Au nom d'une "nécessaire convergence franco-allemande", François Fillon plaide pour un "âge de la retraite commun" entre la France et l'Allemagne. Le Premier ministre laisse ainsi entendre qu'il passerait de 62 ans à 67 ans. Mais il n'a pas précisé si c'est dans vingt ans, comme outre-Rhin.
Panique ce matin dans l'entourage du Premier ministre quand François Fillon se livre à un plaidoyer pour restaurer la compétitivité française et estime qu'il sera pour cela nécessaire de s'aligner sur les durées de travail et de l'âge de la retraite en vigueur en Allemagne.
Il faudra aller vers un temps de travail commun, il faudra aller vers un âge de retraite commun, il faudra aller vers une convergence progressive de l’organisation économique et sociale de nos deux pays, car c’est la clef de la survie et du développement de la zone euro et du continent européen.
La bombe à défragmentation sociale est lancée. Les textos fusent: "Fillon veut faire passer l'âge de la retraite à 67 ans". A Matignon on explique avec embarras que "la récente réforme des retraites est un élément de la convergence sociale et le gouvernement n’envisage pas d’aller au-delà dans les prochains mois". Il est vrai que le Chef du gouvernement a tenu ces propos lors de la remise du "Prix de l'audace créatrice" (nous découvrons ainsi comme nombre de nos confrères que l'audace était officiellement couronnée). Ceci explique sans doute cela: François Fillon a voulu postuler pour le prochain prix.
Cette comparaison avec l'Allemagne de la part du gouvernement et des députés de la majorité n'est pas nouvelle. C'est même la première justification invoquée lors de la réforme de 2010 pour justifier le passage de l'âge légal de départ de 60 à 62 ans.
Exemple parmi d'autres, le ministre du Travail, Xavier Bertrand, avait fait début juillet sur Europe1 un parallèle entre la situation française avec celle de nos voisins les plus proches:
A terme, il y aura 62 ans [pour l'âge légal de départ. NDLR] et 41,5 ans de cotisation, les deux en même temps, au moment où en Allemagne, c'est 67 ans et 45 ans, en Espagne, c'est 65 ans. On préfère conduire les réformes nous-mêmes plutôt qu'un jour être comme la Grèce et se faire imposer les réformes par l'extérieur
En fait, la réalité est plus complexe et avant s'aligner sur l'Allemagne, mieux vaut savoir à quelle sauce les retraités français sont mangés.
Allemagne: 67 ans dans 20 ans
La dernière réforme des retraites outre-Rhin date de 2007. Elle fait passer l’âge d’obtention d’une pension complète de 65 ans en 2012 à 67 à l'horizon 2030. Cet allongement doit faire l’objet d’une évaluation régulière. En théorie, la première phase du relèvement de l’âge de départ en retraite devrait débuter en 2012, de façon très progressive, puisque le report d’âge se fera, dans une première phase, à raison d’un mois par an jusqu’en 2024. Autrement dit, l’âge légal de départ à la retraite sera en 2012 de 65 ans et un mois, en 2013, de 65 ans et deux mois, etc…
On parviendra ainsi en 2024 à un âge légal de la retraite de 66 ans. Par la suite, le rythme s’accélérera, passant à deux mois supplémentaires par an. Ce sont donc les Allemands nés en 1964 qui devront attendre l’accomplissement de leurs 67 ans pour partir à la retraite. Autrement dit, les 67 ans, c’est bien à l'horizon 2030, soit pas loin d'un quart de siècle après le vote de la réforme.
Mais même ce schéma reste théorique. Car la loi a mis une condition à cette lente évolution: l’amélioration de l’emploi des salariés âgés de plus de 55 ans. Une commission indépendante réalise régulièrement des rapports d’étape sur cette situation et le gouvernement pourra repousser l’allongement de l’âge de départ à la retraite s’il considère que les plus âgés ne peuvent pas trouver facilement un emploi.
Par ailleurs, il n'est pas inutile de rappeler quels sont les régimes de retraite au Royaume-Unis et au Pays-Bas, pays également souvent cités en exemple par la majorité parlementaire.
Royaume-Uni : 30 ans de cotisations
Depuis 2007, il faut seulement trente ans de cotisation pour bénéficier de la (minuscule) retraite d'État de base (116 euros par semaine). Mais, avec la réforme engagée, à savoir un départ à 68 ans à l'horizon 2046, une pension à taux plein nécessitera, de fait, quarante-quatre ans de cotisation pour les hommes et trente-neuf pour les femmes.
Actuellement, les retraites anticipées sont monnaie courante : depuis 2006, un salarié peut liquider sa retraite complémentaire (seconde pension d'Etat ou fonds de pension privé) dès 50 ans, c'est-à-dire avant même de pouvoir percevoir sa retraite de base.
Pays-Bas : 50 ans… de résidence
Tout résident des Pays-Bas a droit aux allocations retraites à condition de justifier de 50 ans… de résidence dans le pays. Bien que l’âge légal soit de 65 ans, les personnes ayant exercé, et contribué à un fonds de pension pendant 40 ans, peuvent (sous conditions) partir à la retraite à 63 ans avec une pension totale limitée à 70 % du dernier salaire.
En dépit de dispositifs destinés à décourager fiscalement la cessation précoce d’activité, de nombreux régimes de préretraite – ils couvraient 83% des salariés en 2001 – existent toujours.
France: 41,5 ans de cotisation
Mais revenons en France. Actuellement, il faut 165 trimestres de cotisation pour toucher sa retraite pleine pour les gens nés après 1953. A partir de 2012, il en faudra 166 (41,5 ans). Alors que le passage de l'âge légal de départ à la retraite à 62 ans vient d'entrer en vigueur, ce nouvel allongement de la durée de cotisation ne peut que renforcer le sentiment de bon nombre de salariés que leurs futures retraites sont virtuelles.