Les deux principaux syndicats portugais ont fixé au 24 novembre la date de la grève générale. Alors qu'une récession de 2,8% est prévue l'an prochain, le budget 2012 tient du coup de massue. Les coupes et les restrictions annoncées toucheront surtout les classes moyennes et modestes. Le mécontentement gagne.
La question se pose comme pour les Grecs: jusqu’à quand les Portugais tiendront-ils ? Le budget 2012 que le gouvernement a préparé et soumis aux députés pour analyse prévoit de nouvelles mesures d'austérité draconiènes. Décisions les plus emblématiques: la suppression temporaire des 13ème et 14ème mois pour les fonctionnaires et les retraités aux revenus supérieurs à 1 000 euros et l'augmentation d'une demi-heure de l'horaire de travail dans le secteur privé.
Sous assistance financière de la communauté internationale, qui lui a octroyé une aide exceptionnelle de 78 milliards d'euros en mai dernier, le Portugal peine à assainir ses finances publiques. D'où le tour de vis suplémentaire. L'objectif que s'est fixé le gouvernement (de centre-droit) de ramener le déficit à 5,9% du PIB en fin d'année ne sera probablement pas atteint: au premier semestre, il s'élévait toujours à 8,3%.
Et pour cause, la rigueur carabinée sape les recettes fiscales et casse tout espoir de reprise économique. Le pays fera face l'année prochaine à une récession de 2,8 % du PIB, après 1,9% 2011.
Une sévérité inédite
Entre les recettes et les dépenses prévues dans le projet de budget 2012, il y a quelque chose comme 7 milliards d’euros en goguette. Et pour combler le gouffre, une recette ancienne: l’augmentation des impôts. Encore. Déjà pour 2011, les travailleurs portugais ont appris qu’ils vont perdre une partie substantielle de leur prime de Noël. La levée de cet impôt exceptionnel, qui fera rentrer 1,2 milliard d’euros dans les caisses de l’État (en 2012), avait été annoncé en juillet dernier.
Dans le brouhaha de la veille de départ en vacances, elle avait fait grincer des dents. Mais les Portugais qui ont intégré l’idée que "tout le monde doit participer à l’effort général de redressement de l’économie du pays" avaient fait contre mauvaise fortune bon cœur.
Cette fois, l’horizon 2012 – et 2013 – s’annonce bouché par un ensemble de mesures à la sévérité inédite. Les portugais vont devoir:
- payer plus d’impôts sur l’automobile et l’immobilier (deux sources de recettes fiscales importantes dans le pays).
- renoncer à la plupart des déductions d’impôts.
- s’acquitter du ticket modérateur- mesure assortie d’une amende en cas de refus de payer.
- supporter une TVA en forte augmentation, car de nombreux biens et services taxés jusqu’à présent à13 % le seront à 23 % (ou de 6 à 13 %).
La "crème de la crème" – selon l’expression que les Portugais adorent utiliser en français – est pour les fonctionnaires. Ils ont déjà perdu 5 % de leurs revenus cette année, plus une partie de leur prime de Noël, comme tout le monde. Mais, pour les deux prochaines années, l'effort sera encore plus umportant: au-dessus d’un revenu mensuel de 1 000 euros, les deux primes de vacances et de Noël disparaitront. Entre 485 euros (salaire minimum) et 1 000 euros de revenu: une seule prime saute.
Une demi-heure de travail en plus par jour
Quant à la cerise sur le pot de crème, elle va à l’ensemble des travailleurs : une demi-heure de travail quotidien sans compensation financière et moins de fériés.
"Du vol qualifié, une déclaration de guerre". Le Secrétaire général de la CGTP (Confédération Générale des travailleurs), connu pour son calme et ses propos courtois est en colère.
Ce budget est terriblement injuste. Nous avons une dette à payer et nous devons nous en acquitter. Mais nous savons qu’elle est le résultat en grande partie de spéculations hasardeuses. Ce que l’on appelle crise est un vol organisé.
Manuel Carvalho da Silva fait remarquer que c’est á nouveau le revenu du travail qui est ponctionné. Le secteur productif est davantage protégé: la contribution des entreprises se chiffre à 655 millions, selon le quotidien Público, et la taxe supplémentaire de 2,5% sur les plus hauts revenus ne rapportera que trois millions. Car, le gouvernement ne peut s’autoriser un chômage à 20 %, alors qu’il mise sur 14 % de la population active à la fin de 2012.
Entre la peste et le choléra
Et du côté du patronat, il n’est pas sûr que toutes les mesures annoncées correspondent aux attentes.
Imposer une demi-heure de travail supplémentaire quotidien, cela peut se comprendre dans les secteurs productifs. En revanche, faire travailler quelqu’un une demi heure alors qu’on n’a pas de travail à lui donner, me parait être contre productif,
estime António Saraiva, dirigeant de la Confédération Industrielle Portugaise (CIP). Le patron des patrons considère que, bien que difficiles, les mesures contenues dans la proposition de budget sont nécessaires pour éviter pire encore dans 2 ou 3 ans.
Il y a un moment où les portugais vont devoir choisir entre avoir un travail moins bien rémunéré – ou davantage ponctionné – et avoir du travail tout court. Cependant nous insistons sur la nécessité d’entamer des réformes structurelles et de privilégier le dialogue".
Grève générale
La CGTP et l’UGT (Union Générale des Travailleurs) ont appelés á la grève générale. Elle aura lieu le 24 novembre, avant le vote sur le budget à l’Assemblée de la République, prévu le 29 novembre prochain. Pour Carvalho da Silva, le leader de la CGTP, la journée de grève générale servira "à mobiliser et informer: les Portugais n’ont pas encore conscience de ce qui les attendent. Nous devons faire pression, ne plus donner l’impression que nous acceptons sans rechigner", explique le dirigeant syndical.
Une dérive à la grecque ? Personne ici ne la souhaite, dans un pays pacifiste, où la contestation sociale a été conquise de haute lutte avec la révolution démocratique de 1975. Mais ces jours mouvementés marquent peut-être un tournant.