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Le fisc met les clubs berlinois en boite

jeudi, 20 octobre, 2011 - 12:55

Est-ce un concert quand un DJ occupe les platines ? Tel est le débat qui occupe actuellement un office des impôts berlinois et les plus grands clubs de la ville. En jeu: quelques millions d’euros de taxes. Et la survie de certains des lieux emblématiques de la capitale de l'électro.

Recevoir un courrier des impôts est rarement de bon augure. Et cela s’est encore confirmé pour plusieurs clubs berlinois lors des dernières semaines. Les autorités financières du quartier de Mitte-Friedrischshain ont en effet estimé que lorsque que des gens se trémoussaient devant un DJ, il ne s’agissait pas d’un concert, mais d’une simple "manifestation de danse".

En termes de gros sous, cela veut dire que les clubs en question ne peuvent pas bénéficier de la réduction de la TVA à 7% accordée à d’autres évènements musicaux. Non seulement ils doivent désormais appliquer le tarif réglementaire de 19% sur les entrées, mais surtout, l’office des impôts leur demande de payer des arriérés pour les dernières années.

Cela fait mal, mais cela ne va pas nous tuer,

estime Markus Trojan, propriétaire du Weekend club, interviewé par le Tageszeitung. Il se fait cependant du souci pour certains de ses collègues:

Certains doivent payer un retard d’impôts sur cinq ans et pourraient donc se déclarer en faillite.

Va-t-on en club pour l’alcool ou la musique ?

Pourtant une prestation de DJ peut être considérée comme un concert. C’est ce qu’a stipulé la Cour fédérale des finances dans une décision rendue en 2005. Mais comme le précise Olaf Möller, président de Clubcommisson, une association de clubs berlinois, cette réglementation est truffée de "nuances absurdes":

Si la majorité des gens ne regardent pas en direction de l’artiste, ce n’est pas un concert. Pareil s’il y a une liste d’invités, ou si aucune affiche n’annonce l’évènement.

Des nuances sur lesquelles se sont appuyés les travailleurs zélés de l’office des impôts du quartier de Mitte à Berlin. Ils auraient mené une étude empirique auprès de plusieurs clubs. Et selon leurs observations, les clubbeurs ne vont pas en boîte pour voir un DJ, mais davantage pour consommer de l’alcool.

Un jugement qui indigne les propriétaires des clubs. L’un d’eux témoigne sous couvert d’anonymat dans le magazine Der Spiegel: "Chez nous il s’agit de musique et d’artistes – pas de boissons gratuites et de Go go girls !"

Du côté des DJ aussi on est scandalisé. Paul Van Dyk déclarait ainsi au quotidien Tagesspiegel:

Cette décision est absurde. Elle nuit à la scène culturelle berlinoise et à la ville dans son ensemble.

Même son de cloche dans la presse spécialisée, comme dans le magazine consacré à la culture electro De: Bug:

Donc, en raison d’un manque de définition officielle claire, un office des impôts peut décider qu’un concert avec des artistes reconnus et qui attire beaucoup de touristes ne soit pas désigné comme tel, tout ça parce qu’il n’y a pas d’adolescents braillards. Et comme si souvent, un jeu sur les mots aussi ridicule a des conséquences qui se comptent en millions d’euros.

Mais les clubs ne sont pas décidés à se laisser faire. Selon Olaf Müller, ils sont déjà plusieurs à avoir porté plainte contre la décision de l’office des impôts. Comme le procès pourrait durer encore très longtemps, Olaf Müller tente d’obtenir un rendez-vous avec le sénateur responsable des finances de la ville de Berlin. "Il faut qu’on ait un règlement clair. Et surtout que les travailleurs des offices des finances soient mieux formés sur le sujet. Car bien souvent ils n’y connaissent rien en DJ et en musique électronique."

Dans l’intérêt de Berlin

Mais le président de l’Association des clubs berlinois n’est pas persuadé d’obtenir gain de cause.

Sur son site touristique, la ville se vante de la qualité de ses clubs. Et pourtant elle ne fait rien pour les aider à survivre.

Il est vrai que de nombreux hauts lieux de la nuit berlinoise ont disparus ces dernières années. Ainsi le Kiki Blöfeld et le Maria am Ostbahnhof ont fait place à des projets de logements ou de bureaux.

D’autres sont victimes des plaintes constantes de leurs voisins à cause du bruit, comme le Knaack-Club dans Prenzlauer Berg, qui a fini par fermer définitivement boutique en 2010. D'où cette contre-attaque de Möller:

Quand des logements sont construits près d’un club, c’est à eux de s’insonoriser correctement, pas au club.

Il souhaite donc un plus grand engagement de la mairie en faveur de la vie nocturne. Et selon lui, c’est dans l’intérêt de Berlin. Car des boites comme le Berghain, élu meilleur club du monde en 2009, attirent plus d’un touriste dans la capitale. Et elles génèrent de l’argent ; chose qui n’est pas un luxe dans une ville où le chômage pointe à plus de 13%. Möller a même des chiffres à l’appui :

Selon une étude que nous avons fait en 2007, les clubs berlinois engendraient 170 millions d’euros de chiffre d’affaire par an, et employaient 8 000 personnes.




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