Le soutien de l'ONU et du Conseil de l'Europe n'y aura rien fait : sauvé de justesse il y a un mois, le camp de bohémiens de Dale Farm a été évacué mercredi 19 octobre, dix ans après les premières plaintes des autorités locales. Reportage à Basildon, à l’est de Londres.
La police avait assuré n’être présente aux abords du camp de bohémiens de Dale Farm que pour vérifier que l’éviction menée par les huissiers se ferait dans le calme. Il ne devait donc pas y avoir "de surprise". L’entrée imprévue de 100 policiers à l’aube du mercredi 19 octobre, matraque et bouclier à la main, pour déloger les occupants et les sympathisants du plus grand site illégal de gens du voyages d’Europe a donc choqué tout le monde.
Leur brutalité et la démolition de murs à l’intérieur du site légal mitoyen ont provoqué la colère des encerclés. Des briques, des bouteilles ont alors commencé à voler. Avant qu’une caravane, puis une seconde, ne s’embrase au milieu du site.
"Les autorités locales ne veulent pas de nomades chez elles"
La police, qui dit avoir été forcée d’utiliser des Taser pour protéger des officiers menacés, a arrêté 34 personnes pour violences et obstruction. Certains d’entre eux ont été envoyés à l’hôpital après avoir été frappé ou été jetés à terre. Une bien mauvaise image pour les autorités locales, qui assuraient vouloir régler la question dans le calme.
Dix ans après la première demande d’éviction, quatre-vingt-six familles soit plus de quatre cents personnes résidant sur un terrain de la municipalité de Basildon (à 50 km à l’est de Londres), ont donc été expulsées. Mi-septembre, les occupants avaient réussi à empêcher in extremis une première tentative d'expulsion, obtenant un sursis de la justice, alors que les huissiers et la police avaient déjà pris position autour du camp. Le 17 octobre, ils perdaient leur dernier procès en appel.
Ces dernières semaines, environ 200 personnes, des représentants de la très ancienne communauté de gens du voyage d'Irlande, étaient demeurés sur place.
On veut nous faire passer pour des criminels mais nous sommes chez nous,
assurait il y a quelques jours Flinn, qui ne veut pas donner son nom de famille.
Nous sommes propriétaires du terrain. Il était partiellement recouvert par une décharge publique lorsque nous l’avons acquis, mais les autorités locales prétendent qu’il était classé en zone verte et que nous ne pouvions donc pas y bâtir de logements. C’est juste du racisme, elles ne veulent pas de nomades chez elles mais ne veulent pas l’avouer.
En effet, le terrain dans son ensemble appartient aux nomades mais les constructions n’ont été autorisées que sur la moitié du camp.
Soutien des Nations-Unies
A quelques mètres de lui, Dona Berry s’agite: "On nous accuse de maltraiter nos enfants mais nous les emmenons tous à l’école chaque matin. Nous ne sommes pas des monstres mais des victimes." Derrière elle, la porte d’entrée a été barricadée à l’aide de planches de bois, de briques rouges et d’un peu de plâtre.
Quelques coups de pied auraient suffi aux colosses chargés de l’éviction pour la faire tomber. Pour leur rendre la tâche moralement moins aisée, les planches ont été peintes par des enfants et le portrait photo géant d’un jeune garçon a été collé dessus.
Le drapeau de l'ONU accroché à la barricade rappelle que le représentant européen du haut-commissaire des Nations Unies aux droits de l’Homme, Jan Jarab, a récemment soutenu les futurs expulsés. Il avait également proposé au gouvernement anglais de faciliter les négociations entre les deux parties. Son offre a pourtant été rejetée. Les autorités municipales, le député local et le Premier Ministre ont fait preuve d'intransigence. Pour David Cameron, "c’est une question d’équité: tout le monde doit obéir la loi, notamment sur les permis de construire et sur les terrains protégés".
Les riverains réclament l'expulsion
L’argument est largement battu en brèche par les supporters des nomades. En effet, le conseilleur municipal a très récemment accordé à un promoteur immobilier la construction de cinq cents maisons sur le parc de Gloucester, une réserve naturelle située à proximité du camp. Pire, désireux d’éviter tout débat sur la question lors du conseil municipal, il a annulé la dernière séance en date pour "des raisons de sécurité publique" et du fait "des circonstances exceptionnelles à Dale Farm" !
La ligne dure tenue par les autorités satisfait pourtant les habitants du village et des villes alentours. "Ces gens apportent toujours les problèmes", explique Rory, qui habite la ville voisine de Wickford et demande "s’ils ont enfin été expulsés".
Avec eux, les vols et les crimes se multiplient, et nos enfants ne peuvent plus étudier normalement à l’école. Ils ne respectent jamais la loi alors que celle-ci est la même pour tout le monde ! Regardez d’ailleurs le scandale sur la vingtaine d’esclaves découverts dans un camp de nomades il y a deux semaines, ils font ça partout !
Toutes les personnes rencontrées hors de Basildon tiendront sensiblement le même discours.
Barrières et portails ouverts
Une femme de soixante ans, qui vit quasiment en face de Dale Farm, fait pourtant exception. "Franchement, avec les bohémiens d’origine anglaise qui vivent dans la partie légale du camp, il n’y a jamais eu le moindre souci", assure-t-elle, même si elle refuse que son nom soit cité.
J’en fais même travailler dans mon jardin depuis longtemps et tout s’est toujours très bien passé. C’est un peu moins simple avec les Irlandais, qui vivent sur le terrain où la construction est illégale: ils conduisent leur voiture comme des fous, croient que la route est à eux et nous insultent régulièrement lorsqu’on leur fait remarquer qu’il est devenu dangereux de marcher dans les rues du village à cause d’eux. L’ambiance est donc déplaisante mais, concrètement, je n’ai jamais été victime du moindre vol et n’ai rien à leur reprocher.
La plupart des demeures du village gardent d’ailleurs leur barrière ou leur portail ouverts, signe que la criminalité demeure mineure, même si une inscription dans un chemin rappelle que "la propriété est totalement privée et que les étrangers sont interdits d’entrée".
Une facture de 18 millions de livres
L’expulsion des gitans pourrait avoir des conséquences imprévues pour la communauté locale. Avec le départ des nombreux enfants scolarisés à l’école municipale, cette dernière se retrouvera en sous-effectif et pourrait donc fermer ses portes dès la rentrée prochaine.
Les coûts engendrés par l’expulsion engendreront eux sans aucun doute l’explosion des impôts locaux – même si le gouvernement conservateur à décidé de prendre en charge une partie des frais de justice, dont la facture est estimée à 18 millions de livres sterling. Il n’est donc pas certain que dans quelques mois tout le monde remercie la majorité au pouvoir pour son action décisive.