Le Centre des visteurs du Parlement européen a ouvert ses portes à Bruxelles. Cet espace d'exposition moderne a pour mission de mettre enfin l'UE à la portée de tous. Un défi que devra aussi relever la future Maison de l'histoire européenne. Non sans polémique. Plus que son utilité, c'est son coût en période de crise et d'austérité, qui est contesté.
Ouvert au public depuis le vendredi 14 octobre, le nouveau centre des visiteurs du Parlement européen (PE) est le plus récent fleuron de l'Atelier Brückner de Stuttgart: un espace de 5 400 mètres carrés, répartis sur trois étages, accueillant une exposition multimédia, interactive, gratuite et surtout – c'est une première – présentée en 23 langues.
Le Parlamentarium de Bruxelles est en fait bien plus qu'un simple centre des visiteurs, car une partie importante de l'espace est consacrée à l'histoire de l'Union européenne. Aidée par des dizaines d'historiens de toute l'Europe, l'équipe de l'architecte Uwe R. Brückner a mené une recherche préliminaire afin de choisir les thèmes fondamentaux de l'exposition.
Le voyage commence dans un couloir sombre, où est évoqué le continent en ruines au lendemain de la deuxième guerre mondiale. Sur le mur au fond du couloir, une date clé resplendit: 1950, année de naissance de la Communauté européenne du charbon et de l'acier (CECA). Accompagné par les déclarations visionnaires des pères fondateurs du projet européen, le visiteur passe dans une salle qui en retrace les grandes étapes: les traités, l'élargissement, les principaux événements historiques de ces décennies et leur impact sur la vie quotidienne des citoyens.
Conquérir le coeur des citoyens
A l'étage inférieur, le visiteur entre dans l'univers du Parlement européen. Pour en expliquer le rôle et les mécanismes, l'Atelier Brückner a allié créativité et technologie, "sans essayer d'imposer une vision univoque de l'UE", assure Uwe R. Brückner. Un message, cependant, ressort de l'ensemble des installations: l'Europe est "unie dans la diversité".
Adoptée par l'UE en 2000, cette devise n'a jamais conquis le cœur des citoyens. La chute constante du taux de participation aux élections européennes depuis 1979 (43% en 2009) a poussé les responsables de la communication du PE à reconsidérer leur stratégie afin d'inverser, ou du moins freiner, la tendance en 2014.
Le Parlamentarium fait partie d'un projet plus ample visant à faire découvrir l'institution à un nombre croissant de personnes qui, jusqu'à hier, devaient se contenter d'un "Infopoint" sommaire et d'une éventuelle visite guidée du Parlement. Un autre projet, encore plus ambitieux, a été lancé en 2007 par Hans-Gert Pöttering, à l'époque président du Parlement, dans son allocution inaugurale à Strasbourg:
Dans les musées nationaux, l’histoire européenne est presque toujours présentée sous le seul angle national. Je souhaite que l’on crée un lieu de mémoire et d’avenir où l’idée européenne puisse prospérer. Je propose la création d’une Maison de l’histoire européenne".
Le futur musée devrait ouvrir en 2014 dans les locaux de l'ancien institut dentaire Georges Eastman, situé dans un parc aux abords du Parlement. Mais en temps de crise, les voix s'élevant contre ce projet se multiplient.
Un projet casse-coût
Si, au début, certains contestaient le sens même d'un tel musée (où commence l'histoire de l'Europe? Et peut-on dire qu'il y a une seule histoire de l'Europe?), c'est maintenant surtout son poids sur le budget du Parlement qui dérange: 31 millions pour les travaux de rénovation et d'extension du bâtiment; 21,5 pour l'aménagement des espaces d'exposition et des bureaux ; 11,5 pour le fonctionnement annuel du musée (le chiffre initialement prévu était de 13,45 millions).
Les promoteurs du projet soulignent que la Maison de l'Histoire Européenne coûtera moins que d'autres musées, mais cela – rétorquent les critiques – ne la rend pas pour autant nécessaire. Certains pensent d'ailleurs que le coût final sera beaucoup plus élevé.
Tour d'ivoire
La commission des Budgets du Parlement vient d'approuver le budget 2012, qui prévoit notamment le financement du futur musée. Le vote sera très probablement confirmé à Strasbourg le 26 octobre, ce qui devrait permettre aux travaux d'avancer sans obstacles, d'autant que la Commission européenne a récemment réitéré son soutien au projet.
