L’ONG Human Rights Watch vient de remettre un rapport accablant. Elle y décrit les conditions de détention "inhumaines" des migrants illégaux en Grèce, et met en cause l’UE et son agence de surveillance des frontières, Frontex. Cette dernière pointe de son côté les responsabilités non assumées de la Grèce. À qui la faute ?
"Eaux d’égout répandues sur le sol", "odeur (…) difficile à supporter", surpeuplement, enfants séparés des parents… Le rapport de Human Rights Watch sur les conditions de détention des migrants dans de nombreux centres en Grèce fait froid dans le dos. Il se base à la fois sur les déclarations de 65 migrants détenus, mais aussi sur des confidences de la police grecque, des autorités européennes et sur la visite d’un centre en décembre 2010.
Porte d’entrée sur l’Europe pour les migrants (mais aussi porte de sortie), la Grèce interpelle en effet de nombreux demandeurs d’asile le long de sa frontière terrestre avec la Turquie.
Selon l'Agence européenne de surveillance des frontières extérieures (Frontex), plus des 3/4 des 40 977 personnes interceptées au cours du premier semestre 2010 sont entrées dans l'UE via la Grèce. Exemple frappant, la seule ville d'Orestias verrait passer 350 nouveaux clandestins par jour.
Ce rapport inquiète par conséquent du côté de Bruxelles. Son titre est sans ambiguité: "L'UE a les mains sales: implication de Frontex dans le mauvais traitements des migrants détenus en Grèce". Car c’est bien la "police des frontières" européenne qui est visée par Human Rights Watch pour avoir apporté son concours matériel aux autorités grecques. Et par conséquent, pour avoir cautionné sur les maltraitances subies par les migrants. A moins que Frontex ne ferme tout simplement les yeux.
"Complicité dans des traitements inhumains"
L’agence Frontex est devenue complice de l’exposition de migrants à des traitements qu’elle sait être absolument interdits selon le droit relatif aux droits humains,"
a ainsi déclaré Bill Frelick, directeur du programme Réfugiés à Human Rights Watch.
Cette dernière, à la demande de la Grèce, apporte en effet son concours aux autorités locales depuis novembre 2010 pour faire face aux flux migratoires. Elle a notamment envoyé sur place une équipe d’intervention rapide aux frontières, joliement nommée RABIT (Rapid Border Intervention Team), et composée de 500 agents. Charge à eux d’interpeller et de remettre les migrants à la police grecque.
Pour mettre fin à cette complicité dans des traitements inhumains, l'UE doit renforcer les règles régissant les opérations de Frontex et s'assurer que cette agence soit tenue de rendre des comptes si elle enfreint les règles en Grèce ou partout ailleurs."
poursuit Bill Frelick.
L’UE accuse la Grèce
Des accusations que réfute l’UE qui rejette courageusement la faute sur la Grèce.
Les officiers de Frontex en Grèce ont été placés sous l'autorité des autorités et Frontex ne peut être tenu pour responsable des défaillances d'un Etat dans le respect des droits de l'homme."
se défend Cecilia Malmstrom, la commissaire chargée des Affaires intérieures, par la voix de son porte-parole.
Un argument qu’entend Bill Frelick:
Bien que le but principal de ce rapport soit d’étudier la responsabilité de Frontex de ne pas être complice de violations de droits humains, cela n’absout pas les autorités grecques."
Certains éléments auraient pourtant du inciter l’UE à porter plus d’attention à la question. La Grèce a déjà été condamnée en juin 2009 pour ses conditions de détention dégradantes par la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH). La Belgique a également fait l’objet d’une condamnation, le 21 janvier dernier, car elle expulsait les migrants en Grèce, pays pourtant reconnu pour la vétusté de ses centres de détention.
Mais le message semble néanmoins passer.
Les conditions dans certains centres sont inacceptables."
reconnaît Michele Cercone, le porte-parole de la commissaire.
46 000 demandes d'asile en souffrance
Déjà en septembre 2010, le Haut-commissariat aux Réfugiés (HCR) avait exhorté l'Union européenne à "venir en aide" à la Grèce, la jugeant confrontée à une "crise humanitaire".
De nombreuses organisations soulignent régulièrement les "défaillances structurelles importantes" de la procédure d'asile en Grèce, pourtant un droit fondamental dans l'Union européenne. Les demandeurs sont systématiquement placés en détention, éventuellement brutalisés par la police, relève la CEDH. Avec, au final, un espoir infime de voir leur demande d'asile aboutir.
Amnesty international a publié en mars 2010 un rapport accablant sur la question. D'après les chiffres Eurostat, 16 440 décisions d'asile ont été prises en 2009 pour… 210 réponses favorables – soit un taux de 1,3%. Avec ses 14% (au 2ème trimestre 2010), la France passerait presque pour un eldorado. C'est pourtant encore loin des 36% (en moyenne) qu'affichent les cinq autres pays européens qui reçoivent le plus de demandes affichent une moyenne.
Mais, la Grèce est accablée et accablante. Idil Atak, de l'université canadienne McGill, a constaté que "les demandes ne sont enregistrées que les samedis à raison de 50 à 60 dossiers par semaine". A ce rythme, il faudrait, au mieux 15 ans rien que pour examiner les 46 000 demandes d'asile en souffrance!
Vers un Frontex plus humain ?
La question des droits de l’homme est au cœur de la réforme de Frontex que les ministres de l’Intérieur européens examinent aujourd’hui et demain. Proposée par la Commission européenne et amendée par le Parlement, c’est la plus grande réforme que connaît l’agence depuis sa création en 2004. Elle prévoit notamment d’établir des codes de conduite lors des opérations d’expulsion, afin de garantir qu’aucun migrant ne soit renvoyé dans un pays où il aurait à craindre pour sa vie ou ses libertés.
Cette réforme prévoit par ailleurs de doter Frontex de moyens matériels propres (véhicules, hélicoptères, etc.), ne faisant ainsi plus reposer son action sur les prêts des Etats membres.
L’UE semble ainsi décidée à renforcer sa politique de lutte contre l’immigration illégale tout en la rendant plus humaine.
Parallèlement au renforcement de ses frontières, elle entend encourager plus encore la libre circulation des personnes au sein de l’espace Schengen. La Commission européenne a ainsi déposé, contre l’avis de la France ou de l’Allemagne, un projet de réforme visant à y assurer une mobilité totale et sans entraves des personnes. Une réforme dont la perspective émergea suite aux tensions de l’été entre la France et l’Italie concernant les migrants tunisiens [Voir la chronologie intéractive ci-dessous].