En Espagne, la scolarité gratuite peut coûter cher
Les écoles privées sous contrat et subventionnés par l’État perçoivent des parents des sommes comprises entre environ 100 et 200 euros par mois alors qu’elles sont censées être gratuites. A Madrid, les enseignants manifestent aujourd'hui contre les coupes budgétaires dans l'éducation pour la 7ème fois depuis la rentrée de septembre.
"Je préfère mettre mes enfants dans le privé, où l’enseignement est de meilleure qualité". Voilà, en résumé, le discours ambiant en Espagne. De fait, à Madrid par exemple, près de 50% des élèves de l’enseignement secondaire sont scolarisés dans le privé. La majorité le sont dans des collèges privés sous contrat, la plupart catholiques.
En théorie, rien d’anormal, puisque, à l’origine, ces établissements subventionnés par les régions [compétentes en matière d’Éducation en Espagne] sont censés pourvoir un enseignement gratuit au même titre que les centre scolaires publics. Après l’avènement de la Démocratie, les écoles publiques étaient en effet trop peu nombreuses pour assurer à elles seules la garantie de la gratuité de l’enseignement obligatoire. Il avait donc été décidé que l’Etat subventionnerait des établissements privés sous contrat pour garantir ce droit constitutionnel.
Des frais volontaires… mais obligatoires
Le principe de gratuité ne résiste toutefois pas à l’épreuve des faits. Assurance médicale, complément d’enseignement… Les raisons invoquées pour faire payer les parents ne manquent pas. Résultat: une ardoise mensuelle de 100 à 200 euros, en moyenne, pour les parents désirant scolariser leurs enfants dans le privé. "Par mois, ça fait 300 euros : 150 euros pour la cantine et 150 euros pour les cours d’Anglais", explique un établissement du centre de Madrid.
Les parents qui ne veulent pas que leur enfant suive le fameux cours d’anglais à 150 euros par mois peuvent, théoriquement, refuser de payer.
ces frais doivent toujours être volontaires. L’éducation concertée est donc absolument gratuite pour toutes les familles qui le souhaitent,
souligne un porte-parole de la région de Madrid. Certes, mais en pratique, celui qui ne paye pas peut aller voir ailleurs, plus précisément dans le public, qui lui est gratuit.
- C’est obligatoire de payer ces cours d’anglais à 150 euros ?
- C’est obligatoire.
90% des enfants d’immigrés choisissent le public
Mariano del Castillo, directeur de l’Institut des Techniques Éducatives de CECE, l’organisation patronale des écoles sous contrat, justifie les frais imposés aux parents dans le privé:
Les sommes versées par les autorités publiques aux centres privés sous contrat pour faire face à leurs dépenses générales et en personnel auxiliaire et de service ne s’adaptent pas aux coûts réels.
Quoi qu’il en soit, le résultat est que les plus aisés peuvent choisir entre enseignement privé subventionné et public, pas les moins riches.
De fait, environ 90% des enfants d’immigrés (frappés par un taux de chômage de plus de 30%) choisissent l’enseignement public. "C’est surtout par méconnaissance du système espagnol qu’ils se rabattent sur le public. Ils ne connaissent pas nécessairement toutes les options qui s’offrent à eux", estime toutefois Antonio de Castro, directeur des affaires académiques de l’IE University. "Il y a aussi le problème de la religion. Les immigrés d’autre confession peuvent préférer un enseignement laïc à un enseignement catholique", ajoute-t-il.
Certes, mais les 200 euros à verser par mois pour la scolarité des enfants peuvent aussi être rédhibitoires au moment de choisir entre public et privé.
Une école du pauvre
L’école publique deviendrait un peu, par contraste avec une école privée subventionnée, l’école défavorisée. Les arguments habituellement invoqués "contre" l’école publique sont, au choix, le plus grand nombre d’élèves par classe et donc un suivi moins personnalisé ou encore les installations plus vétustes.
La présence importante d’enfants immigrés est également souvent avancée par les parents pour expliquer la qualité réputée médiocre des centres scolaires publics. Un argument démonté par une étude de la Fondation Jaume Bofill à partir des données du Programme international de l’OCDE pour le suivi des acquis des élèves (PISA). D’après l’enquête, la proportion d’immigrés dans un établissement scolaire public n’a pas ou presque pas d’impact sur la réussite des enfants d’origine espagnole.
A l’inverse, elle est dommageable pour les enfants d’origine étrangère qui obtiennent de meilleurs résultats dans les centres où les immigrés sont moins nombreux.
"Risque de démantèlement de l’école publique"
Antonio de Castro minimise l’impact du choix entre privé et public:
De toute façon, l’enseignement est le même dans les écoles publiques et dans les centres privés subventionnés par l’État, car ils ont accepté de suivre les règles imposées en termes de programme éducatif. Résultat: qu’ils aient étudié dans le public ou dans le privé sous contrat, les élèves achèvent leur scolarité avec le même bagage. Mais c’est vrai que les sièges sont peut-être plus confortables dans le privé.
Le rapport PISA Regards sur l’éducation: édition 2006, indique que les équipements scolaires n’ont qu’un impact négligeable sur les résultats des élèves.
Toutefois, les syndicats espagnols craignent que ne se généralise le modèle adopté par la Communauté de Madrid qui privilégie depuis une dizaine d’années le développement des centres concertés, au détriment, selon certains, de l’école publique, ce qui explique aussi que la moitié des élèves étudient dans le privé, alors que dans le reste de l’Espagne, seuls 32% d’entre eux ont fait ce choix.
"Le risque c’est d’aboutir à un démantèlement de l’école publique", indique un porte-parole du syndicat Unión General de Trabajadores (UGT). Au vu de la mobilisation des professeurs – qui manifestent ce jeudi à Madrid pour la 7ème fois depuis la rentrée scolaire – et des parents d’élèves contre les mesures de coupes budgétaires dans l’éducation, les Espagnols ne semblent pas prêts à laisser tomber l’école publique.