Malgré une opinion clairement récalcitrante, le Bundestag allemand vient de voter largement le second plan d’aide à la Grèce. Encore une fois, l’Allemagne est le plus gros contributeur, avec une rallonge aux alentours des 30 milliards, qui s’ajoutent aux 22 milliards du premier plan de sauvetage.
"L’Allemagne paiera": la fameuse formule de Georges Clémenceau à l’issue du traité de Versailles en 1918, imposant à l’Allemagne de verser une réparation astronomique aux vainqueurs n’a pas pris une ride. Le rapprochement avec la situation actuelle est pourtant bien excessif.
Mais l'impression que le "bon élève" doit, une fois encore, payer pour les erreurs de pays moins scrupuleux que le leur, qui est une "vache à lait", est largement partagée par les Allemands: d’après un sondage à paraitre ce jeudi dans l’hebdomadaire Stern, seuls un sur cinq est favorable à un soutien de la Grèce, alors que 37% des sondés souhaitent une sortie d'Athènes de la zone euro. Et pourtant, les députés allemands ont largement adopté, jeudi, le plan d'aide, à 523 élus pour, 85 contre et 3 abstentions.
Depuis le début de la crise grecque, se heurtent dans l’inconscient des Allemands deux aspirations contraires: d’un côté, l'envie de voir les "mauvais pères de famille" incapables de gérer leur budget – les fameux PIGS et autres Etats déficitaires – enfin s’aligner sur la rigueur allemande ; de l’autre, la peur omniprésente d’un retour de l’ "arrogance allemande" renvoyant à des périodes sombres de l’Histoire.
Hors micro, certains grincent des dents contre la diplomatie française, accusée de culpabiliser l’Allemagne, en se drapant dans la posture de donneur de leçons de la "solidarité" européenne.
Refus d'être une vache à lait
Au printemps 2010, Christine Lagarde, alors ministre de l'Economie, mettait déjà en cause l’attitude récalcitrante d'Angela Merkel dans l’élaboration du premier plan de sauvetage à la Grèce:
Ceux avec des excédents pourraient-ils faire un petit quelque chose? Chacun doit y mettre du sien (…) Je ne suis pas sûre que le modèle (allemand) soit viable à long terme et pour l'ensemble du groupe (de la zone euro),
expliquait la ministre au Financial Times.
Dur à avaler pour celle que le tabloïd Bild – aux 3 millions de lecteurs quotidiens – appelle avec enthousiasme "la Chancelière de fer". L’attaque frontale par son premier partenaire laisse un goût amer outre-Rhin.
La jalousie ne devrait pas intervenir dans les relations entre voisins européens. C'est le comportement d'un mauvais perdant,
ripostait Alexander Dobrindt, secrétaire général de la CSU
En mai 2010, la signature de l’Allemagne sera vécue en Europe comme une victoire de la diplomatie française et de Nicolas Sarkozy, bien qu’il ait dû concéder la participation du FMI au plan. Outre-Rhin, la rancœur est palpable: l’Allemagne alignera 22 des 80 milliards d’euros de prêts accordés à la Grèce, soit 5 de plus que la France (16,7 Milliards), proportionnellement à la participation de chacun au capital de la BCE.
Cinq professeurs d’université saisissent alors la Cour constitutionnelle de Karlsruhe, afin d’invalider le recours aux deniers des contribuables germains. Celle-ci déboutera finalement les plaignants le 7 septembre dernier, mais l’affaire a fait grand bruit.
Sauver la Grèce pour sauver les exportations
Après avoir demandé à ses équipes d'établir les différents scenarios de sortie de crise envisageables, Merkel a décidé de soutenir la Grèce, quoiqu’il advienne. Que penseraient, en effet, les marchés si elle annonçait aujourd’hui la mise en faillite de la Grèce après deux années à essayer de la sauver ?
Car la Chancelière le sait, l’inquiétude ne concerne pas tant la Grèce (2-3% du PIB européen) que les deux mastodontes également bien malades, l’Espagne et l’Italie (30% du PIB européen).
