Des centaines de milliers de jeunes européens suivent des partis et des mouvements d’extrême droite sur Facebook. Avec pour point commun, une peur obsessionnelle de l'islam.
L’extrême droite européenne a beaucoup d’amis. 436 030 très exactement. Du moins, sur Facebook. C’est le recensement effectué par le think-tank Demos, dans son rapport intitulé Le nouveau visage du populisme numérique, publié lundi 7 novembre. C’est en effet en utilisant le réseau social américain que le centre de recherche tente une photographie de l’extrême droite en Europe, et de l’ombre qu’elle projette sur le web.
Le passé numérique du norvégien Anders Behring Breivik, cet activiste d’extrême-droite auteur du massacre d’Utoya en juillet dernier, avait ouvert la brèche. Breivik avait pris soin de laisser traîner sur la toile son manifeste idéologique, la genèse opérationnelle de son attaque, et d’entrouvrir son réseau virtuel. L’Europe (re)découvrait alors que les mouvements d’extrême-droite utilisent, aussi, Internet.
L’isoloir et les manifestations de rue ne sont qu’une partie de la photographie: sur Internet, une nouvelle génération suit ces organisations, et diffuse et échange leurs idées,
souligne le rapport.
Entre juillet et août 2011, Demos a donc interrogé 10 000 de ces "amis" de l’extrême droite (qui ont cliqué sur le bouton "J’aime" pour rejoindre la page d’un des 14 mouvements sélectionnés sur Facebook).
Je clique donc j’adhère ?
Difficile d’établir un profil type de ces cyber-amis du populisme. La grande majorité sont des hommes (75%), et les jeunes sont les plus représentés, réseau social oblige: un sur trois a moins de 20 ans, et les 2/3 des sondés n’ont pas plus de trente ans (contre 50% en moyenne sur Facebook).
Analyser l’affiliation à un mouvement politique en ciblant les utilisateurs de Facebook ? "La méthode est novatrice dans le champ des sciences politiques", décrypte pour Myeurop Jean-Yves Camus, chercheur à l’Iris et spécialiste des nationalismes et extrémismes en Europe.
Mais les limites méthodologiques existent. Et, si l’échantillon (10 000) est conséquent, le résultat donne la photographie des sympathisants plus que des électeurs, or le poids de l’extrême droite se mesure, in fine, dans les urnes.
Selon le rapport, plus des 2/3 des fans de groupes nationalistes-populistes sur Facebook disent avoir voté pour leur candidat lors de la dernière élection.
Qui m’aime me suive !
Une méthodologie nouvelle, qui a le mérite de mettre en exergue l’attractivité de l’outil Internet pour les mouvances extrémistes, et l’apparition d’une nouvelle forme de mobilisation. Une adhésion aux mouvements online plus large parce que moins exigeante. Sympathiser d’un clic n’est pas devenir membre.
Résultat, les 14 formations extrémistes analysées recueillent bien plus d’"amis" virtuels qu’elles ne comptent de membres effectifs. Le British National Party (BNP), un parti de 15 000 adhérents, convainc ainsi plus de 80 000 amis sur Facebook.
Les médias sociaux apportent une nouvelle forme d’adhésion à une personne, une organisation ou des idées. Les individus peuvent exprimer leur soutien d’un simple clic de souris. Émergent alors les questions de la force de ces affinités, et des relations entre l’engagement online et offline,
note Demos.
Environ 400 ultras de l'English Defense League défilent dans les rues de Manchester, le 11 octobre 2009, quelques mois après la création du mouvement. Il compte aujourd'hui 8 409 "amis" sur facebook.
Convertir ces cyber-sympathisants en membres bien réels, c’est l’enjeu pour les structures partisanes. Demos remarque que seul "un tiers des sondés se considèrent comme des membres formels des partis qu’ils plébiscitent sur Facebook". Un sentiment d’appartenance relatif. Et un activisme "réel" modéré: seule une minorité joue sur les deux tableaux, offline et online, puisqu’ils ne sont qu’un quart à avoir participé à une activité du groupe – le plus souvent des manifestations – dans les six derniers mois.
De fait, Internet est aussi un espace de recrutement, voire de financement. Certains groupuscules proposent d’ailleurs sur leur page Facebook d’adhérer au "grand frère", c’est-à-dire au parti. Comme Resistance, un mouvement d’extrême droite britannique de 1 000 membres Facebook, autoproclamé "groupe pour les nationalistes de moins de 30 ans", et dont la page comporte une bannière aiguillant vers le BNP, l’extrême droite qui a pignon sur rue.
Car une fois encore, occuper la toile ne suffit pas. En France, le Bloc identitaire, créé en 2003, a su faire le buzz sur Internet, sans jamais obtenir de résultats électoraux à la hauteur de sa e-réputation. Présenté aux électeurs pour la première fois en 2005 à Nice, le groupuscule a participé aux dernières élections régionales de 2010. Il a réalisé son meilleur score est en Alsace, où la liste "Alsace d'abord" a obtenu 4,98 % des voix. Les "Ligue du Midi" en Languedoc-Roussillon et "Ligue du Sud" en Provence-Alpes-Côte d'Azur ont recueilli respectivement 0,7% et 2,7% des suffrages.
Islamisation et multiculturalisme, la nouvelle obsession
Reste que les cyber-sympathisants utilisent Internet aussi pour court-circuiter les structures traditionnelles de mobilisation.
Internet leur permet de se mobiliser différemment, de développer un 'militantisme d’intervention' (des flash mobs notamment), et de provocation, comme ce que fait le Bloc identitaire en France [qui est l’auteur des 'soupes identitaires', ces distributions aux sans-abris de soupes contenant du porc afin d’exclure juifs et musulmans],
explique Jean-Yves Camus. Internet est aussi un espace moins contrôlé, ou la répression est moins prégnante. "Par exemple, la mouvance skinhead et néonazie s’est réfugiée sur les réseaux sociaux, et n’est presque plus présente sur papier", poursuit le chercheur de l’Iris.
Mais sur Internet ou dans la rue, les thématiques sont récurrentes. Les trois ressors de l’extrême droite demeurent.
- La lutte contre ce qui est perçu comme une islamisation du continent européen. A l’image de l’English Defence League, un mouvement de rue créé en 2009 au Royaume-Uni spécialement dans ce but.
- La défiance envers les élites économiques et politiques. Et un cheval de bataille: la dénonciation de la mondialisation.
- L’opposition au multiculturalisme.
Le tout teinté d’un euroscepticisme pour le moins lancinant.
Ils sont des centaines de milliers à travers l’Europe. Désillusionnés devant la politique en général, et son versant européen en particulier, ils sont inquiets de l’érosion de leur identité culturelle et nationale. Voilà pourquoi ils se tournent vers les mouvements populistes, qui, à leurs yeux, répondent à leurs inquiétudes,
écrit Jamie Bartlett, l’auteur principal du rapport Demos.
"Il existe un effet générationnel, complète Jean-Yves Camus. La mondialisation et le multiculturalisme ont un échos particulier chez les jeunes générations, qui sont nées en même temps que ces deux grands changements sociétaux, là où leurs aînés étaient focalisés sur l’immigration."
Pour reprendre ses amis à l’extrême droite ? Demos conseille aux responsables politiques européens de "s’assoir, écouter, et répondre à leurs préoccupations".