Placé en détention provisoire depuis quatre mois, Samir Feriani a été remis en liberté. Le policier, poursuivi après avoir publiquement accusé des responsables du ministère de l'Intérieur, est devenu une figure emblématique de la liberté d'expression. L'affaire indigne une partie des Tunisiens, qui y lisent la persistance de l'ancien régime de Ben Ali. Reportage.
Nous, les Tunisiens, on n'aime pas trop les policiers. Mais celui-là, il a dit la vérité.
"Celui-là", c'est Samir Feriani. Comme une cinquantaine de personnes, Habib est venu tôt, jeudi 22 septembre au matin, devant le tribunal militaire de Tunis, pour manifester son soutien à cet officier de 44 ans.
En détention provisoire depuis quatre mois pour avoir publiquement dénoncé certaines pratiques du ministère de l'Intérieur, Samir Feriani est devenu le symbole de la liberté d'expression et de la poursuite de sa répression dans la Tunisie post-Ben Ali. Pétitions en ligne, pages Facebook [ici ou là], marches et manifestations de soutiens se sont succédé depuis son arrestation, le 29 mai.
Ce jour-là, le policier est arrêté en pleine rue, au volant de sa voiture. Sa famille n'en sera informée que le lendemain matin. Quelques jours plus tôt, deux journaux tunisiens avaient commencé à relayer les accusations de ce directeur d'une école de police depuis cinq ans, d'abord formulées dans une lettre au ministre de l'Intérieur Habib Essid, une lettre restée sans réponse.
Un policier contre le ministère de l'Intérieur
Samir Feriani y dénonçait la destruction, le 20 janvier, d'archives de l'Organisation de libération de la Palestine (OLP), installée à Tunis de 1982 à 1994. D'après lui, elles décrivaient les relations du régime de Ben Ali avec le Mossad, les services secrets israéliens.
Il y critiquait aussi le maintien, au sein du ministère de l'Intérieur, de collaborateurs du régime Ben Ali. Et même la promotion de l'un d'entre eux [qu'il ne nomme pas] pourtant responsable, selon lui, des forces de sécurité dans les gouvernorats de Kasserine et Sidi Bouzid au moment de la répression des émeutes, pendant la révolution.
Je refuse de travailler avec les criminels de Ben Ali,
avait écrit Samir Feriani dans sa lettre ouverte. "Aucun responsable au sein du ministère de l'Intérieur ne peut m'obliger à respecter un devoir de réserve et de silence, je suis sincère envers mon peuple", ajoutait le policier.
L'ancien régime toujours à la manoeuvre ?
Une "atteinte à la sécurité extérieure de l'Etat", énonce l'acte d'accusation, qui y voit aussi l'"attribution à un fonctionnaire public de faits illégaux en rapport avec ses fonctions, sans en établir la véracité" et la "diffusion d'informations de nature à troubler l'ordre public".
Les hommes libres sont en prison, alors que les voleurs et les tueurs sont en liberté,
s'insurge, devant l'entrée du complexe militaire, Fafani Damak qui, comme beaucoup de Tunisiens, s'impatiente de voir les corrompus de l'ancien régime et les responsables de la répression traduits en justice. "Pas de retour au RCD", chante aussi la petite foule en écho au soupçon, répandu, que l'ex-parti de Ben Ali ne soit toujours aux manettes, en sous-main. "Dans la justice, au pouvoir, ce sont les mêmes têtes", accuse Saïda Hdhili. "Le ministère de l'Intérieur n'a pas été démantelé, la police politique continue à exercer", dénonce Mohamed Belhassen, militant du Congrès pour la République, le parti de l'opposant historique Moncef Marzouki.
"Pourquoi gardent-ils toujours Feriani en prison et qui protègent-ils?", interroge aussi Mohamed, l'oncle du policier, sur la pancarte qu'il brandit. Le cas Feriani cristallise ainsi les craintes de cette période de transition où, comme le dit un autre proche, "il n'y a pas de vrai changement".
Arrestations arbitraires
Habib, lui, est certes là pour soutenir Samir, voisin de longue date, mais aussi pour "adresser un message au gouvernement":
Avant, quand quelqu'un était attrapé, personne ne bougeait. Aujourd'hui, nous sommes là. Et nous serons présents si ça recommence".
"Il ne s'agit pas que de mon fils, il y en a beaucoup d'autres dans ce cas", lance sa mère, petit bout de femme drapée dans un habit traditionnel. Dans un rapport publié en juillet, la fédération internationale des droits de l'homme (FIDH) s'alarme de "certains actes perpétrés par les forces de sécurité", qui "s’apparentent à des arrestations et détentions arbitraires". "De nombreux manifestants ont en effet été privés de liberté, quelques heures ou plusieurs jours, (…) sans qu’aucune charge ne leur soit notifiée, puis libérés, là aussi sans aucune explication", souligne la FIDH.
Une victoire pour la liberté d'expression
Alors, quand, à l'issue de l'audience, le petit groupe apprend la libération provisoire de Samir Feriani, il y trouve enfin un motif d'espérance. La foule exulte, lance des youyous, pleure, entonne l'hymne tunisien, porte en triomphe la mère du policier, donne l'accolade à sa femme et ses trois enfants.
Une décision aussi courageuse, dans une affaire politique, où l'on a traité de dossiers hypersensibles, c'est un indice positif,
se réjouit à la sortie l'un des nombreux avocats de la défense, Abdennaceur Aouini, engagé depuis plusieurs années dans la défense des prisonniers d'opinion.
Sur le fond, l'audience a été reportée au 29 septembre. Me Aouini en est convaincu: Samir Feriani "va être acquitté".