Le programme européen d'aide aux démunis (PEAD), dont dépendent 18 millions de personnes, devrait être maintenu pour deux ans. Une "solution de transition" a été négociée avec l'Allemagne qui refuse toujours de financer des "politiques sociales" européennes. Sans ce compromis, ce sont 130 millions de repas qui n'auraient pu être distribués par les associations françaises.
Sursis pour la solidarité européenne. L’Allemagne a fait un geste en faveur du Programme européen d'aide aux démunis (PEAD), lundi 14 novembre, et "signalé (sa volonté d'accepter) de possibles compromis". Un vocabulaire pour le moment frileux, mais un geste qui devrait permettre au PEAD de survivre deux années de plus. Faute de quoi les fonds de ce programme, qui profite à 18 millions d'Européens, auraient été réduits de 80% à compter du 1er janvier 2012.
Jusqu’alors, les ministres de l’Agriculture de l’Union européenne n'avaient pas trouvé d'accord pour remédier à la menace pesant sur le PEAD, fondé en 1987. Ce dispositif est dans le collimateur de six Etats membres, qui y voient une arme de politique sociale, prérogative qu’ils jugent nationale: l'Allemagne, la Suède, le Royaume-Uni, le Danemark, la République tchèque et les Pays-Bas bloquaient donc le dossier. L’Allemagne en moins depuis lundi, la minorité de blocage prend l’eau.
"C'est un vrai soulagement, et le fruit de toutes les démarches effectuées en ce sens par les associations françaises", confie Julien Lauprêtre à MyEurop. Le président du Secours populaire français (SPF) rappelle que "le PEAD, ce n'est que 1 euro par habitant de l'UE par an, une dépense modérée au regard des milliards" dépensés par les Etats.
Comme l’Allemagne, jusqu’à son revirement, les cinq autres Etats hostiles au PEAD s’appuient sur une décision de la Cour de justice européenne de l’Union européenne (CJUE). Celle-ci avait en effet décidé, en avril dernier, de donner raison à Berlin qui jugeait illégal l’achat de denrées alimentaires sur le marché mondial. Achats devenus nécessaires depuis que les stocks de nourriture européens provoqués par les excédents de surproduction ont commencé à fondre à la suite de la réforme de la Politique agricole commune (PAC).
La décision de la CJUE réduisait ainsi à peau de chagrin la principale source de ravitaillement du PEAD, et donc des associations d'aide aux plus démunis. Conséquence directe, en 2012, le dispositif, créé en 1987 par Jacques Delors, risquait de ne bénéficier que de 113 millions d’euros contre 500 millions en 2011.
"Tsunami alimentaire"
La France, elle, tient au PEAD. Réagissant au report de la décision en octobre dernier, Nicolas Sarkozy déclarait:
Face à la crise, ce programme est la preuve tangible du principe de solidarité en Europe. […] Il est de la responsabilité de l'Europe de garantir les financements qui permettent aux associations caritatives partout en Europe de remplir leur importante mission. Le président de la République souhaite que les voies européennes permettant de pérenniser le PEAD soient dégagées d'ici à la fin de l'année."
Depuis avril, les associations ont entrepris de "mettre une pression tous azimuts", selon Olivier Berthe, président des Restos du Cœur, pour porter à la connaissance du public et des hommes politiques le danger qui plane sur l’aide alimentaire en Europe.
En France, la décision des ministres de l'Agriculture de l'Union européenne conditionnait la distribution de 130 millions de repas en 2012 et 2013. Pour Julien Lauprêtre, président du SPF, le risque de "tsunami alimentaire" était réel. Le PEAD représente en effet 23 à 55% des denrées distribuées par les associations françaises.
Les enjeux ne sont pas simplement français. Le PEAD profite à 18 millions d’Européens, représente 90% de l’aide alimentaire distribuée par les associations polonaises, les deux-tiers de celle distribuée par les associations italiennes",
indique Alain Seugé, président de la Fédération française des banques alimentaires (FFBA).
"L'Europe, région sinistrée"
Julien Lauprêtre constate, lui, que la pauvreté progresse toujours plus: 13,5% de Français vivent sous le seuil de pauvreté, 1,9 million sont des travailleurs pauvres, 2,4 millions d’enfants viennent de familles pauvres, le niveau de vie médian n’est que de 19 080 euros par an… Et selon lui, les demandes auprès du SPF ont augmenté de 15 à 20% en une année:
C’est l’époque des "sans" : sans nourriture, sans éducation, sans loisirs, sans culture. Le constat est le même partout, l’Europe est une région sinistrée."
Comment a-t-on pu arriver à la remise en cause du budget de la PEAD ? Le recours de l’Allemagne devant la CJUE n’est pas anodin. "Cela fait cinq ans qu’elle adopte cette attitude", dénonce Olivier Berthe. "Tout en dénonçant l’illégalité de l’achat de denrées sur les marchés, elle s’oppose à toute évolution du PEAD pour qu’il retrouve de la force".
Persévérance française, conditionnalité allemande
En échange de cette "concession", l'Allemagne réclame toujours l'abandon à terme du programme.
Il faut que ce soit très clair: à partir du premier janvier 2014, il n'y aura pas de politique sociale à l'échelle européenne",
a insisté la ministre allemande de l'Agriculture Ilse Aigner.
En 2014, il faudra reconsidérer la situation, car les mesures actuelles sont déjà dépassées par l'ampleur de la misère en Europe. Et cette fois-ci, cela ne dépendra pas que de l'Allemagne, mais de tous les Etats membres",
avertit Julien Lauprêtre du SPF. En France, beaucoup en dépendent et la solidarité y est aussi en péril puisqu'"une proposition du député UMP Gilles Carrez, discutée aujourd'hui même [lundi 14 novembre, ndlr] à l'Assemblée, assimile le don aux associations à une niche fiscale, un scandale !", s'insurge-t-il.
Selon Olivier Berthe, président des Restos du coeur, à terme, "l’objectif est de réformer pour rendre à nouveau possible l’achat de nourriture sur les marchés".
Avant l’annonce allemande, Bruno Le Maire, ministre français de l’Agriculture, déclarait hier sur Europe1 pouvoir "comprendre la position allemande qui n’est pas complètement infondée. Les Allemands payent pour ce programme, environ 200 M€ et ils ne touchent pas un centime pour ce programme. Car pour eux, les associations humanitaires sont financées par les Länder (régions) et pas par l’Etat fédéral. Pour la France, c’est différent. Elle touche près de 75 millions d'euros et a un gros avantage à maintenir ce dispositif".
Réformer le PEAD en même temps que la PAC?
En septembre dernier Bruno Le Maire évoquait la possibilité d’"un autre budget européen, si ce qui gêne les Allemands et un certain nombre de pays est le fait de financer l’aide alimentaire d’urgence sur le budget de la PAC. Je ne suis pas buté, je suis tout à fait prêt à regarder d’autres sources de financements". Didier Piard, directeur de l’action sociale de la Croix-Rouge française propose dans ce sens, que le PEAD soit "intégré au Fonds social européen (FSE), à l’occasion de la réforme de la PAC prévue en 2014".
Le verrou a sauté, et, pour un temps, la solidarité européenne peut continuer. Mais l’Allemagne veille au grain, et conditionne sa décision, le PEAD sera financé si l’Union européenne s’abstient de toute politique sociale après 2014, autrement dit: l'Allemagne, plus que jamais solidaire d'une Europe non-sociale.