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« Hello Daddy »! 2 hommes, 2 couffins, une famille heureuse

jeudi, 13 octobre, 2011 - 11:02

Deux hommes, deux jumelles de 5 ans, une mère porteuse américaine et une nounou japonaise déjantée. Hello Daddy raconte avec drôlerie la vie de cette famille heureuse de la grande bourgeoisie romaine. Son auteur, Claudio Rossi Marcelli, assure qu'un couple gay avec enfants y est mieux accepté qu'un couple sans enfants. Mais il continuera à vivre en Suisse tant que les droits des homosexuels ne seront pas reconnus en Italie. 

Après une longue tournée promotionnelle, pendant laquelle il a présenté son livre Hello Daddy sur les plateaux de télé italiens, Claudio Rossi Marcelli est rentré chez lui… à Genève. Au départ, la famille ne devait rester que deux ans en Suisse, où elle s'est installée quand Manlio, le compagnon de Claudio, a été muté par la multinationale pour laquelle il travaille.

Trois enfants et un mariage plus tard, Claudio n'envisage pas de retourner dans son pays. Il s'y sentait à l'aise pourtant, pas de discrimination, pas d'animosité. A tel point qu'il voulait alors "embrasser le sol devant les personnes qui acceptaient [les gays]".  Aujourd'hui, Claudio est moins enthousiaste. Il déplore l'inertie de la classe politique et l'absence de droits reconnus aux homosexuels: pas de Pacs ou d'union civile, encore moins de mariage gay. Ne parlons pas de l'adoption…

Hello Daddy raconte de façon anecdotique et légère la folle aventure de Claudio et Manlio, en couple depuis 14 ans, qui décident d’avoir un enfant, traversent l’Atlantique pour rejoindre la mère porteuse et se retrouvent avec deux blondes et enjouées jumelles. Maddalena et Clélia sont nées aux Etats Unis d’une mère porteuse de l’Ohio, où la gestation pour autrui est juridiquement acceptée.

Une normalité absolument extraordinaire

Entre Trois hommes et un couffin et Sex in the city, le style de Rossi Marcelli est clairement celui du réalisme social, si "social" peut qualifier aussi la grande bourgeoisie romaine. Ce contrepied est bienvenu. Comique de situation, mère coincée, père plus compréhensif et amis hystériques mais aimants, Hello Daddy c’est aussi la chronique délirante de Parioli – le 16ème arrondissement romain. Exemple avec ce message posté par Claudio sur Twitter:

Je rappelle à tous les résidents qui se promènent dans Parioli que ‘chez nous’ on ne ramasse pas les billets par terre parce que cela fait un peu parvenu.

Les gays ? Des hommes musclés qui dansent avec des boas autour du cou sur un char de la gay pride ? Des hommes qui cherchent les rencontres furtives dans les buissons urbains ? Oui, Claudio ne le cache pas. Ce que raconte Hello Daddy va pourtant à l’encontre de ces clichés: oui, on peut être bourgeois, gay et rêver d’une famille … Et oui, la normalité est absolument extraordinaire, comme pour toutes les personnes qui tombent amoureuses pour la première fois ou sont réveillées en pleine nuit, le cœur battant, parce que leur premier enfant est en train de naître.

Pendant toute l’interview, Claudio répond à nos questions avec Bartolomeo endormi au creux de son bras. Bartolomeo est le petit dernier de trois mois, conçu avec la même femme, Tara, et à qui est dédié le livre.

Claudio, peux-tu nous expliquer en deux mots comment tu en es arrivé à contacter l’organisation Famiglia Arcobaleno pour devenir papa ?

Je me suis fixé la date butoir depuis bien longtemps, elle correspond d’ailleurs parfaitement avec l’horloge biologique, je voulais des enfants avant mes 30 ans. Mais c’est surtout la rencontre avec Tara [la mère porteuse] qui nous a décidée. Mère de famille de l’Ohio, aux Etats-Unis, elle travaillait chez un gynécologue et avait suivi la grossesse d’une femme qui avait porté des enfants pour un couple gay.

Tara est restée marquée par le bonheur de cette femme. Alors, elle a pensé "je n’aurais jamais le Pulitzer, je ne vais pas trouver la cure pour le cancer mais je pourrais dire que j’ai changé la vie de deux personnes". C’était, de fait, le plus beau cadeau qu’on pouvait nous faire, et avec elle, tout semblait devenir facile tout à coup. Avec Bartolomeo, la deuxième fois, elle nous a remercié ! Et là j’ai aussi mieux compris ses raisons: Tara est la typique mère au foyer du Midwest qui s’ennuie un peu, mène une vie bien rangée et l’arrivée de ses deux "Italiens d’Italie" lui a permis de vivre une aventure peu commune.

