Résoudre le problème du logement et participer au maintien de la cohésion sociale, tels sont les deux objectifs du logement intergénérationnel. Le concept ? Rapprocher des jeunes et des moins jeunes en dépassant la simple relation hébergeant/hébergé. Petit aperçu de l’habitat partagé en Belgique.
Pas facile de se loger quand on est jeune : trouver un logement à prix décent quand on est étudiant ou que l'on rentre dans la vie active relève aujourd'hui du quasi exploit. Et dans le même temps, de plus en plus de personnes âgées souffrent de solitude et d'isolement, dans des logements parfois bien vides.
Ainsi est née l'idée du logement intergénérationnel, fruit d’une réflexion qui recroise les problématiques des jeunes et des moins jeunes. Le concept est simple : faire cohabiter dans la même habitation des personnes de générations différentes pour résoudre les problèmes de logement et d'isolement des personnes. Seul obstacle, ce type d'habitat est encore méconnu de la plupart de la population, et les réticences sont nombreuses face à un mode de vie jugé non conventionnel.
Avantages à tous les étages
La députée bruxelloise Céline Frémault – CDH, Centre Démocrate Humaniste, parti centriste belge francophone – a présenté une "proposition de résolution visant à développer le 'logement intergénérationnel' en Région bruxelloise", discutée en séance plénière le 17 octobre dernier.
Premier avantage, évidemment, la rupture de l’isolement des personnes âgées et l’échange de services avec un jeune couple : babysitting par la mamie d'adoption pendant que les parents font les courses pour tout le monde, ou encore échange de petits travaux ménagers contre un peu bricolage.
Le logement d’une famille plus jeune constitue un revenu complémentaire non-négligeable pour la personne âgée propriétaire du logement, là où la mise en maison de repos engendre des dépenses parfois inaccessibles. Cette cohabitation permet aussi de maintenir en état des immeubles ou des maisons qui pourraient se dégrader faute d’occupation.
Du point de vue des jeunes couples, cette formule leur offre un accès plus facile et moins cher au logement. C’est aussi le cas des étudiants, car la pénurie de “kots” (chambres d’étudiants) se fait sentir à Bruxelles comme dans d’autres grandes villes. La collectivité y retrouve aussi son intérêt car l’habitat groupé favorise le partage de biens comme les machines à laver, voitures ou autres chaudières, ce qui limite la consommation d’énergie.
Ce type d'habitat constitue aussi une réponse pratique à la demande croissante d’accueil en maisons de repos et à la vacance de logements. Ce type d’habitat peut aussi favoriser le maintien de jeunes couples à Bruxelles en soulageant la pression sur le niveau des loyers de la capitale.
Casse-tête administratif
Mais les obstacles institutionnels et administratifs ne manquent pas. D’abord, si les personnes âgées accueillent une famille dans leur domicile, elles ne sont plus considérées administrativement comme des personnes isolées. Ce qui peut entraîner la diminution, voire la perte, de certains de leurs revenus (pension de retraite ou de maladie), et limite les intérêts pécuniaires de la cohabitation.
La transformation d’une habitation individuelle en habitat groupé exige souvent des transformations de structures qui sont soumises aux règles d’urbanisme. Dans ce cas, les démarches administratives pour obtenir les autorisations sont parfois si lourdes qu’elles risquent bien de décourager la personne âgée à entamer les démarches. Et ces travaux sont soumis à de telles normes qu’ils engendrent un surcoût difficilement supportable pour un revenu moyen. Les protections anti-incendies imposées à l’habitat collectif constituent ainsi un frein important.
Faciliter les démarches
La résolution propose au gouvernement bruxellois la création d’un label qui définisse l’habitat intergénérationnel ainsi que les normes auxquelles il devrait répondre. Elle tente ainsi de lever les obstacles administratifs, tant régionaux que fédéraux, à la création de ces logements : simplification administrative et accord avec le gouvernement fédéral pour ne pas diminuer les revenus des personnes âgées impliquées dans ce type de transformations, notamment. La loi vise aussi à créer des primes à l’aménagement de ces logements pour faciliter leur mise en oeuvre par l’intermédiaire des agences immobilières sociales, par exemple.
