Les Pays-Bas ont adopté en 2000 une loi qui autorise le mariage entre personnes du même sexe. Mais des fonctionnaires fondamentalistes chrétiens refusaient de le célébrer, avec l’aval du gouvernement. Une motion adoptée au parlement ce 15 novembre les oblige désormais à se conformer à la loi.
Les Néerlandais ne cultivent pas que des tulipes, mais aussi le paradoxe. Nulle part ailleurs la cause homosexuelle n’était mieux défendue. Amsterdam était surnommée la "capitale de la communauté gay". En 2002, le leader populiste Pim Fortuym, homosexuel flamboyant, déclarait vouloir devenir la reine des Pays-Bas "pour pouvoir habiter dans ces beaux palais et rouler dans le carrosse doré". Il serait peut-être devenu premier ministre si Volkert van der Graff, un militant écologiste de 32 ans, ne l’avait pas mortellement arrêté de quelques balles, neuf jours avant les élections… "Regardez les Pays-Bas", déclarait Fortuyn.
Dans quel pays la tête de liste d’un grand mouvement comme le mien pourrait-il être ouvertement homosexuel ? C’est tout de même fantastique ! On peut en être fier !
Et pourtant, ce pays qui était prêt à accueillir un premier ministre gay – un homme qui en 2004 avait été désigné par les téléspectateurs de la télévision catholique KRO comme "le plus grand des Néerlandais" – tolère toujours que des employés municipaux refusent de célébrer des mariages de personnes de même sexe, légaux depuis 2000 !
Un accord refusé par les municipalités
Ce paradoxe typiquement néerlandais résultait d’un accord, passé en 2007 par un gouvernement présidé alors par le chrétien-démocrate, Jan-Peter Balkenende. Il autorisait les employés municipaux à refuser de célébrer les mariages. Un accord qui contrevenait à la loi du 21 décembre 2000 stipulant que "le mariage peut concerner deux personnes de genres différents ou du même genre".
Mais très vite, les municipalités elles-mêmes rejettent cet accord: Amsterdam d’abord. Eindhoven, Rotterdam, La Haye, Utrecht ou Groningue après. Maastricht ira jusqu’à passer une motion qui oblige les employés à célébrer ces unions.
Et si le sujet revient au cœur de l’actualité politique aujourd’hui, c’est parce qu’au printemps de cette année, la ville d’Amsterdam a licencié Wim Pijl, un préposé aux mariages qui refusait systématiquement de célébrer les mariages gays.
La "ceinture de la bible" à cran
Wim Pijl, comme bon nombre de ces fonctionnaires municipaux qui résistent à la loi sur le mariage homo, est un membre du SGP: le Staatkundig Gereformeerd Partij, Parti politique réformé. C’est le plus ancien, mais aussi le plus conservateur des partis politiques néerlandais.
Fondé en 1918, il puise son électorat dans ce qu’on appelle communément le Bijgelgordel l’équivalent néerlandais de la Bible Belt du Sud des Etats-Unis. Cette "ceinture de la bible" trouve son ancrage géographique au cœur des Pays-Bas: elle part du sud-ouest du pays, traverse le centre jusqu’à la Zélande et au-delà de la Hollande du Nord [voir la carte ci-contre avec le pourcentage d'électeurs du SGP].
Ce parti est celui de la tradition protestante réformée qui s’inspire directement de la réforme suisse. Fondée au 16e siècle par Huldrych Zwingli et Jean Calvin, elle se distingue par une vision rigoriste du péché, un profond conservatisme politique et une méfiance absolue à l’égard des "tentations" que sont le théâtre, le cinéma ou la mode. La rigueur vestimentaire de ces églises particulièrement sobres leur a valu le surnom de zwartekousenkerken, soit "églises aux bas noirs"…
L’objectif final de ce parti politique n’est rien de moins que l’instauration d’une théocratie aux Pays-Bas: un gouvernement de Dieu sur la terre. Il s’oppose donc au mariage homosexuel, mais aussi à l’avortement, à l’euthanasie, à la drogue et à la prostitution. Dans les municipalités où il est majoritaire, il a réussi à imposer un strict respect du repos du dimanche. Il n’a participé à aucun gouvernement mais compte des représentants à tous les autres niveaux de pouvoir. Il s’appuie sur près de 28.000 membres très actifs dans l’opposition.
Une motion qui suscite une forte émotion
Ce 15 novembre, à l'initiative du parti écologiste de gauche "GroenLinks" a été votée par le parlement. Elle abolit l'accord de 2007 et impose donc aux fonctionnaires des municipalités de célébrer les mariages de toutes personnes quelle que soit leur orientation sexuelle. Plus de weigerambtenaren, de "fonctionnaires refuseurs" !
Contre toute attente, elle a remporté une nette majorité, de 84 voix contre 58. Contre toute attente, car le gouvernement s’est prononcé contre. Notamment le VVD, parti libéral, dont la liberté individuelle est pourtant un principe fondamental. Mais les libéraux ont mis leurs convictions dans leurs poches, au nom de la solidarité gouvernementale avec leur allié chrétien-démocrate du Christen Democratisch Appèl (CDA) , un parti incontournable dans la coalition actuelle.
Geert Wilders pour le mariage homo
La surprise vient des rangs du PVV, le parti de la liberté du populiste Geert Wilders. Ce dernier s’est toujours prononcé pour le respect des homosexuels, en faisant même une des bases de son opposition à l’islam. Mais le premier ministre Mark Rutte s’attendait à ce que son allié suive la discipline de gouvernement et s’oppose à cette motion.
Une fois de plus, les populistes n’en ont fait qu’à leur tête et se sont ouvertement opposés à leurs alliés. Ce qui a fait dire à Gert Jan Segers, membre de Christen Unie, un autre parti protestant conservateur:
Le parti de la liberté a restreint la liberté des musulmans, puis celle des juifs [interdiction de l’abattage kasher, ndlr] et maintenant celle des chrétiens objecteurs de conscience.
Mais dans l’ensemble de la presse, dans l’opinion publique et chez les lobbyistes "holebi" – homos, lesbiennes et bisexuels – c’est surtout la satisfaction qui règne devant cette décision du parlement. Elle doit encore être ratifiée par le sénat, mais on ne s’attend pas à ce que celui-ci prenne une décision différente.
Henk Krol, rédacteur en chef du journal Gay Krant, se réjouit du vote et résume bien la position qui prévaut dans l’esprit de nombreux Néerlandais:
Un fonctionnaire refuseur pourrait ensuite refuser d’autres choses, comme d’enregistrer l’enfant d’un couple lesbien. Cela ne peut pas se passer aux Pays. Nous avons adopté démocratiquement le mariage homosexuel. Accepter que des fonctionnaires refusent de le célébrer serait envoyer un très mauvais signal.