Si l’euro venait à tomber, l’Allemagne perdrait ses principaux débouchés à d’exportation: 43% de ses ventes à l'étranger vont aux 17 pays de la zone euro, et 62% aux 27 pays de l’UE. La Chancelière connait également l’exposition des banques françaises et allemandes aux dettes européennes et de son pays à la monnaie unique. En 3 mois les actions de la Deutsche Bank ont perdu, à l’instar de la Société Générale, 48% de leur valeur…
Si la Troïka BCE-FMI-UE n’accorde pas la prochaine tranche à la Grèce, de nombreuses grandes banques auront besoin d’argent de suite?
a reconnu Merkel le 14 septembre. La Grèce bataille actuellement pour obtenir le versement d'une enveloppe de 8 milliards d'euros sans laquelle elle fera défaut mi-octobre.
Merkel sacrifie son avenir politique
Pourtant, en plein "Superjahreswahl", littéralement "super année électorale", le choix du sauvetage de la Grèce est préjudiciable électoralement. Angela Merkel a déjà essuyé six revers électoraux pour une victoire (Saxe-Anhalt), des résultats qui hypothèquent de plus en plus sa place au sommet de l’exécutif allemand. En mars 2011, la défaite dans le Bade-Wurtemberg, bastion de la CDU depuis 58 ans, illustre la montée de l’euroscepticisme en Allemagne.
La pire défaite de Merkel depuis qu’elle a pris la tête de la CDU en 2000 " estime l’hebdomadaire die Zeit, en mars dernier
Le désamour entre la Chancelière et ses électeurs atteint son paroxysme. D’après un sondage diffusé le 21 août par la chaîne publique allemande ARD, 55% des personnes interrogées disent avoir "peu confiance" en Angela Merkel pour résoudre la crise financière et 20% n’ont "pas du tout confiance". Soit un total de 75% d’opinions négatives.
A Berlin le 18 septembre, après son dernier revers dans les urnes, Angela Merkel et son ministre des Finances, Wolfgang Schäuble, ont pourtant réaffirmé leur volonté de soutenir la Grèce coûte que coûte. Le Bild, particulièrement véhément à l’égard des Grecs, s’en est pris au bras droit de Merkel.
Schäuble a été l’homme des finances stables et des déclarations claires. Sa parole était valable. Mais dans la crise de l’Euro, Schäuble est devenu un politique qui roule les Allemands – qui évite les déclarations claires et qui se contredit lui-même."
La récente démission de l’allemand Jürgen Stark, membre du directoire et chef économiste de la BCE, a également été perçue comme un désaveu de la politique de la BCE, et un "lâchage" de l’Allemagne sur le dossier brûlant des rachats de dettes d’Etat dites "pourries".
Verts et le SPD sauvent le sauvetage
Face à la fuite de son électorat, des voix se font entendre au sein de la coalition gouvernementale. Après les critiques de Philippe Rössler, ministre FDP (libéral) de l’Economie, qui dénonçait l’omerta imposée par Merkel sur la faillite de la Grèce, c’est désormais Peter Ramsauer, numéro deux de la CSU et ministre des Transports, qui qualifie "d’indigestes" les nouvelles mesures de soutien aux pays en difficulté adoptées en juillet dernier.
Comme lors du vote du premier plan de sauvetage, le SPD et les verts devraient largement voter aujourd'hui le sauvetage de l’euro. C’est en tout cas ce que pense le ministre des Finances, confiant à l’approche du vote:
Nous avons une majorité de 80% au Bundestag pour le plan de sauvetage,
estime W. Schäuble le 21 septembre.
Conscient du décalage avec son électorat Le ministre des Finances a toutefois durci son message ces derniers jours, demandant une plus grande participation des investisseurs privés, qui soulagerait d’autant le poids supporté par les contribuables.
Devant le très puissant lobby financier IIF, il a rappelé que
sans une contribution substantielle des institutions financières, la légitimité de nos systèmes capitalistes occidentaux va souffrir (…) ainsi que la légitimité des démocraties occidentales à l'égard de leurs citoyens.
Pas sûr que cela suffise à contenter une population allemande, de plus en plus sceptique à l’égard de l’euro. En l’état, tout du moins…
Edité le jeudi 29 septembre à 15h27, avec le résultat du vote au Bundestag.