Une mesure incitative de la sorte existe déjà en Wallonie : le Fonds du Logement de la Région Wallonne offre en effet des "prêts intergénérationnels" aux familles prêtes à accueillir chez elles un parent âgé. Mais l’obligation d’un lien de parenté jusqu’au troisième degré freine l’initiative. Quant à la Région Flamande, elle a depuis lontemps simplifié les procédures administratives et réduits les coûts engendrés par la transformation de ces logements communautaires ou partagés.
De la Maison de l’Espoir à l’habitat Kangourou
Malgré la permanence du modèle d’habitat unifamilial dans les mentalités et les difficultés administratives, des initiatives voient le jour. Et ce, aussi bien en milieu urbain qu’en milieu rural, à destination de familles autant que pour régler le problème du logement étudiant.
A Bruxelles, par exemple, l’association Le Foyer a ouvert une maison pour les femmes, Dar Al Amal – la Maison de l’Espoir – qui développe actuellement un “habitat kangourou” dans la commune de Molenbeek-Saint-Jean.
Derrière cette appellation amusante, en pratique, la personne âgée occupe le rez-de-chaussée de la maison tandis que la famille plus jeune s’installe à l’étage.
Dans le cas de Dar Al Amal, c’est une famille immigrée qui vit avec une personne du troisième âge, pour lutter à la fois contre le racisme et offrir à une famille immigrée un logement à prix abordable tandis que la personne âgée bénéficie de la proximité des jeunes parents et des enfants.
Ce qui m’a plu ici, c’est que tout en étant seule chez moi, je suis entrée dans une maison qui n’était pas vide. Elle était habitée, il y avait une âme dans cette maison,"
déclare une habitante du projet.
La réciprocité des échanges est également importante entre les personnes : en gardant les enfants ou en donnant des conseils, la personne âgée ne se sent pas dépendante des autres, elle participe à un projet.
Un toit pour deux générations
L’association 1 toit 2 âges propose quant à elle d’associer un étudiant et une personne âgée le temps d’une année universitaire. Le projet a d’ailleurs remporté le Prix Egaltitude 2011 de la Région Wallonne dans la catégorie “Intergénérationnel”. L’association fonctionne à Bruxelles, mais aussi dans les autres villes universitaires belges, à Namur, Louvain-La-Neuve, Liège et Mons. Elle se présente comme “médiateur entre les parties” et peut "d'intervenir en cas de problème".
La formule "économique" coûte 80 euros par mois plus une cotisation annuelle de 300 euros à l’association. En échange de cette somme, l’étudiant s’engage à aider la personne âgée dans ses tâches quotidiennes : sortir les poubelles, entretenir le logement, faire les courses, accompagner la personne chez le médecin, etc. Mais il ne se substitue en aucun cas aux services sociaux ou médicaux existants.
La formule "logement avec loyer", coûte 300 euros par mois, au maximum, plus une cotisation annuelle de 200 euros à l’association. Dans ce cas, l’étudiant ne s’engage à aucune tâche spécifique, mais à "offrir une relation de courtoisie et de respect, ainsi qu’une compagnie bienveillante visant à rompre la solitude".
Même si plusieurs projets de la sorte se développent en Wallonie ou en Flandre, la pratique montre encore que si un intérêt émerge pour ce type d’habitat, il ne va pas de soi dans une société qui prône l’individualisme à tous les niveaux, y compris celui du logement.
Notre expérience nous montre que si la seule préoccupation des partenaires dans un projet d’habitat groupé ou partagé est le facteur économique, ce dernier est déjà fortement hypothéqué. La pérennité de ces expériences repose sur d’autres liens existants et à tisser entre les membres du groupe. Le caractère intergénérationnel suppose de surcroît un certain regard sur la société et le mélange des âges. Dès lors, il faut bien préparer ces projets, a fortiori s’ils sont initiés par des opérateurs institutionnels,"
rappelait ainsi David Mignolet, de l’association Habitat et Participation, lors d’une journée de rencontre sur le thème de l’habitat partagé en décembre dernier, à Obourg.