Syndicate content

L’Italie pourrait coûter cher à l’Allemagne

mardi, 18 octobre, 2011 - 12:58

Le patron du très sérieux institut Ifo explique que l'Allemagne a une exposition de 450 milliards d'euros au sauvetage des pays l'euro. Plus du double prévu par le FESF, pour sauver l'Italie après la Grèce...et demain la France?

Le ton monte en Allemagne, à l’approche du Conseil européen, dimanche 23 septembre. Un sommet présenté comme celui de la dernière chance par François Fillon. "Si on ne réussit pas, l'Europe sera en très grand risque", estime le chef du gouvernement français, mettant ainsi en demeure les dirigeants européens de prendre des décisions essentielles pour mettre fin une bonne fois pour toute à la crise de la dette qui paralyse la zone euro. L'Allemagne, plus prudente, n'attend pas de décisions définitives dimanche.

Lundi 17 octobre, l’Ifo, institut de recherche économique de référence outre-Rhin (connu pour son indice Ifo de confiance des entreprises allemandes), a pourtant mis les deux pieds dans le plat. D’après son directeur, Hans-Werner Sinn, "le risque d’une plus forte contribution de l’Allemagne continue d’augmenter", malgré les promesses faites au Parlement allemand.

D’après l’institut, le montant des crédits-Target de l’Allemagne auprès des pays en asphyxie financière atteint 450 milliards d'euros. Ces prêts accordés via le système de paiement interbancaire européen sont connus sous l'acronyme TARGET, du système de "Transfert Express Automatisé Transeuropéen à réglement brut en Temps réel". 

D'après le directeur de l'Ifo, c'est ce système qui a permis de financer les GIPS (Portugal, Irlande, Grèce et Espagne). Dans le Süddeutsche Zeitung, il expliquait déjà en avril dernier: 

Les marchés internationaux n’ont financé aucun des pays GIPS de manière importante ces trois dernières années. Ils ont été financés par la Banque centrale européenne (BCE). Le système de règlement bancaire TARGET, jusqu’à présent ignoré par les médias, montre que la BCE a été beaucoup plus impliquée dans les plans de sauvetage qu’on ne le pense généralement. (…) A travers le système TARGET, les prêts des banques centrales de pays exportateurs, de l’Allemagne en particulier, ont été détournés au profit des GIPS.

Des pratiques parallèles qui s'appliquent, d'après l'Ifo, depuis août à l'Italie, alors que les chefs d'Etats ont décidé de renforcer le 21 juillet 2011, le dispositif du FESF, censé les remplacer. Pourtant l'Ifo assure que ces pratiques sont toujours de mise, et même en augmentation.

Initialement, Berlin avait accepté de mettre 120 milliards d’euros sur la table pour le premier plan de sauvetage en juin 2010. Cette somme était ensuite passée à 211 milliards après le second plan de sauvetage avalisé par le Bundestag le 19 septembre dernier.

Pour la France, la contribution est passée de 86,9 à 159 milliards d’euros.

En Allemagne, le ministère fédéral des Finances, se veut d'ailleurs transparent concernant le FESF. Sur son site, les citoyens de la RFA peuvent ainsi apprendre que

Pour les 82 millions d’habitants allemands, la garantie maximale apportée par personne passe de 2 125€ à environ 3 200 €, après extension du FESF" 

Un montant basé sur le FESF mais qui ne prendrait pas en compte l'ensemble des positions de l'Allemagne sur le marché interbancaire TARGET, à en croire l'Ifo.

Fuite en avant

Lors du vote du 19 septembre dernier, la majorité du Bundestag avait donné son aval à un élargissement de la "puissance de feu" du FESF à la condition que la participation allemande ne soit plus augmentée, du moins sans leur vote explicite. Or, Hans-Werner Sinn pointe aujourd'hui une politique incontrôlée de la BCE:

Malgré l’élargissement des moyens du FESF, les crédits accordés par la Bundesbank allemande – via le système des crédits TARGET – auraient atteint 46 et 60 milliards d’euros en août puis septembre. Les crédits mis à disposition par la Bundesbank atteignent fin septembre 450 milliards d’euros.

