L’Espagne démocratique se félicite de l’annonce par l'ETA de l’arrêt "définitif" de la violence, mais réclame retenue et vigilance tant que l'organisation n'aura pas remis ses armes. Et pour Felipe Gonzales, la paix ne doit pas permettre une réinterprétation de l'histoire par cette "organisation criminelle".
Après 43 ans d'attentats et le meurtre de 829 personnes, l'ETA a décidé "l’arrêt définitif de son activité armée".
"Avec la retenue à laquelle nous contraint l’histoire, vivons aujourd’hui la légitime satisfaction de la victoire de la démocratie, de la loi, de la raison », s’est réjoui, un brin ému, le chef du Gouvernement espagnol, José Luis Rodriguez Zapatero. Mariano Rajoy, le chef de l’opposition et probable vainqueur des prochaines élections législatives du 20 novembre reconnait, pour sa part, que"C’est une grande nouvelle. Cette annonce s’est produite sans la moindre concession politique". Il se veut cependant prudent:
La tranquillité des Espagnols ne sera totale que lorsque se seront produits la dissolution irréversible de l’ETA et son démantèlement complet".
Cette prudence illustre, en fait, les craintes que nourrissent encore les Espagnols à l’égard de l’ETA. Certains détails du communiqué les ont empêchés d’être pleinement confiants. Le fait que dans la vidéo diffusée par l’ETA, les trois représentants de la bande se soient présentés le visage caché par l’habituelle capuche a déclenché la suspicion quant à leur volonté réelle de ne pas replonger dans la violence.
Par ailleurs, le vocable employé dans l’annonce des terroristes restait très idéologisant et le champ lexical plus approprié pour parler d’une guerre que pour parler de terrorisme : "lutte", "conflit", "confrontation armée"…
La page n'est pas encore tournée
L’ancien chef du Gouvernement espagnol, le socialiste Felipe Gonzalez, a d’ailleurs mis en garde contre une réinterprétation de l’histoire par l’ETA.
Il y a une falsification totale du récit. Il n’y a jamais eu d’affrontement mais une criminalité organisée. L’ETA reconnaît sa défaite mais avec une lecture fausse de l’histoire".
Le groupe terroriste ne semble pas vouloir faire acte de repentance pour les crimes commis: son communiqué ne mentionne à aucun moment les centaines de victimes de l’organisation.
De ces inquiétudes émerge la conviction qu’il reste encore une dernière étape à franchir pour que la page ETA soit définitivement tournée : la dissolution de la bande armée et la remise des armes. Certains analystes pensent que cela n’arrivera pas avant les prochaines élections basques en 2013 et que cela dépendra des résultats qu’y obtiendra la gauche "Abertzale" (gauche indépendantiste, dont certains partis constituaient autrefois le bras politique de l’ETA).
Ces ultimes craintes sont finalement les derniers vestiges de 24 ans de lutte de l’Espagne démocratique contre l’ETA considérée moribonde depuis plusieurs années. La chronique de la mort annoncée de la bande armée s’est accélérée depuis que la gauche "abertzale" a fait, il y a deux ans, explicitement le pari de la voie démocratique et du rejet de la violence. Depuis, de nouveaux pas ont été faits, consolidant, petit à petit, l’idée de la fin du terrorisme.
Soutien international pour la paix
L’implication de l’avocat Sud-Africain Brian Currin, qui se voulait un médiateur entre l’ETA et les autorités, plutôt mal vue par les autorités espagnoles, a abouti lundi dernier à la tenue d'une Conférence pour la paix réunissant des personnalités internationales comme Kofi Annan. Le communiqué issu de cette journée est un peu la préface de l’annonce de l’ETA.
Parallèlement à l’implication internationale, des expériences de dialogue entre prisonniers de l’ETA et parents de victimes sont menées depuis plusieurs mois au Pays Basque.
Un autre pas décisif a été franchi en mai dernier, avec l’arrivée au pouvoir dans plusieurs villes du Pays Basque et notamment de Saint Sébastien, de la gauche "Abertzale" à travers la coalition Bildu. Pour certains analystes, la participation de la gauche indépendantiste au jeu démocratique a été déterminante pour convaincre l’ETA de jeter les armes.
Reste donc désormais à gérer la future dissolution du groupe terroriste, la remise des armes, et la question, épineuse, de l’avenir des 703 membres de l’ETA actuellement en prison. Peu importe, de l’avis quasi unanime en Espagne, si ce n’est la fin, le communiqué de l’ETA signe au moins le début de la fin du terrorisme basque.
