Pour la première fois hier lors de manifestations à Athènes, les plus âgés étaient nombreux dans les cortèges pour exprimer leur désespoir. Avec les plus jeunes, ils ont repris le slogan du temps de la dictature des colonels: "Pain, éducation, liberté". Prochaine épreuve de force: la grève générale du 19 octobre.
Une fois encore, les Grecs sont redescendus hier dans la rue. A Athènes et à Thessalonique, la deuxième ville du pays. Et toujours en rangs dispersés. En première ligne, les troupes combatives et disciplinées du PAME, le syndicat lié au parti communiste, secteur public et privé confondus.
Puis le gros de la troupe, formé des syndicats du public mais aussi ceux des grandes entreprises, l’eau, l’électricité, le gaz, …, toutes les sociétés privatisables dans les semaines à venir. Des habitués, ceux qui manifestent depuis le début de la crise et qui, tels des Cassandres, avaient prédit l’engrenage.
Mais ce sont les autres que l’on remarque : ceux qui sont là pour la première fois, ou alors il y a si longtemps, du temps de leur jeunesse. Un peu perdus, n’ayant pas tous les codes, ils s’abritent sous les bannières qui disent, les mots qu’ils portent en eux.
Cela suffit. Cela ne peut plus durer. Arrêtons l’appauvrissement et l’avilissement de notre pays".
Et prenant courage, à l’unisson des autres, quand les forces de l’ordre font mine d’avancer, bien abritées derrière leurs boucliers, ils les houspillent et les sifflent :
Valets des pourris, robots sans âme au service des puissants".
"Il me reste ma dignité"
Spiros, près de 60 ans, les cheveux blancs, est l’un d’entre eux. Il est cadre au ministère de l’agriculture. Une place enviable, disons bien considérée. Son salaire, lui, est moyen car il est entré tard dans la fonction publique. Avant, il avait créé sa petite entreprise qui a coulé. Il sera sûrement dans les premiers débarqués sur les 30 000 fonctionnaires que le nouveau plan de rigueur prévoit de mettre au chômage technique pour une durée indéterminée ou tout simplement licenciés. Que faire ? Comment faire ?
J’ai un emprunt pour 20 ans encore pour la maison. J’avais pourtant tout bien prévu. Maintenant, on doit se serrer la ceinture pour y arriver. A ma femme, qui a un laboratoire médical, la sécurité sociale doit 15 mois de remboursement du tiers-payant. Elle travaille à perte en ce moment. Et moi, mon salaire a diminué de 30%. Alors, je n’ai plus de voiture. J’ai eu un accident. Elle est partie à la casse. Impossible d’en racheter une autre. L’argent qui rentre ne suffit plus. Je pourrais, comme certains, arrondir mes fins de mois avec des fakelaki, les petites enveloppes-pots de vin. Mais je ne veux pas. Je suis un naïf, je sais. Mais, c’est ce qui reste, ma dignité. Et la fierté d’avoir élevé mes enfants et de leur avoir donné un métier. Mais eux, ils ne resteront pas en Grèce".
Ses enfants sont probablement dans le cortège des lycéens et des étudiants. Venus de leurs écoles ou d’une des nombreuses universités occupées depuis la rentrée, ils marchent vers le Parlement. Cette journée, il fait beau en plus, c’est un peu leur récréation. Entre un cursus scolaire déprécié et pas de perspective d’emploi (40 % des jeunes diplômés- le plus fort taux d’Europe pourtant – sont au chômage) ils savent qu’ils n’ont ni de présent ni avenir dans leur pays en déroute.
Comme hier face aux tanks
Alors ils savourent ces moments de camaraderie, en hurlant à tue-tête : "Pain, éducation, liberté", le même slogan que chantaient leurs parents quand les tanks de la dictature entraient dans l’Université. Mais soudain, comme une nuée de corbeaux, des individus cagoulés commencent à jeter des pierres sur les gardes mobiles, postés à tous les coins de rue. Qui répliquent avec des gaz lacrymogènes auxquels ces "connus-inconnus" (de la police), comme on les surnomme, renchérissent cette fois avec des cocktails Molotov. Le paysage prend en un instant l’aspect d’un champ de bataille, tout s’embrume dans les fumées, le cortège se dilue,… A terre, une banderole déchiquetée :
La Troïka nous mène droit à la catastrophe".
Cette journée de grève s'est terminée, comme toutes les précédentes, dans un mélange de colère et d’amertume. Rendez-vous à la prochaine. Le 19 octobre, ce sera la grève générale. Peut-être, cette fois, la vraie, la grande, la décisive. Ou, plus sûrement, la faillite sera déjà là.