Mais le Parlement aura gâché une bonne occasion: au lieu de partager cette idée avec les citoyens, d'essayer de les impliquer dans la réalisation d'un musée qui devrait raconter leur histoire (ou plutôt leurs histoires), il a préféré agir seul.
C'est en fait le Bureau, formé par le président du Parlement, les 14 vice-présidents et cinq questeurs, qui a géré le dossier dès le début, ce qui n'a pas manqué de contrarier le reste de l'assemblée. Dans un document du 10 mai 2011, le Parlement "regrette que les décisions relatives à la Maison de l’histoire européenne aient été uniquement adoptées par le bureau du Parlement".
Conflit d'intérêts
D'autres députés sont allés plus loin, notamment Marta Andreasen, du parti britannique eurosceptique UKIP, qui siège au sein du Groupe pour l'Europe des démocraties et des différences. En avril 2011, elle a dénoncé le conflit d'intérêts dans lequel serait impliqué l'eurodéputé français Alain Lamassoure, président de la commission des Budgets.
"Le plus grave, a-t-elle expliqué en séance plénière à Strasbourg, c'est que le président de la commission qui doit donner le feu vert au projet siège dans le conseil d'administration de la Maison de l'Histoire Européenne, indépendamment du fait que ce poste soit ou pas rétribué. […] Un conflit d'intérêts si évident ne serait toléré dans aucun autre parlement".
Le Service juridique du Parlement a examiné la question et, explique Andreasen, "ils m'ont donné raison". Ils ont de plus suggéré de confier l'administration du musée à une des Directions générales du Parlement, "ce qui du coup rendrait inutile l'existence même d'un conseil d'administration". Selon Andreasen, cette affaire prouve que les promoteurs du projet "manquent de transparence, et c'est d'ailleurs toujours le cas avec la politique immobilière du Parlement".
L'eurodéputée reste fermement opposée au musée, qu'elle a rebaptisé "Maison de la vanité européenne":
L'histoire de l'Europe est dans les livres et dans les musées des différents pays", remarque-t-elle. "Nous n'avons pas besoin de ce musée".
Un projet qui mobilise surtout les eurosceptiques
Que l'on partage ou pas cette opinion, il faut reconnaître que la communication autour de ce projet censé exalter l'importance de l'UE a été pour le moins maladroite. La discrétion des responsables a laissé le champ libre aux eurosceptiques. En ligne, le futur musée est souvent soit critiqué par des journalistes ou des blogueurs, soit mentionné dans des articles rapportant les polémiques qu'il a suscitées.
Isabelle Durant, eurodéputée Ecologiste et vice-présidente du Parlement, est consciente du problème. Bruxelloise et européenne convaincue, elle défend avec vigueur la nécessité d'un lieu qui, au cœur de l'Europe, retrace le parcours historique liant ses citoyens. Mais elle reconnaît que le projet a été très mal "vendu":
Même les députés qui soutiennent l'idée du musée se montrent réticents quand on commence à parler de financements. Ce musée doit pourtant être une vitrine, on ne peut pas faire un truc rikiki! Je suis au Parlement seulement depuis 2009, mais j'ai remarqué que dès qu'on sort du travail législatif, on a du mal à obtenir du soutien, surtout sur des sujets immatériels comme la culture. Par contre on finance sans moufeter des projets comme [le réacteur nucléaire] ITER, parce qu'il y a l'industrie derrière…"
Le problème, ajoute-t-elle, c'est que ceux qui disent soutenir le projet ne le font pas ouvertement:
Et à force de ne pas en parler, le projet n'obtient pas le rayonnement qu'il mérite. Tout cela empêche une stratégie qui serait beaucoup plus porteuse: mettre les gens en appétit, montrer ce qui se fait déjà. Cela enclencherait un cercle vertueux de soutien".
Est-il vraisemblable que le musée ouvre ses portes dans trois ans à peine? "Absolument pas", assure-t-elle. "A mon avis il sera terminé en 2018. D'ailleurs, le Parlamentarium aussi a été inauguré avec deux ans de retard".
Il faudrait plus de transparence, donc. Sur les dates, et surtout sur les chiffres. Marta Andreasen n'a pas hésité à "animer" l'inauguration du Parlamentarium en rappelant qu'il a coûté plus que prévu. Il y aura toujours des gens – eurodéputés et citoyens – peu tendres à l'égard de l'Union européenne. Pourquoi prêter le flanc aux critiques?