Piqué au vif par les accusations musclées de dopage généralisé formulées par Yannick Noah, le sport espagnol se cabre. Et contre-attaque. Si des soupçons pèsent sur certains champions, les sportifs ibères trustent les premières marches du podium grâce à un mélange gagnant d'aide au sport de haut niveau, d'esprit d'équipe et d'énergie à revendre.
La "potion magique" est dure à avaler. Pointés du doigt par Yannick Noah, les Espagnols n’ont que très peu gouté les accusations de dopage du tennisman français. Et c’est dans la marmite de la polémique que celui-ci est tombé.
Dans une tribune publiée par Le Monde, Yannick Noah a eu le malheur de remettre sur le tapis la question du dopage, osant lier les performances des "costauds" sportifs espagnols au doux art de la piquouse.
Trois jours après les faits, la personnalité préférée des Français n’est plus qu’un "malhonnête", "jaloux", "irresponsable", "ignorant", "immoral", et "stupide" individu, qui, argument massue, n’a pas de preuves.
"Mais qu’a donc consommé Yannick Noah?" pour proférer de telles "immondices", s’interrogeait dimanche 20 novembre le quotidien El Pais. Piqués au vif, les Espagnols détestent que l’on salisse leurs idoles. La riposte des dirigeants sportifs espagnols, épidermique, n’a pas tardé. Premier à réagir, le président du Comité olympique espagnol, Alejandro Blanco, avance "les 11 200 contrôles antidopage réalisés chaque année par l'Espagne" comme "la meilleure réponse".
Sur Twitter, le président de la fédération de basket, José Luis Saéz, répliquait pour défendre son sport: "La potion du succès ; le basket est le premier sport en nombre de clubs (31.187)", et déclare étudier une action en justice contre Noah. Puis ce fut au tour de Toni Nadal, tonton du champion du même nom, David Ferrer (tennis) ou de Pep Guardiola, entraineur du Barça.
"La France s’excuse"
La polémique enfle, David Douillet tremble. Devant la levée de bouclier en Espagne, le ministre des sports a lâché l’ex-champion français pour condamner "des propos graves et irresponsables". Il a présenté ses "excuses au nom de la France et du gouvernement".
La tribune de Noah, dont la faiblesse est de stigmatiser tous les sportifs espagnols, mis dans le même sac, révèle néanmoins l’ampleur du tabou. Et montre que joindre sport et dopage dans une même phrase demeure une grossière pratique, combattue avec zèle par les autorités concernées.
Reste que présomption d'innocence oblige, les réponses à l'hégémonie sportive espagnole sont à chercher ailleurs, testostérone ou pas.
Un peu plus riches, les Espagnols se mettent au sport
Tennis, basket-ball … la supériorité des Espagnols est patente. Et que dire encore du football, du cyclisme, de la nage synchronisée, la Formule un ou encore la moto ? Les Pau Gasol (basket), Rafa Nadal (tennis), Alberto Contador et Carlos Sastre (cyclisme), Jorge Lorenzo (moto), Andrés Iniesta ou Iker Casillas (football) portent haut les couleurs de leur pays, mais sont plus le symptôme que l’explication du cycle d’or du sport espagnol.
Bienfaits de l'opulence
Si l’Espagne a compté, à chaque génération, quelques talents d’exception, du golfeur Severiano Ballesteros au cycliste Miguel Indurain, le quota de stars du sport par habitant semble avoir explosé ces dernières années. "Avant, il s’agissait de situations sporadiques. Maintenant, c’est presque devenu la norme", constate Pere Manuel, directeur du centre de Barcelone de l’Institut Nacional d’Educació Física de Catalunya (INEFC).
L’intégration dans l’Union européenne et l’essor économique ont permis au sport espagnol d’atteindre un niveau international. Mieux nourris, mieux soignés, comptant sur de meilleures infrastructures, les Espagnols ont profité des bienfaits de l’opulence pour se mettre au sport. Cette tendance s’est confirmée avec le temps.
En Espagne, on a conscience que le sport est essentiel pour la formation et l'épanouissement",
estime José Moya, ancien directeur général du Club de football de seconde division Elche CF et dirigeant du groupe de conseil en marketing sportif SConsulting. Cela n’explique toutefois qu’en partie les succès actuels et l’éclosion de tout un vivier de talents exceptionnels.
Les administrations ont énormément travaillé pour en arriver là. Tout a commencé avec le Plan ADO”,
poursuit Pere Manuel.
Dopés par les JO de Barcelone
Retour en arrière. En 1988, l’Espagne s’affaire pour la préparation des Jeux olympiques d’été que Barcelone doit accueillir en 1992. Il ne s’agit pas simplement de moderniser la capitale catalane, mais aussi s’assurer que les athlètes espagnols ne vont pas manquer leur grand rendez-vous.
Les efforts politiques pour développer le sport de haut niveau ont d’abord répondu à une question de prestige international. Plus tard seulement, d’autres aspects, comme la cohésion sociale, ont constitué de nouveaux motifs de promotion du sport",
explique Pere Manuel.
C’est dans ce contexte que le plan ADO (Asociación Deportes Olímpicos), destiné à financer les sportifs de haut niveau est créé. "Cela a été une révolution. Avant, les sportifs devaient travailler. Ils s’entraînaient à leur retour du bureau. Avec le Plan ADO, ils ont pu se consacrer intégralement à leur activité sportive", se souvient José Moya.
L’investissement a payé : les athlètes espagnols ont remporté 22 médailles aux Jeux olympiques de Barcelone. 22 d’un coup ! Eux qui, en tout et pour tout, n’avaient récolté que 28 médailles au cours de toutes les olympiades précédentes ! Le rendez-vous barcelonais reste dans l’esprit de tous, un tournant majeur dans l’histoire du sport espagnol.
Si pendant les années 1990, les disciplines individuelles ont tenu le haut du pavé, la dernière décennie restera marquée par les succès des sports collectifs. Certes, les individus continuent de briller en moto, en Formule 1 ou encore en cyclisme. Mais les équipes ont fait la joie des Espagnols avec des succès retentissants. Les sélections nationales de football, basket-ball, ou encore de handball ont chacune remporté une coupe du monde.
Sportifs unis, jamais vaincus
Même le tennis semble être devenu un sport d’équipe avec quatre Coupes Davis remportées entre 2000 et 2008. Chacune de ces formations se distingue de ses rivales internationales par son bon esprit et sa camaraderie, les mêmes qualités que l’on reconnaît d’ailleurs au FC Barcelone. Alors le sport espagnol, unido jamás será vencido?
Je ne crois pas qu’il y ait quoi que ce soit de culturel là-dedans. C’est plus une affaire de conjoncture, de personnalités. Mais il est toutefois probable que cet état d’esprit fasse école et que les futures équipes suivent l’exemple de leurs aînées",
répond Pere Manuel.
Les "sports co" semblent donc promis, en contraste avec la crise économique et sociale qui frappe le pays, à un glorieux avenir. Reste maintenant à briller en athlétisme, discipline dans laquelle l’Espagne vient d’être cruellement recalée. Les athlètes espagnols ont signé le pire mondial de l’histoire du pays en Corée du Sud, avec trois médailles de bronze et une quatrième place pour tout palmarès. Prochaine étape : les JO de Londres en 2012, après que l’équipe de football aura défendu, probablement âprement, son titre en Coupe d’Europe des Nations.