Pourtant apolitiques, les Indignés se mouillent et donnent même une consigne de vote: dans chaque circonscription, les voix doivent aller au parti politique minoritaire qui a le plus de chance d'obtenir un siège au Parlement. Objectif: semer la zizanie et briser l'hégémonie des "partis de gouvernement".
"Vote pour l’arithmétique". C’est-à-dire pour BNG à Lugo et à La Corogne, Unión Progreso y Democracia à Ávila, Amaïur à Guipuzcoa, ou Izquierda Unida à Guadalajara ! On n’a rarement vu consigne de vote aussi hétéroclite ! C’est pourtant le calcul des membres du site #AritmÉtica20N [jeu de mots entre arithmétique et éthique], proche du mouvement de contestation populaire 15-M, à l'origine des Indignés espagnols.
Les indépendantistes basques de Amaïur n’ont pas grand-chose à voir avec UPyD, parti centriste et partisan d’un État centralisé. Mais, ils ont un point commun: bien que minoritaires, ils sont dans leur circonscription, le "petit" parti qui plus de chance d’obtenir un siège au Parlement. Objectif:
Pulvériser le monopole du PP (Parti Populaire), PSOE (parti socialiste) et CiU (Convergence et Union, régionalistes catalans au pouvoir dans la région) et empêcher que le PP ne gouverne par majorité absolue,
est-il écrit sur le site.
"Qu'ils se battent entre eux"
Comment un mouvement apolitique comme celui des Indignés peut-il donner des consignes de vote? Il n’y a là rien d’illogique. Le but n'est pas de soutenir les idées d’un parti, mais bien de contrer les dérives d’un système.
Il ne s’agit pas de voter pour les partis qui nous soient le moins désagréables ou qui nous plaisent un peu, mais de les utiliser pour qu’ils se battent entre eux. Diviser pour régner,
expliquent les promoteurs de l’initiative. Plus les partis minoritaires disposent de sièges au Parlement, moins les grands partis ont les mains libres pour faire la politique de leur choix.
On comprend donc mieux pourquoi les Indignés, dont certains appelaient à s’abstenir pendant la campagne des élections régionales en mai dernier, ont opté cette fois-ci pour une solution plus pragmatique:
Bien que les règles ne soient pas les nôtres et que nous ne voulions pas jouer, si nous ne jouons pas, ils nous la jouent.
Voter blanc ou s’abstenir fait le jeu des partis majoritaires, explique-t-on sur le site.
"Envoie-les au chômage !"
C’est exactement le message lancé par un autre site, nomaspppsoe.wordpress.com ["plus de PP ni de PSOE", ndlr], dont le slogan est limpide:
Ni PP ni PSOE. Tu mérites de meilleurs politiques. Abstention, vote blanc, vote nul: tout les favorise… Vote pour d’autres… et envoie-les au chômage !
Ce ne sont là que deux exemples parmi une myriade d’initiatives destinées à défier l’absolutisme bipartisan, comme Democracia 4.0, initiative soutenue par Democracia Real Ya !, un collectif à l'origine du 15-M. Sans parler de l’irruption de partis alternatifs, relativement visibles quoiqu’ayant peu de chance d’accéder au Parlement, comme les écologistes d’Equo.
Alors que le 15-M fait face à son second rendez-vous électoral depuis sa création, son influence ne sera probablement pas suffisante pour changer le cours des intentions de vote – même si le mouvement recueille une majorité d’opinions favorables au sein de la population espagnole.
Les analystes penchent pour une impact limité, qui se traduira surtout par une hausse des votes blancs ou nuls, la consigne proposée par #AritmÉtica20N étant trop complexe.
Bonnet blanc et blanc bonnet
Les derniers sondages montrent que le PP (conservateur) pourrait disposer d’une ample majorité absolue. La popularité à la fois du PP et du 15M n’est pas si paradoxale: les Indignés ne se disent ni de droite ni de gauche et réclament des réformes que les électeurs de droite peuvent faire leurs: changement des règles électorales, dation en paiement dans les contrats d’hypothèque, transparence politique et administrative…
Par ailleurs, les analystes coïncident sur le fait que si le 15-M a une influence sur le vote, cela sera au détriment du PSOE, et non du PP, qui a réussi à mobiliser ses électeurs traditionnels pour ces élections.
Le PSOE s’apprête quant à lui à affronter ses pires résultats électoraux depuis le début de l’ère démocratique, paye les politiques de rigueur du Gouvernement de José Luis Rodriguez Zapatero et la situation économique catastrophique avec cinq millions de chômeurs. Les coupes sociales ont déçu les électeurs de gauche qui se sont sentis trahis. Certains pourraient voter pour le PP, dont le leader, Mariano Rajoy, peu porté sur la provocation, prend soin de ne pas expliciter les mesures d’austérité qu’il prendra une fois élu.
Pour les Indignés néanmoins, PSOE et PP, c’est bonnet blanc et blanc bonnet: ils sont tous deux à la solde des marchés.