CHRONOLOGIE de 43 ans de lutte armée
- 31 juillet 1959 : un groupe d’étudiants radicaux fondent l’Euskadi Ta Askatasuna (ETA) comme alternative au traditionnel Parti National Basque (PNV).
- 28 juin 1960: première victime mortelle de l’ETA: une fillette de 18 mois est tuée par l’explosion d’une bombe dans la gare d’Amara de Saint Sébastien.
- Mai 1962 : 1ère assemblée de l’ETA au Monastère de Belloc, à Bayonne où l’ETA se décrit comme le mouvement révolutionnaire basque de libération nationale.
- 7 juin 1968 : seconde victime mortelle de l’ETA (souvent considérée comme la première). Un garde civil est tué lors d’un contrôle routier.
- 20 décembre 1973 : assassinat de l’Amiral Carrero Blanco à Madrid
- 13 septembre 1973 : premier attentat de masse. Douze personnes sont tuées et 80 blessées par l’explosion d’une bombe dans une cafétéria madrilène.
- 15 octobre 1977 : amnistie pour les membres de l’ETA emprisonnés durant la dictature franquiste.
- Années 1980 : pendant ces années sévissent les GAL (Groupements Antiterroristes de Libération) dont l’activité consistait à éliminer les membres supposés de l’ETA.
- 1982 : disparition de la branche de l’ETA politico-militaire (les polimilis)
- 1984 : la France autorise l’extradition de trois prisonniers membres de l’ETA vers l’Espagne. La coopération entre les deux pays commence.
- 18 juin 1987 : l’explosion d’une voiture piégée dans le parking d’un supermarché barcelonais cause la mort de 21 personnes.
- 1989 : le Gouvernement de Felipe Gonzalez essaie de dialoguer avec l’ETA pendant lesdites Conversations d’Alger, le temps d’une trêve de trois mois.
- 1992 : avec ledit « coup de Bidart », la direction de l’ETA est démantelée après l’arrestation de ses principaux membres dans le village français de Bidart.
- 12 septembre 1998 : Pacte d’Estella : les partis nationalistes basques signent un pacte pour la recherche de la souveraineté du Pays Basque et la fin du terrorisme.
- 16 septembre 1998 : L’ETA annonce une trêve indéfinie et sans conditions.
- 19 mai 1999 : le Parti Nationaliste Basque (démocrate) passe un accord de Gouvernement avec Euskal Herritarok, parti de la mouvance de Herri Batasuna, bras politique de l’ETA. Neuf mois plus tard, l’accord est rompu suite à l’assassinat d’un député socialiste basque.
- 28 novembre 1999 : l’ETA annonce la fin du cessez-le-feu, après l’échec du dialogue avec le Gouvernement de José María Aznar en mai 1999.
- 28 mars 2003 : le Tribunal Suprême décide de rendre illégaux les partis de gauche Abertzale Batasuna, Euskal Herritarrok et Herri Batasuna à cause de leurs liens avec le terrorisme de l’ETA.
- Mars 2006 : le Gouvernement de José Luis Rodriguez Zapatero entame un processus de dialogue avec l’ETA qui prononce une trêve.
- 30 décembre 2006 : Un attentat dans l’aéroport de Madrid coûte la vie à deux personnes et met fin au dialogue avec le Gouvernement.
- 25 septembre 2010 : Accord de Guernica : les représentants des partis de la gauche Abertzale enjoignent à l’ETA dans une déclaration conjointe de prononcer un cessez-le-feu permanent comme signe de sa volonté de parvenir à un abandon définitif de la lutte armée.
- 10 janvier 2011 : l’ETA prononce un cessez-le-feu permanent général et vérifiable.
- Mars 2011 : l’ETA annonce la fin de l’extorsion des entreprises basques à qui la bande prélevait l’impôt révolutionnaire pour se financer.
- 20 octobre 2011 : l’ETA annonce l’abandon définitif de la lutte armée.
CE QU’IL RESTE À NEGOCIER
- Dissolution du groupe terroriste, composé d’une cinquantaine de personnes en liberté.
- Remise des armes encore en sa possession.
- Régler le problème des 703 prisonniers de l’ETA : amnistie (très improbable voir impensable) Rapprochement du Pays Basque des prisonniers dispersés dans les prisons de tout le territoire espagnol.
- Libération des prisonniers en gravement malades comme l’a demandé la gauche Abertzale dans la Déclaration de Guernica de septembre 2010?
- Régler la question des membres de l’ETA qui vivent dans la clandestinité et craignent d’en sortir.
- Certains partis, comme le Parti Populaire (PP, conservateur), veulent que l’ETA demande pardon.