'opposaient encore à l'extension des compétences du FESF. Angela Merkel sait pouvoir compter sur… l'opposition pour faire passer la réforme, mais le camouflet est cinglant, son autorité mise à mal. Dans ces conditions, difficile de faire voter d'autres plans de sauvetage à l'avenir.

Dans une interview aux Echos, Michael Meister, numéro deux du groupe parlementaire CDU [le parti d'Angela Merkel], se montre confiant sur l'issue du scrutin. Il est par contre hostile au scénario d'une faillite possible de la Grèce:

A l'heure actuelle, nous n'avons pas de procédure pour une faillite ordonnée. Si nous devions en arriver à l'insolvabilité, nous perdrions le contrôle sur le cours des événements. Les conséquences en seraient incalculables."

L'élément à retenir est essentiel "à l'heure actuelle". La Chancelière a de toute façon déjà ouvert la voie quand elle a expliqué que:

La priorité absolue est d'éviter un défaut de paiement incontrôlé parce que cela ne toucherait pas seulement la Grèce, et parce que le risque que cela nous affecte tous, ou du moins beaucoup d'autres pays, est très élevé.

Chaque mot compte. "Incontrôlé", la nuance est de taille. Le tabou est tombé.

Enrayer la contagion

Bon, une fois le FESF nouvelle version adoptée par les Allemands, on fait quoi ? Le ministre des Finances Wolfgang Schäuble a cogité et concocté un plan révélé il y a une dizaine de jours par le Spiegel. Il étudie plusieurs options – dont la sortie de la Grèce de la zone euro – mais dans tous les cas, donne au Fonds de stabilité un rôle central et déterminant pour enrayer tout risque de contagion.

Comment ? Seraient proposées des lignes de crédit préventives censées porter secours à l'Espagne et l'Italie, au cas où les investisseurs ne voudraient plus payer après une faillite de la Grèce. Avec ce pare-feu, la faillite ordonnée d'Athènes deviendrait une hypothèse crédible. Le pari est audacieux et sûrement pas sans risque.

Le FESF n'est toutefois qu'une première étape, sûrement pas la panacée. Ses ressources sont largement insuffisantes pour prévenir ou faire face à un choc systémique. Doté à l'origine de 440 milliards d'euros, il ne lui reste en caisse que 300 milliards environ, si l'on tient compte des sommes qu'il s'est déjà engagé à prêter à l'Irlande, au Portugal et à la Grèce.

Au bout du chemin

Une solution consiste à relever, comme le suggère le secrétaire au Trésor américain Timothy Geithner, son plafond. Cette idée n'est pas encore sur la table des négociations, prématurée avant le 29 septembre.

A court terme, seule la BCE a encore quelques cartes en main. Elle a déjà acquis près de150 milliards d'euros de dette souveraine (grecque, italienne et espagnole pour l'essentiel). Dans une tribune du New York Times le 11 septembre, le Prix Nobel d'économie Paul Krugman suggère qu'elle achète ces titres encore plus massivement. Elle pourrait également baisser son taux d'intérêt – qui a été relevé à 1,5 % en juillet quand il est proche de zéro aux Etats-Unis, au Japon, en Angleterre, en Suisse. Autant de mesures susceptibles de relancer l'inflation. Mais, ce n'est pas vraiment la menace la plus sérieuse qui pèse sur la zone euro.

Réviser le traité de Lisbonne

A plus long terme, la monnaie unique ne pourra être préservée que par une mutualisation des dettes européenne. Un tel "saut fédéral" est désormais envisageable. "Les structures institutionnelles actuelles ne sont pas suffisantes pour répondre à la crise actuelle, nous avons besoin d'un nouvel élan fédérateur qui doit commencer dès aujourd'hui", expliquait mercredi dernier le commissaire européen Olli Rehn. Le président de la Commission, José Manuel Barroso, a même confirmé au Parlement qu'il présenterait "bientôt" une étude sur les options possibles en vue créer un tel mécanisme de mutualisation.

Angela Merkel n'y est plus hostile. Mais, il lui faudra encore convaincre nombre de ses alliés que l'Allemagne a tout à gagner à imposer une stricte discipline budgétaire à ses partenaires européens – condition sine qua non à la constitution d'un pot commun des dettes. Avancer sur cette voie suppose aussi de réformer le traité de Lisbonne. Autant dire que ce n'est pas demain que la zone euro aura toutes les cartes en main, même si elle s'en donne les moyens.




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