D’après les économistes de l’Ifo, cette augmentation spectaculaire tient à l’arrivée de la Banque centrale d’Italie au guichet de la BCE. Etranglée par des taux d’intérêts historiquement hauts, l’Italie n’a plus le choix. Problème: en faisant appel à la BCE, l’Italie contraindrait les autres banques centrales à co-financer le rachat de sa dette :

Les crédits TARGET ne sont pas une décision autonome de la Bundesbank ni un prêt d'argent direct. (…) Économiquement, c’est un crédit de la Bundesbank aux autres banques centrales, via la BCE, (…) un crédit d’État de l'Allemagne aux pays en crise (…) 

En fait la BCE donne à un pays qui en a besoin une ligne de crédit qu’elle va chercher auprès des Etats membres, au premier rang desquels, l’Allemagne, premier pays contributeur.

Usine à gaz

Pour bien comprendre les assertions de l’Ifo, il faut revenir un instant sur le fonctionnement du système de paiement interbancaire TARGET, trop souvent inconnu du grand public. Le système TARGET a été mis en place en 1997 pour faciliter les transactions entre établissements financiers et banques centrales, d’une part, et les transactions entre banques centrales, d’autre part.

Alors que les déficits (des comptes courants) des États sont normalement financés par des capitaux privés sur le marché mondial, la réforme du système TARGET en 2008 – au moment du "sauvetage" des banques par les États – a, en partie, changé la donne. Hans-Werner Sinn explique : 

Les banques centrales nationales des GIPS ont commencé à prêter de l’argent nouvellement émis à leurs banques privées et cet argent a ensuite été utilisé pour financer les déficits des comptes courants. Ces fonds se sont déplacés vers les pays exportateurs où ils ont circulé dans le cadre de transactions ordinaires. Les banques centrales des pays exportateurs ont réagi en réduisant les émissions de liquidités pouvant faire l’objet d’emprunts par les acteurs économiques nationaux. Dans le fond, les prêts des banques centrales de pays exportateurs, de l’Allemagne en particulier, ont été détournés au profit des GIPS

En France comme en Allemagne, des voix s'élèvent également contre la "dictature" du FESF. C’est, en tout cas, le cas du gérant-associé de Platinum Gestion, Olivier Delamarche, également chroniqueur sur BFM:

Le FESF a le droit de demander n’importe quelle somme à un pays qui doit s’exécuter dans les sept jours. Si vous ne vous exécutez pas la demande, à ce moment-là, il peut agir en justice contre vous. En revanche, ils se sont voté l’impunité. Il y a l’article 24 qui dit : 'on ne peut pas agir contre les décisions du FESF. Même si elles sont totalement ahurissantes et non fondées, vous n’avez aucun recours en justice contre le FESF'. Personne ne le sait, personne ne le dit. Tout ça risque de nous coûter très cher.

Le triple A de l’Allemagne menacé ?

L’annonce ce matin par l’agence Moody’s de placer sur surveillance la note AAA de la France pourrait être une première alerte et un signe envoyé aux États européens que la recapitalisation des banques et l’extension de la monétisation de leur dette sont surveillées de près par les agences de notation. Un abaissement de la signature française pourrait signer l’arrêt de mort du FESF.

En Allemagne, la perte du triple A commence également à être invoqué par les opposants aux FESF et aux pratiques de la BCE. Parallèlement à l’institut bavarois Ifo, le DIW berlinois craint également qu’une aide financière non maîtrisée ne conduisent à la perte de l’Allemagne et des pays notés AAA. La presse économique allemande se montre également sceptique à l’image du titre, certes un peu grossier, du suisse-allemand Baselonline: "Le Plan de sauvetage met en danger les sauveteurs".

La semaine dernière, un dossier complet du Handelsblatt avait déjà provoqué une petite bombe en Allemagne. Il estimait la dette réelle de l’Allemagne à 7000 milliards et non 2 000 milliards, comme officiellement annoncé. D’après le quotidien économique Handelsblatt, la dette allemande ne tiendrait pas compte des dépenses à venir des comptes sociaux (retraites, maladie, dépendance) et de l’abyssal déficit démographique à venir. Ce système de calcul, appelé également "dette générationnelle", se rapproche de la "dette projetée", introduite en France dans le rapport Pébereau de 2005.

Si ce système est contesté par de nombreux économistes, il a trouvé un écho considérable et a été repris par l’ensemble des grands quotidiens allemands. En France, seul Marianne2 s’en est fait l’écho, en deux temps et de manière contradictoire, le présentant d’abord comme une découverte majeure puis comme une manipulation d’économistes néo-libéraux. Une chose est sûre, en Allemagne les résistances se font de plus en plus nombreuses et sont de plus en plus relayées par les grands media…


Pour en savoir plus: Le site In Eco Veritas détaille les statuts du FESF et analyse alinéa par alinéa les contraintes imposées par le futur Mécanisme européen de stabilité. 




Pays