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Ruben, prof. intérimaire à Madrid pour 980 euros par mois

mercredi, 2 novembre, 2011 - 15:13

Pas facile de boucler les fins de mois en Espagne, même quand on a un travail. Parmi les victimes de la crise économique, les professeurs subissent de plein fouet les coupes dans les budgets régionaux. De "budget" à "vocation", portrait de Ruben, un prof' qui reste philosophe en dépit d'une situation qui se dégrade tous les jours.

Premier volet de notre série de portraits consacrée aux enseignants, en Europe, à l'heure de l'austérité.

A trente-trois ans, Ruben vit en colocation dans la banlieue de Madrid, passe des examens tous les deux ans et révise encore avec ses amis. Non, Ruben n’est pas un éternel étudiant mais exerce le métier de professeur de philosophie dans l’éducation publique madrilène depuis six ans. Voici l’abécédaire de son quotidien de prof' à Madrid, qui, une fois n’est pas coutume, commencera par B :

 

B comme Budget : La nécessité de réduire le déficit public des régions espagnoles a conduit plusieurs d’entre elles à adopter des mesures d’austérité qui affectent notamment le service public de l’Education, qui est une compétence régionale en Espagne. C’est le cas de la communauté autonome de Madrid, gouvernée par la droite. Parmi les mesures mises en place figure l’augmentation des heures de cours par professeur de 18 heures à 20 heures par semaine. Madrid compte économiser 80 millions d’euros.

comme Chômage "L’an dernier, j’ai subi de plein fouet les premières mesures d’austérité. Au lieu de faire courir mon contrat de septembre à septembre, comme il se doit puisque les examens des élèves ont lieu jusqu’en septembre, j’ai dû laisser mon poste fin juin et j’ai été réembauché début septembre. Cela évite à la région de payer mon salaire en été". Cette année, Ruben est passé entre les gouttes et son contrat ne sera pas interrompu en juin. "J’ai de la chance. Il faut dire que je suis le seul professeur de philosophie de l’établissement. Ils ont besoin de moi".

comme Domicile : Ruben vit en colocation avec des amis, professeurs eux aussi, dans la banlieue de Madrid. "J’aimerais devenir propriétaire mais compte tenu de mon salaire et de la précarité de ma situation, autant dire que c’est impossible".

comme Examens : tous les deux ans, Ruben doit repasser les examens pour pouvoir enseigner dans l’éducation publique. Bien qu’il les passe avec succès à chaque fois, il doit se soumettre à cette épreuve qui dure environ quatre semaines, tant qu’il ne décroche pas de poste fixe. "Il est très difficile de concilier études et exercice du métier de professeur. Cela demande beaucoup de temps outre que c’est stressant et épuisant"."Avant les examens, nous organisons, avec d’autres professeurs, une session de révisions communes par semaine".

comme Grèves : Les coupes menées à Madrid ont conduit les enseignants de l’école publique à se mettre en grève six fois depuis début septembre et à convoquer trois autres journées de grève en novembre. Des mouvements similaires ont été organisés dans d’autres régions, comme en Galice ou en Navarre, où l’éducation a pris de plein fouet la vague de rigueur qui traverse le pays. Pour l’instant, à Madrid, le bras de fer continue, sans dialogue ni négociations.

comme Horizon "Je n’ai pas de visibilité à plus d’un an. L’incertitude, c’est épuisant ".

comme Intérimaire : Ruben est professeur intérimaire. Il nous explique qu'il fait partie de ceux qui ont passé avec succès les examens "d’Oposición" (l’équivalent du CAPES) mais n’ont pas de poste fixe."Contrairement à ce que dit la conseillère en Education du Gouvernement de Madrid, nous, intérimaires, avons réussi les examens d’accès au professorat. La seule différence avec les professeurs titulaires, c’est que nous n’avons pas de poste fixe". En augmentant le nombre d’heures de cours imparties par professeur, la communauté de Madrid compte réduire le recours aux professeurs intérimaires dont fait partie Ruben. Selon le syndicat indépendant ANPE (Association Nationale de Professeurs d’Enseignement), cela entraînera la suppression de 2000 à 3000 postes de professeurs intérimaires.

comme Jobs : Pour compenser la perte de revenu pendant l’été, Ruben a dû travailler comme secrétaire dans une "académie" dans laquelle il a aussi donné quelques cours. "Pendant l’année, je ne peux pas compléter mes revenus grâce à de petits boulots ou en donnant des cours ailleurs, car j’ai un contrat d’exclusivité".

comme Loisirs "Je n’ai plus les moyens de mettre de l’argent de côté donc je sors moins, je limite ma consommation de bières (il rit). En général, je me loue un film".

comme Mi-temps : pour "gagner des points" et accéder plus vite à un poste de titulaire, Ruben a accepté un poste à mi-temps, peu prisé car le salaire final est réduit de moitié. "Cela me permet de continuer à travailler et donc d’accumuler des points, plutôt que d’attendre des mois sans travailler que tombe une opportunité de remplacement pour un poste à plein temps".

comme (enseignement) Privé : en Espagne, l’enseignement privé sous contrat avec l’Etat est très développé. Selon un rapport de la Confédération Espagnole des Centres d’Enseignement (CECE), 27,5% des élèves de la Communauté de Madrid étudient dans établissements privés sous contrat avec l'Etat en 2011, contre une moyenne de 25,2% dans le reste de l'Espagne. "J’ai déjà pensé à postuler dans le privé mais pour l’instant je ne l’ai pas fait". Les raisons qui empêchent Ruben de se lancer sont les suivantes :

  • "Je pense que l’enseignement public est un espace neutre où tout le monde a sa place".
  •  Les profs du privés ne jouissent pas des mêmes droits et garanties que dans le public.
  •  Ils travaillent plus et sont moins bien payés.
  •  De nombreux centres privés sont liés à l’Eglise catholique.

comme Rébellion : Ruben a rejoint le mouvement du 15-M à ses débuts. "Mais finalement, j’ai cessé d’y participé car je n’avais pas le temps de concilier cette activité avec le syndicalisme. J’ai décidé de privilégier le syndicat". Depuis qu’il exerce son métier, Ruben est membre du Syndicat des Travailleurs de l’Enseignement de Madrid (STEM).

comme Salaire : Ruben gagne 980 euros par mois. "C’est parce que je ne suis pas marié et que je n’ai pas de famille à charge que je m’en sors". Avec le temps, Ruben à pu mettre un peu d’argent de côté qui lui laisse « trois ou quatre mois de marge » pour voir venir.

comme Transport : Ruben vit à Vallecas, dans la banlieue madrilène mais enseigne à l’extrême Sud de la région, à Aranjuez. "Je mets 1h45 aller et 1h45 retour pour aller travailler en transports publics. Plus ça va, moins je suis aidé financièrement pour le paiement du transport. Autrefois, on me remboursait 80% de cette somme. Aujourd’hui c’est à peine la moitié". Mais, "si tu refuses un poste, on t’ôte des listes de remplacement jusqu’aux examens suivants".

comme Vocation "Quand j’étais petit, je passais beaucoup de temps dans des camps de vacances. J’ai été moniteur en colonie. J’ai toujours eu envie de travailler avec les enfants. Comme en plus, j’étais passionné de sciences humaines, l’idée de devenir professeur de philosophie s’est imposée d’elle-même".




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