Retraversons l’Atlantique, l’Italie est un des pays européens les plus en retard sur la question des droits homosexuels. Et pourtant, lorsqu’on lit ton livre, on ne perçoit jamais l’ombre d’une discrimination, d’une animosité…

La vérité est que nous n’avons jamais été discriminés et je ne connais aucun parent homosexuel qui l’ait été. Dès qu’il y a des enfants, les Italiens deviennent gâteux. L’unique discrimination a été positive: les maitresses, les directrices d’écoles se sont battues pour avoir les jumelles. Mais voilà, maintenant que je suis parti, je me rends compte qu’en Italie, lorsque j’allais à l’école, à la mairie de circonscription, j’espérais toujours tomber sur quelqu’un de gentil, d’"ouvert", de "compréhensif’". En Suisse, j’ai devant moi un employé qui a le devoir de respecter mes droits, la différence est abyssale.

Cette reconnaissance juridique pourrait-elle te pousser à ne plus revenir en Italie ?

L’exemple extrême auquel je pourrais penser est celui d’une femme iranienne qui vit en Suède: pourquoi devrait-elle retourner en Iran ? Pour devoir remettre le voile ? Les gens, en Suisse et en Italie sont pareils, sauf que je me sens plus accepté à Genève parce que, plus sûr de mes droits, je me présente plus sereinement. L’aspect officiel est finalement très important et j’ai ici ce que je n’aurais même jamais osé espérer. Les petites peuvent dire: "nos parents sont mariés" et pas seulement, "nos parents sont tolérés mais pas reconnus".

Tu veux dire par là que le "pays réel" est plus avancé que le monde politique italien?

En Italie, on n'arrive même pas à faire passer une loi sur l’homophobie [le projet de loi sur l’homophobie a été rejeté en mai dernier] ! On est a au moins quatre stades en arrière par rapport à un autre pays européen comme l’Espagne: il manque la loi sur les Pacs, sur les unions civiles, le mariage, et finalement, l’adoption.

Sur le papier, dans les sondages, les Italiens se disent défavorables à une telle évolution. Dans la pratique, ils sont beaucoup plus ouverts. Si nous avions un changement de gouvernement et que des hommes politiques courageux, "civilisés", votaient des lois de type espagnol je suis sur qu’il n’y aurait pas de problème. Le pays est prêt. J’ai rencontré un couple de femmes qui ont une fille de 13 ans, à Milan. Elles m’ont assuré qu’elles n’ont jamais subi une quelconque forme de discrimination. Aucun épisode, jamais !

Tu as rencontré beaucoup de familles gays. Combien sont-elles en Italie ?

Une étude de l’association Arcigay a répertorié 100 000 enfants italiens qui ont au moins un parent homosexuel, nous n’avons pas encore de données sur les familles strictement gay.

Le livre Hello Dady fait beaucoup de bruit en Italie. Penses-tu qu’il peut permettre de changer les mentalités ? Malgré toute la légèreté affichée, il s’agit aussi d’un acte militant?

L’humour permet de changer les mentalités des gens plus que n’importe qu’elle étude sur le développement des enfants. Je me suis rendu compte de la force de notre réalité. Lorsque les personnes nous voient, elles sont super tranquilles, c’est ça que je voulais rendre avec le livre, retranscrire la force du réel sur le papier. D’ailleurs, je me suis rendu compte que le couple gay avec enfants est plus accepté que le couple sans enfants. En nous regardant, on comprend en un clin d’œil. Je refuse par contre les talk-shows télévisés, je ne veux pas être un cas humain.

Et les critiques les plus acerbes que tu as reçu jusqu’à présent ?

Les gens me demandent souvent ce que je réponds à ceux qui disent que deux pères c’est "contre nature". Je réponds que la nature, dans sa magnanimité, a permis qu’un père couche avec sa fille et que de ce rapport naisse un enfant. La nature est horrible. Cela fait 2 000 ans que nous essayons de fuir la nature. Les personnes pensent de façon superficielle sur ces questions, mais au final, le préjugé est facile à détruire.

Quel est le cadre juridique qui entoure la naissance de tes filles ?

En Italie, notre situation est parfaitement légale parce qu’il n’y a aucune législation en la matière. En Europe, certains pays ont interdit le recours aux mère porteuses. C’est plus dur, mais c’est aussi moins hypocrite et je préfère. Cela signifie que le pays est plus mature, qu’on en parle. L’Amérique a une culture plus extrême, avec, en même temps, une grande hétérogénéité éthique.

Bon, les jumelles sont fantastiques, Bartolomeo est superbe, vous êtes heureux et aimants, les grands-parents sont fous de bonheur…C’est pas trop beau ?

C’est ce que nous vivons, je ne vais pas mentir. Pour moi, ce que je retire de plus beau du livre pour le moment, ce sont les lettres que je reçois des jeunes âgés de 12 à 22 ans. Pour l’instant, l’image qu’on leur a donné de l’homoparentalité c’est des parents gays dans le drame, la mère porteuse qui revient sur sa décision etc… Je crois qu’Hello Daddy est arrivé au bon moment. C’est le livre qui manquait. Moi à 20 ans j’ai lu Generation of love de Matteo Bianchi, un livre culte dans la communauté gay parce qu’il parlait du coming out, le thème qui nous occupait il y a 10 ans. J’aimerais qu’Hello Daddy soit un peu cela pour eux pour aujourd’hui.


Hello Daddy! Editions Mondadori. Disponible pour le moment uniquement en italien.




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