Fini les discours alarmistes sur l'assistanat comme "cancer de la société", place à la compassion. Nicolas Sarkozy entend rendre leur "dignité" aux bénéficiaires du RSA... en les obligeant à travailler 7 heures par semaine. L'intention, touchante, est un contre-sens économique qui renforce la concurrence entre les précaires. Mais pourrait séduire une part de l'électorat de l'UMP.
C’est le retour de "la France qui se lève tôt". Mais pas tous les jours.
D'ici à la fin de l'année, nous expérimenterons dans une dizaine de départements une obligation de travail de 7 heures pour les bénéficiaires du RSA,
a déclaré Nicolas Sarkozy lors d'un déplacement à Bordeaux sur le thème de la fraude sociale. Avant d'entonner le refrain compassionnel bien connu:
Qu'on me comprenne bien, ce n'est pas pour punir, c'est au contraire pour respecter, pour redonner de la dignité, on n'a pas de dignité quand on ne peut survivre qu'en tendant la main.
Le président de la République confirme ainsi une annonce faite par le gouvernement en septembre 2011.
"Du vent"
Les contrats en question seront des "contrats uniques d'insertion" (CUI), aidés à 95% par l'Etat et les Conseils généraux. En tenant compte de la baisse du RSA induite par la reprise d'un travail, l'allocataire y gagnera environ 130 euros par mois, selon les calculs de l'ancien ministre des Solidarités Marc-Philippe Daubresse, à l'initiative de ce projet. Dans son rapport, il estimait à "environ 1/3 des 1,15 million de foyers éligibles au RSA socle" le nombre de bénéficiaires potentiels, les autres étant trop éloignés de l'emploi. Pour eux, ce travail serait obligatoire
Un refus serait constitutif d'un manquement aux devoirs et entraînerait automatiquement une sanction prévue par la loi.
"Ce type de discours est assez traditionnel de la droite, nous expliquait Jean-Luc Outin, chercheur au Centre d’économie de la Sorbone, en mai dernier. C’est d’abord de l’affichage politique et beaucoup de vent". Du vent, parfaitement dans l’air du temps.
"Le cancer de la société française"
Laurent Wauquiez venait de frapper un grand coup en présentant les "dérives de l'assistanat" présenté comme "le cancer de la société française". Le chef de file de la droite sociale à l'UMP souhaitait donc contraindre les bénéficiaires du RSA à "assumer" cinq heures hebdomadaires de "service social". Outrancier, un simple galop d'essai. Pourtant, l'idée a fait son chemin.
Un mois plus tard, Jean-François Copé remet le couvert. Le secrétaire général du parti présidentiel, dans un entretien à La Voix du Nord, suggére des heures de travail consacrées à "des activités d'utilité sociale, par exemple l'accompagnement de sorties d'école ou de personnes âgées, des projets environnementaux et civiques".
Chaque fois, l'analyse concrenant l'utilité de ces heures de travail obligatoire pour la colectivité est la même: "Ce n'est évidemment pas une sanction mais un marchepied vers l'emploi", assure Jean-François Coppé. Une idée frappée au coin du bon sens. Qui a pour seul défaut d’être fausse.
Mesure contre-productive
On ne peut pas dire que faire 5 heures de 'service social' par semaine, ce soit un travail !
Pour Christine Erhel, chercheuse au Centre d’étude de l’emploi (CEE), l’annonce d’une mesure de contrepartie au RSA est contradictoire avec les objectifs du dispositif.
"Cette obligation de travail risquerait de réduire le temps de prospection" nécessaire pour trouver un emploi et s'insérer, n'hésite pas à ajouter la chercheuse sans prendre garde qu'elle affaiblit son premier argument: 30 heures hebdomadaires laissées à la recherche d'emploi – pour ne prendre en compte que la durée légale du travail – ce n'est quand même pas négligeable…
Reste que Christine Erhel estime que la mesure ne répond à aucune logique économique. Coûteuse à mettre en place, cette proposition pourrait surtout nuire aux personnes les plus éloignées de l’emploi.
Le travail, ce n'est pas que de l'argent
Pas de logique économique, mais un vrai sens politique. En toile de fond, l’idée dominante est que les allocataires de minima sociaux se complaisent dans l'assistanat et qu’il faut donc les obliger à retourner sur le marché du travail. C’est d’ailleurs pour cette raison que le RSA, qui permet le cumul des revenus d’activité et d’une partie d’allocation, a été instauré en 2009.
Une étude récente, publiée dans la revue "Recherches et Prévisions" montre que moins de 1% des bénéficiaires expliquent que reprendre le travail ne leur rapporterait pas assez.
La plus grande partie des problèmes qui font obstacle à la reprise d’emploi des bénéficiaires de minima sociaux ne sont pas d’ordre pécunier. Ce sont des contraintes familiales, dues notamment à l’absence de modes de garde proposées aux allocataires de l’Allocation parents isolés, contraintes de santé, contraintes de transport, absence d’accompagnement vers et dans l’emploi… En somme, il est faux d’imaginer qu’ils préfèrent ne pas travailler simplement parce que le travail ne leur rapporterait pas assez",
explique Dominique Meda, directrice de recherches au Centre d'études de l'emploi.
Après la sortie calamiteuse de Laurent Wauquiez en mai 2011, ATD Quart Monde assurait que la proposition de "travail obligatoire" sonne comme "une humiliation supplémentaire": "aujourd’hui, ce qui manque, ce n’est pas l’envie de travailler, mais bien les offres d’emploi et/ou la qualification correspondante".
Les allocataires du RSA ont déjà des "devoirs"
D’ailleurs, des contreparties obligatoires existent déjà pour les allocataires du RSA. Ils doivent suivre un parcours d’insertion dans l’emploi, sous peine de radiation. "Désormais, contrairement au RMI, les allocataires du RSA sont obligés, sauf problème de santé grave, de rechercher un emploi et d'être inscrit à Pôle emploi [et sont donc] soumis à l'obligation d'accepter deux offres raisonnables d'emploi", rappelait en avril l'ancien Haut commissaire aux solidarités actives Martin Hirsch. Précisons toutefois que seuls 650 000 des 1,8 millions de bénéficiaires (en mars 2011) sont en fait inscrits sur les listes.
"Il y a un aspect identitaire et statutaire, pas seulement pécunier", complète Jean-Luc Outin, de l'Institut des sciences sociales du travail. "On se sent mieux quand on travaille". Qui poursuit avec une jolie formule:
Une fois que l'on le pied à l'étrier, encore faut-il que le cheval démarre.
Concurrence entre précaires
Il pointe un autre obstacle à la mise en place de cette mesure.
Comment les collectivités territoriales pourraient-elles organiser cela ? Employer des personnes qui ont justement des difficultés d’insertion sur le marché du travail suppose de les encadrer et de les accompagner."
Sans compter que ces emplois sont déjà le plus souvent des postes en contrats aidés, justement proposés à des publics en réinsertion, explique Alice Brassens, responsable du revenu de solidarité active et des politiques territoriales au sein l'Ansa (Agence nouvelle des solidarités actives).
Remplacer ces personnes – généralement rémunérées sur des contrats d'une vingtaine d'heures – par des allocataires du RSA, reviendrait à substituer un public de travailleurs "bénévoles" à des salariés bénéficiant de contrats aidés qui ouvrent droit à des cotisations retraite et chômage. Donc à renforcer la concurrence entre les catégories les plus précaires.